
Regroupés dans la cour de l’Ecole primaire publique (EPP) Gbamahlan à Gbamakopé (localité située à une vingtaine de kilomètres au nord Lomé), les écoliers écoutent attentivement les conseils de Bernard Noumédzro, président du Comité de protection de l’enfant (CPE), lors d’une séance de sensibilisation communautaire.
Face à la foule d’élèves, M. Noumédzro fait défiler des cartons montrant des dessins que commentent les enfants, sous le regard attentif des enseignants et parents d’élèves.
« C’est une séance de sensibilisation sur le rôle et la responsabilité des parents et des enfants sur les violences faites aux enfants : les paroles et gestes qui doivent les alerter. Nous sensibilisons également les parents pour qu’ils évitent toutes sortes de violence envers les enfants, pour une meilleure prévention », a expliqué M. Noumédzro.

« Nous menons régulièrement ces genres d’activités avec les membres du CPE dans le cadre de la mise en œuvre du projet Approche régionale pour la protection de l’enfance et de la jeunesse (ARPEJ) », a appuyé Komlan Eklou, secrétaire général du Comité Villageois de Développement (CVD) de Gbamakopé.
Cofinancé par l’Agence Française de Développement et SOS Villages d’Enfants en France, le programme ARPEJ vise à renforcer les familles et les communautés, prévenant ainsi l’abandon des enfants. Il contribue également à assurer une prise en charge de qualité aux enfants et jeunes bénéficiant d’une protection de remplacement, afin qu’ils s’épanouissent et contribuent à l’âge adulte, au développement de leur société.
Il est mis en œuvre par SOS Villages d’Enfants dans trois pays (Togo, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire) à la première phase qui a duré 3 ans (2021 à 2023). Le programme est étendu, à partir de 2024, au Cameroun avec le cofinancement de l’AFD, et au Niger avec l’appui de la fondation Gmeiner.
Au Togo, la première phase s’est déroulée à Kountone, Natcheme et Tchabigou (Dapaong/Région des Savanes), Lassa Ahodo (Kozah/Région de la Kara) et Gbamakopé (Zio/Région maritime). Pour la deuxième phase lancée le 14 Août 2024, les trois localités de Dapaong sont maintenues et deux nouvelles font leur entrée : Lama-Saoudè (Kara) et Abolavé (Zio).

Au Togo, le programme cible 2.240 enfants vivant dans 560 familles vulnérables, 75 acteurs communautaires, 250 enfants, membres des clubs d’enfants communautaires et des conseils consultatifs préfectoraux/régionaux et national, 20 centres d’accueil et de prise en charge d’enfants, 40 enfants bénéficiant d’une prise en charge de remplacement de qualité dans les centres d’accueil en vue de leur retour en famille et 1 réseau de structures d’accueil et de prise en charge des enfants vulnérable au Togo.
L’implication des CVD et CPE est fondamentale
Pour sa réussite, l’implication des CVD et CPE sur le terrain est fondamentale. Installées par les mairies, les CVD sont au centre du développement de leurs communautés. Les CPE sont une émanation de SOS Villages d’Enfants et travaillent de façon soudée avec ces Comité Villageois de Développement pour le succès des projets de ladite association de protection de l’enfance.
« SOS Villages d’Enfants a une particularité dans l’exécution de ses projets : elle implique fortement les organisations à base communautaire. Et cet élément, très important, est analysé lors de l’étude de faisabilité de chaque projet en vue de bien identifier ces parties prenantes », a expliqué Mohamed Tchallahada, animateur SOS Villages d’Enfants/projet ARPEJ.
A ce jour, les projets communautaires de de SOS Villages d’Enfants couvrent 36 localités dans le pays, soit 36 CVD et 36 CPE.
« Le CPE est une initiative spécifique à SOS dans la mesure où la protection de l’enfant est sa mission. Le CPE est l’entité que SOS met en place pour coordonner les actions de protection de l’enfant dans le dispositif plus large appelé mécanisme de protection de l’enfant. Le CPE ne regroupe que les acteurs communautaires. Par contre le mécanisme implique et le CPE, le CVD et d’autres acteurs comme l’Action Sociale, l’Education, la Justice, la Sécurité, la Mairie, les partenaires associatifs locaux, les autres groupements communautaires etc… », a précisé Akim Soumaïla Soulé, Coordonnateur Projet ARPEJ.
« Le CVD et le CPE collaborent étroitement pour s’assurer que les activités réalisées dans le cadre des projets de SOS Villages d’Enfants atteignent et correspondent aux besoins des cibles visées », a-t-il ajouté.
En clair, ces organisations à base communautaire se positionnent comme un pont entre les stratégies et les bénéficiaires. Elles mobilisent la population locale autour de diverses activités identifiées ensemble, obtiennent leur pleine adhésion à toutes les étapes de la mise en œuvre des projets. Leurs actions contribuent efficacement à susciter un changement de comportement face aux problèmes identifiés dans la localité.
« Ces organisations à base communautaire sont très écoutées et leurs actions sont très bénéfiques pour les élèves et mêmes les parents », a dit Mme Délali Yawa Adry, directrice de l’EPP Gbamahlan.
« Depuis que nous bénéficions des séances de sensibilisation dans notre école, il y a de moins en moins de violence. Les enfants étaient d’une rare violence, et chaque jour il y a au moins une bataille avec des blessures et du sang. On devait chaque jour faire face à une situation de violence, ce qu’on n’arrivait pas à comprendre. Par ailleurs plusieurs d’entre-deux manquaient les classes pour se promener. Mais le phénomène a pratiquement cessé depuis l’avènement de ce projet », s’est réjouie Mme Adry.
« Effectivement ! Plusieurs élèves ont arrêté de se balader sur les tas d’ordures pour retourner en classe. Ils se promenaient même aux heures de cours de ruelles en ruelles, sur les tas d’ordures à la recherche de ferraille qu’ils revendent aux acheteurs ambulants. Peu à peu, nous avons pu réduire ces mauvaises habitudes. Notre outil principal : la sensibilisation », a expliqué le président du CPE Gbamakopé.
A Abolavé, village d’environ 6.000 habitants, situé à quelques kilomètres de Gbamakopé, l’ambiance est identique entre les CVD et les CPE. Ce village fait partie des deux nouvelles localités prises en compte dans la phase 2 du programme ARPEJ. Sur la place publique, Kodzo Eklu (Président du CVD depuis juin 2023) dirige la traditionnelle réunion des organisations à base communautaire, qui se tient tous les trois mois, pour une évaluation de leur plan d’action. Tour à tour, les différents points inscrits à l’ordre du jour sont passés au crible. Ces CVD et CPE ont déjà mené plusieurs activités.
Forte communication avec la population

« Nous communiquons beaucoup avec la population sur comment protéger les enfants, comment les entretenir et respecter leurs droits, comment les foyers doivent s’entendre pour éduquer les enfants, éviter les violences sur les enfants. Nous appelons les parents à véritablement tourner leur regard vers les enfants, qui sont l’avenir. Nous faisons des rencontres avec les associations, des groupes folkloriques, les parents d’élèves. Nous menons également des sensibilisations dans des écoles et sur les places publiques », confie M.Eklu.
A quelques mètres, une trentaine d’enfants d’un club des filles s’exercent sur une chorégraphie. Le club, animé par Mlle Noëlie Meléomé (16 ans, élève en classe de seconde), tient régulièrement des réunions pour débattre de thématiques liées à l’éducation, la délinquance juvénile, les violences faites aux enfants etc.
« Les actions menées par les organisations à base communautaire dans le cadre du projet de SOS Villages d’Enfants sont énormes. Nous avons constaté un grand changement au niveau de l’attitude des enfants. Les différends et disputes dans les foyers ont beaucoup diminué, grâce aux sensibilisations. Nous-mêmes, nous soutenons ces actions, car les résultats sont positifs pour notre communauté », a dit le chef d’Abolavé Togbui Jean Kodjo.
Evariste Aziadjou, maître maçon, apprécie également les CVD et CPE : « ils sont à pied d’œuvre de jour comme de nuit pour le bien-être de nos enfants et l’harmonie dans nos maisons. Ils apprennent aux parents, les bonnes manières qui concourent au respect des droits de l’enfant et à leur épanouissement. Ils donnent aussi de conseils aux enfants, sur les méfaits de la drogue, l’importance de l’école, etc. ».
« Parlements des femmes » : renforcer le leadership féminin… »
Par ailleurs, pour la promotion du genre etl’autonomisation de la femme, l’initiative « Parlement des femmes » a été instituée dans les communautés.
Il a été initié pour renforcer le leadership féminin et l’autonomisation de la femme, en contribuant à la déconstruction progressive des normes nuisibles de genre qui ouvrent la voie à diverses violences dont sont victimes les femmes et les enfants.

C’est un cadre informel d’échange et de réflexion, d’éducation communautaire entre femmes et hommes sur les relations inégalitaires entre les sexes. L’initiative est portée par les femmes, qui se mobilisent pour inviter les hommes à la discussion dans une visée constructive d’un développement local durable, d’une consolidation des familles et de la paix sociale. Les leaders communautaires, parents et tuteurs, autorités locales, partenaires étatiques y sont également impliqués. C’est une unité fortement impliquée dans le dynamisme communautaire.
Mme Ayawa Logossou fait partie du parlement des femmes, qui mène une remarquable action à Gbamakopé.
« Je passe souvent chez mes congénères pour les sensibiliser sur la santé et le bien-être de l’enfant. Quand je remarque par exemple qu’un enfant est absent aux cours, cela m’interpelle et je cherche à comprendre. Ensemble avec les parents, nous trouvons la solution. Nous parlons beaucoup du maintien des liens familiaux, de la consolidation du foyer, car c’est un facteur très déterminant pour l’épanouissement de l’enfant », a-t-elle martelé.
« Une fois en allant vaquer à mes occupations, j’ai trouvé un enfant en train de se plaindre d’un mal de ventre. Mais après mes investigations, l’enfant avait plutôt faim. Il n’avait rien mangé depuis le matin, ses parents ne lui avaient pas donné de l’argent pour l’école », a-t-elle raconté.
Le président du CPE Gbamakopé a affirmé avoir plusieurs fois dénoué ces genres de situation : « Après avoir pris de la bouillie ou quelques beignets, ces enfants sont miraculeusement guéris ! Il faut juste comprendre qu’ils avaient juste faim. Nos actions contribuent progressivement à changer les mentalités, et beaucoup de parents nous remercient ».
Dans chaque communauté, les membres du Parlement ont initié une activité génératrice de revenu collective pour contribuer au financement des leurs activités et de celles de protection de l’enfant menées par le Comité de protection de l’enfant. Elles sont très actives dans la médiation pour régler des conflits conjugaux.
Bernadette Lamboni, membre du Parlement des femmes de Gbamakopé (installé depuis 21 juillet 2019), témoigne : « nous avons sauvé beaucoup de foyers au bord de la rupture. Nous avons surtout pour objectif de maintenir les enfants sous tutelle parentale et d’œuvrer pour l’épanouissement des enfants. Les hommes aussi participent à nos rencontres car ils font partie de la famille et la question des enfants les concernent également. C’est ensemble que nous co-construisons ». FIN
Ambroisine MEMEDE
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