Assis sur un tabouret au milieu de son atelier, Camille Tété Azankpo contemple l’une de ses dernières œuvres : un portrait réalisé à base de divers matériaux. Le bois, le tissu, le contreplaqué, des bouts de cuvettes émaillées et le fil de fer pour coudre comme des agrafes chirurgicales.
« C’est un manager de football, un boss qui a réussi sa vie. Son ventre ballonné exprime déjà ce qu’est l’homme. Il n’a pas le temps, il montre fièrement du doigt, sa montre », explique avec aisance l’artiste.
« Derrière cette œuvre, se cache une bonne dose d’humour. Je suis heureux quand mon travail procure la lumière, le plaisir et la joie chez celui qui le contemple. Bref, je propose un jardin de joie dans mes œuvres », ajoute-t-il.
Tété Azankpo est arrivé à l’art par accident, un autodidacte plein de qualité et de dévouement pour son métier d’art plastique.
Tout a vraiment commencé dans les années 97 avec une exposition à ciel ouvert baptisée « Les épouvantails de grands champs » à Agoè-Nyivé.
« J’ai exposé des costumes en toile de jutes que j’ai cousus avec des motifs divers en intégrant des sons. Je les ai pendus sur des pilotis, si bien qu’aux petits coups de vent, ils faisaient du bruit. Normalement, les épouvantails servent à chasser les oiseaux maraudeurs dans les champs. Dans ce travail, j’ai illustré une situation de pillage à grande échelle sur notre environnement et les détournements des deniers publics par les hommes politiques. Car pour moi, il n’y a pas que des oiseaux maraudeurs. Il y a également des hommes destructeurs de la nature », se souvient l’artiste plasticien pour qui, les épouvantails sont comme une police ou une justice contre toutes formes d’injustice.
Et c’est cette exposition +expérimentale+ qui a ouvert les portes à Camille: « Ensuite j’ai eu la chance de voyager en Allemagne et en France pour des résidences et des ateliers d’échanges qui m’ont permis de perfectionner ce que j’ai appris sur le tas ».
Depuis 1999, le plasticien utilise pour ses œuvres, notamment des cuvettes émaillées ou «ayogbans» totalement désuètes : « Je leur redonne une nouvelle vie ».
Le « chirurgien » de l’art plastique
« Ces cuvettes, je les appelle des corps dans mon travail. Ces corps sont de bouts de métal agencés et imbriqués les uns aux autres par des agrafes qui sont des fils de fer. J’utilise aussi des contreplaqués, des toiles marouflées, de la peinture, du caoutchouc etc… », explique-t-il.
« Ces ayogbans sont peuplés de dessins qui sont des symboles de vie. Ils sont ornés de différents motifs : des fleurs, des poissons, des fruits, d’images d’anciens chefs d’Etat notamment du Nigeria… Et c’est une matière qui joue un rôle symbolique dans nos familles en Afrique. Car, ils interviennent dans la dot », dans des travaux domestiques et dans les marchés pour appeler au commerce, souligne le plasticien.
Et pour « charmer la femme », poursuit-il, « on lui offre de jolies cuvettes. Moi, je les utilise surtout pour ce côté historique, ce symbole de notre vie de tous les jours ».
Le « chirurgien » ou le couturier du métal, comme l’ont surnommé ses amis, les collecte auprès des femmes et en particulier les femmes des marchés.
L’atelier de Camille est rempli de ces ayogbans hors d’usage. Il utilise également des boîtes vides de conserve. Au moins 200 œuvres d’arts jonchent la résidence de Tété Azankpo.
L’artiste plasticien a fait plusieurs expositions personnelles et collectives aux Etats-Unis, en France, au Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Afrique (Maroc, Mauritanie, Afrique du Sud, Ethiopie, Côte d’Ivoire, Ghana, Burkina Faso, Bénin, Mali et le Togo).
Camille Tété Azankpo a initié depuis 2020, un grand projet de résidence d’artistes à Ahépé (environ 60 km au nord-est de Lomé), baptisé « Espace azankpo ».
« C’est une résidence d’artistes où des artistes du monde peuvent venir rester s’inspirer, travailler et découvrir d’autres médiums », se réjouit Camille. FIN
Junior AUREL/ Ambroisine MEMEDE