
Deux journalistes burkinabè ont été arrêtés lundi à Ouagadougou et emmenés vers une destination inconnue, après avoir dénoncé des atteintes à la liberté d’expression dans ce pays sahélien dirigé par une junte militaire qui réprime les voix dissidentes.
Depuis le coup d’Etat du capitaine Ibrahim Traoré en 2022, de nombreux cas d’enlèvements de voix considérées comme hostiles au régime ont été rapportés dans la capitale et d’autres localités.
La semaine dernière, le mouvement politique Sens (Servir et non se servir) qui s’était indigné d’un massacre de civils attribué aux forces de sécurité, avait dénoncé l’enlèvement de cinq de ses membres.
« Guézouma Sanogo, président de l’AJB (Association des journalistes du Burkina Faso, ndlr) et Boukari Ouoba, vice-président, viennent d’être emmenés par des individus se présentant comme des policiers des services de renseignement (…) vers une destination inconnue », a écrit l’association sur Facebook vers 11h GMT et locales.
Les deux hommes ont été arrêtés à Ouagadougou, au Centre national de presse Norbert Zongo. L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a demandé aux autorités burkinabè « de rendre public le lieu de détention » des deux hommes et « de les relâcher sans délai », dans une déclaration transmise à l’AFP.
« Le mode opératoire – une arrestation opérée par des individus se présentant comme des agents des services de renseignement – fait écho aux nombreuses autres arrestations et enlèvements orchestrés par les autorités militaires depuis leur arrivée au pouvoir », a réagi Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de l’ONG.
Lors d’un congrès de l’AJB vendredi, Guézouma Sanogo avait dénoncé publiquement la multiplication des « atteintes à la liberté d’expression et de presse », qui « ont atteint un niveau jamais égalé » dans le pays.
D’autres journalistes avaient rappelé que sept de leurs confrères ont été enlevés en 2024, dont certains sont toujours portés disparus.
« Faire taire »
Sur les réseaux sociaux, des soutiens de la junte se réjouissaient de ces arrestations lundi.
L’arrestation de Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba « s’inscrit dans le cadre d’une stratégie visant à systématiquement faire taire toute voix critique dans le pays », a commenté lundi RSF, qui comme Amnesty international et Human Rights Watch (HRW) dénonce régulièrement ces enlèvements.
Ces organisations ont en outre signalé des cas de « réquisitions » – l’enrôlement forcé dans les forces de sécurité pour participer sur le front à la lutte antijihadiste, grâce à un décret de mobilisation publié en 2023 – ciblant selon elles des voix critiques du régime.
Mi-mars, le Conseil supérieur de la Communication (CSC) avait convoqué le directeur de publication du média lefaso.net.
Il était reproché à ce média burkinabè de ne pas avoir assez bien modéré, sous une publication, des commentaires « discourtois voire injurieux » à l’encontre du chef de la junte.
De nombreux médias internationaux sont en outre suspendus au Burkina Faso, accusés par la junte de véhiculer de la désinformation à propos de la lutte antijihadiste.
Depuis 10 ans, le pays est pris dans une spirale de violences jihadistes qui ont fait plus de 26.000 morts, civils et militaires, dont la moitié depuis le coup d’Etat de 2022, selon l’ONG Acled qui recense les victimes de conflits.
Le chef de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, qui revendique une politique souverainiste tournant le dos aux puissances occidentales, la France en tête, a fait adopter en mai dernier une charte lui permettant de rester cinq ans de plus au pouvoir.
Aucune élection n’a été annoncée pour le moment. Le régime a réorienté la diplomatie du pays, se rapprochant notamment de la Russie et de ses deux voisins, le Niger et le Mali, eux aussi dirigés par des juntes et confrontés aux mêmes violences jihadistes.
Ensemble, les trois pays ont créé la confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et claqué la porte de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Source: Afp