Nicéphore Soglo: « Cette année au Bénin, on doit libérer tous les prisonniers politiques sans exception »

Nicéphore Soglo

« Au Bénin, il faut libérer tous les prisonniers politiques », affirme l’ancien président Nicéphore Soglo, qui publie ses mémoires aux éditions L’Harmattan, sous le titre Vers le « miracle béninois » : l’épreuve du pouvoir et de la démocratie.

Nicéphore Soglo, qui a gouverné le Bénin pendant six ans, de 1990 à 1996, parle aussi sur RFI de sa mission du mois de juin dernier au Niger. Et il fait une comparaison audacieuse entre Donald Trump… et l’ancien Premier ministre français Édouard Balladur. En ligne de Cotonou, l’ancien chef de l’État béninois répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Pendant la campagne de 1996, vous racontez comment l’opposition a fait campagne contre vous en disant que vous étiez l’homme de la dévaluation de 1994. Est-ce que vous ne regrettez pas d’avoir laissé le Premier ministre français de l’époque, Edouard Balladur, vous imposer un taux de dévaluation très brutal de 50 % ?

Nicéphore Soglo : Écoutez, c’est la France qui doit payer à la place des débiteurs africains. Et son Premier ministre dit : « Je ne paye pas ». Que voulez-vous qu’on fasse ? Qui peut forcer la France à payer ? Non, je crois que tout le monde était convaincu que la décision appartenait à la France et elle a dit non et puis c’était terminé. Qu’elle ne pouvait pas supporter vraiment les dettes de ses anciennes colonies. Et ça s’est fait comme ça.

Supposons que Donald Trump se lève en disant « voilà, maintenant, je coupe » … On a vu déjà ce qu’il a commencé à faire pour ce qui concerne l’Ukraine, comment les gens réagissent. Alors, imaginez vraiment que quelqu’un vous torde la main de cette manière-là. Mais on n’avait pas le choix et tout le monde est surpris qu’on ait pu partir d’un taux de croissance négatif de -3 à un taux positif de +6 en l’espace simplement d’un mandat. Neuf points !

Alors finalement, vous écrivez que cette dévaluation de 1994, eh bien, elle a profité économiquement aux pays africains. Un remède de cheval aussi fort, vraiment, ça a été utile ?

C’est-à-dire que ceux qui ont pu survivre, parce que vraiment ça a été violent. Bon, mais on a dû s’adapter et trouver nous-mêmes nos propres solutions. Pour ce qui concerne le coton, c’est moi, j’ai dit à ce moment-là, il faut que nous puissions industrialiser l’Afrique.

Alors comment remplacer ce franc CFA aujourd’hui ? Est-ce qu’il faut une monnaie nationale pour chacun des pays d’Afrique de l’Ouest par exemple ? Ou une monnaie commune ?

Mais oui, mais écoutez, les peuples du Nigeria, les peuples du Bénin ou bien les peuples du Togo, tout ça, ce sont les mêmes peuples. Pourquoi ce que l’Europe a réalisé au sortir de la guerre, nous, on ne pourrait pas le faire également ? On doit vraiment créer une monnaie commune. C’est évident.

Alors, vous écrivez que, 30 ans après votre départ du pouvoir, vos successeurs n’ont pas su tirer profit de l’élan économique et démocratique que vous avez donné à votre pays. Quel est votre principal regret depuis 30 ans ?

Moi, je crois que c’est parce qu’ils n’ont pas une vision, celle de bâtir un ensemble de l’Afrique de l’Ouest pour avoir un monde de paix.

Et vous écrivez que, sur le plan des libertés publiques, la situation au Bénin est devenue « irrespirable », car plusieurs opposants politiques ont été jetés en prison. A qui pensez-vous ?

Moi, je n’ai jamais mis quelqu’un en prison. Je n’ai jamais mis des gens en exil. Non, ça n’a pas de sens. Je parle au président Talon, j’ai demandé encore une audience, je lui dis « écoute, c’est moi en te soutenant qui t’ai permis d’être président, eh bien, je te dis que cette année, l’année 2025, tu dois libérer tous les prisonniers politiques, les Reckya, le professeur Aïvo, tous ceux qui sont en prison. Et tu dois permettre à mon fils, Léhady, à qui tu as collé dix ans, ça va durer combien de temps ? »

Votre fils qui est en exil à l’étranger…

Absolument et en même temps, j’essaie de donner de bons conseils en disant que le pouvoir n’est jamais facile. Quand tu as un pouvoir, il faut savoir comment l’utiliser. Mais là, cette année, on doit libérer tous les prisonniers politiques, sans exception. Je lui dis ça !

Et quand vous lui dites ça, qu’est-ce qu’il vous répond ?

Mais pour le moment, il ne me répond pas correctement.

Alors l’élection présidentielle au Bénin, c’est dans un an. Est-ce que vous êtes confiant ou inquiet avant ce grand rendez-vous politique ?

Moi, je sais que notre peuple à la capacité vraiment de rebondir. D’abord, on aura libéré tous les prisonniers politiques : Reckya Madougou, on aura libéré Joël Aïvo. Tous les exilés seront rentrés et diront au président Talon ce qu’ils pensent de lui, de sa manière de gouverner un pays.

Est-ce que vous pensez que le président Talon tiendra parole et quittera le pouvoir dans un an ?

Je suis persuadé que, s’il ne quitte pas, il aura choisi son destin.

Alors, vous êtes à la retraite, mais vous n’êtes pas inactif, loin de là, puisqu’en juin dernier, avec un autre ancien président, Thomas Boni Yayi, vous êtes allé à Niamey pour essayer de faire rouvrir la frontière entre le Niger et le Bénin. Vous n’y êtes pas arrivé. Est-ce que vous êtes déçu ?

Non, moi, je compte… Je suis invité à nouveau par le général Tiani, je vais aller là-bas.

Et quand irez-vous à Niamey, Monsieur le président ?

Ah, pour le moment, j’attends que l’ambassadeur ici… Et on verra comment les choses se passeront. Je vous tiendrai informé.

Et vous irez avec Boni Yayi comme la dernière fois ?

Mais évidemment.

Source : Rfi