Le triomphe historique du Niger sur la cécité des rivières : une lueur d’espoir pour l’Afrique

Une tribune de Dr. Paulin Basinga

Dans un petit village de la région de Tahoua, au Niger, un homme du haut de ses 80 ans est
assis à l’ombre, ses yeux voilés par une cécité irréversible. Sa femme, septuagénaire, est
assise à proximité, son corps couvert de cicatrices sous ses vêtements. Ils font partie des
dernières personnes au Niger que le Dr Salissou Adamou a traitées pour la cécité des
rivières (également connue sous le nom d’onchocercose), une maladie cruelle qui prive les
gens de leur vue, de leur santé et de leur dignité.
Environ 70 % des membres de cette communauté ont souffert de la cécité des rivières, l’une
des 21 maladies tropicales négligées (MTN) qui, à elles seules, touchent plus d’un milliard de
personnes dans le monde. Cette maladie a fait des ravages dans les écoles et les
exploitations agricoles locales, plongeant les familles dans la pauvreté. Un grand nombre de
leurs voisins ont fui en cherchant une solution, à la fois pour échapper à la maladie et pour
fuir la peur.


En moins d’une génération, le contexte s’est remarquablement amélioré. Cela est dû en
grande partie grâce à M. Salissou, qui coordonne le programme national de lutte contre la
cécité des rivières au Niger avec le soutien du Comité pour l’élimination de l’onchocercose,
un réseau mondial d’ONG et d’experts de la maladie, ainsi que des sociétés
pharmaceutiques et des donateurs. Plus tôt dans la journée, l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) a certifié que le Niger avait éliminé la cécité des rivières en tant que problème
de santé publique, ce qui signifie qu’aucun enfant né au Niger aujourd’hui ne craindra d’être
aveugle de façon permanente à cause de cette maladie évitable.
Cette avancée extraordinaire, qui s’est faite en 45 ans, n’est pas seulement un triomphe en
matière de santé publique. C’est la preuve de ce qui est possible lorsque les pays touchés et
les donateurs mondiaux s’unissent derrière un objectif commun.


Et ce ne sera pas la dernière, car chaque jour, des champions locaux comme le Dr Salissou
font tomber les barrières pour éliminer les MTN et s’assurer qu’elles ne reviennent pas.
Certains font office d’historiens, passant au peigne fin de vieilles cartes et de vieux dossiers
pour identifier tous les villages qui ont signalé un cas. D’autres se portent volontaires pour
servir d’appât humain, s’asseyant pendant des heures sur le lit des rivières – la peau
exposée – pour attirer et attraper de minuscules mouches avant qu’elles ne piquent, une
tâche dangereuse mais nécessaire qui permet aux scientifiques de suivre la propagation de
la maladie.
Leurs efforts inlassables méritent à la fois une large reconnaissance et le soutien total des
bailleurs de fonds et des décideurs politiques.


Les programmes visant à éliminer les MTN telles que la cécité des rivières font bien plus que
restaurer la santé. Ils permettent aux enfants de rester à l’école, aux adultes d’aller travailler
et aux familles d’échapper à la pauvreté. Rien qu’au Niger, on estime que l’élimination de la
cécité des rivières ajoutera 2,3 milliards de dollars à l’économie du pays en permettant à un
plus grand nombre de personnes de mener une vie productive. Le rapport coût-efficacité est
frappant : de nombreuses personnes peuvent être atteintes et traitées pour moins de 50
cents de dollars par personne.

À l’échelle mondiale, 55 pays ont désormais éliminé au moins une MTN, ce qui représente
plus de la moitié du chemin à parcourir pour atteindre l’objectif de 100 pays d’ici à 2030 fixé
par l’OMS. Plus de 20 de ces pays se trouvent en Afrique, ce qui constitue un exploit
remarquable compte tenu de la charge de morbidité disproportionnée de ce continent.
Pourtant, plus d’un milliard de personnes dans le monde restent exposées au risque. Pour
honorer les efforts des champions locaux et accélérer les progrès, les programmes de lutte
contre les MTN ont besoin de ressources plus importantes et de meilleure qualité.


Tout d’abord, les gestionnaires de programmes ont besoin de données fiables pour
comprendre les lieux de propagation des maladies afin que les personnes reçoivent un
traitement en temps voulu. Des technologies telles que l’intelligence artificielle et la
cartographie géospatiale, qui combinent des données sur les conditions météorologiques,
les populations et d’autres éléments de manière visuelle, permettent de localiser plus
précisément les habitats changeants des insectes vecteurs de maladies, afin que les
équipes sachent dans quelles zones allouer des ressources. Les investissements dans le
développement de ces outils permettront de s’assurer que les programmes les exploitent au
maximum.


Le dépistage des maladies n’est qu’une partie du défi. Les équipes chargées des
programmes ont besoin de médicaments efficaces pour prévenir ou traiter rapidement les
maladies. Bien qu’il existe de nombreux traitements éprouvés, des schémas thérapeutiques
plus courts permettraient aux agents de santé de traiter les malades en moins de
consultations et sur des périodes plus courtes, ce qui accélérerait les délais d’élimination. En
2023, moins de 10 % des fonds consacrés à la recherche et au développement pour la
plupart des maladies infectieuses ont été affectés aux MTN, ce qui ne représente qu’une
petite fraction de ce qui est nécessaire pour s’attaquer pleinement aux MTN.


Même avec des données et des médicaments, les pays ont besoin d’un financement flexible
pour s’adapter à l’évolution de la situation et pour orienter la planification. C’est précisément
ce que fait le fonds « Reaching the Last Mile » (Atteindre le dernier kilomètre) (RLMF), une
plateforme de financement collaborative et diversifiée, en réunissant des autorités locales,
des bailleurs de fonds internationaux, des entreprises et des ONG pour soutenir les
gestionnaires de programmes dans leurs priorités essentielles, qu’il s’agisse de renforcer les
capacités des laboratoires locaux ou de donner aux travailleurs de la santé les moyens
d’atteindre les populations vulnérables.


En 2023, le Fonds « Reaching the Last Mile » a audacieusement élargi son objectif afin
d’atteindre tous les pays d’Afrique où la cécité des rivières et la filariose lymphatique sont
endémiques d’ici 2030, soit cinq fois plus que l’objectif initial. La Fondation Gates est fière de
s’associer à d’autres partenaires désireux de soutenir cette vision, mais l’augmentation des
objectifs du fonds s’est accompagnée d’une augmentation de ses besoins de financement.
Des investissements accrus de la part des bailleurs de fonds et des pays endémiques
aideraient les pays du continent à mettre en place des programmes de traitement dans un
plus grand nombre de communautés et à veiller à ce que les progrès durement acquis soient
préservés même après l’arrêt du traitement – reproduisant ainsi le succès du Niger à grande
échelle.


Dans le contexte actuel, nous devons donner la priorité aux investissements qui ont un effet
transformateur. S’il existe de nombreuses opportunités intéressantes dans le domaine de la
santé publique, les programmes de lutte contre les MTN représentent une opportunité
inégalée. Rien qu’au Niger, on estime que l’élimination de la cécité des rivières a ajouté 2,3
milliards de dollars USD à l’économie du pays entre 1976 et 2019 – lorsque la plupart des programmes étaient actifs – permettant ainsi à davantage de personnes de mener une vie
saine et productive.


Les bailleurs de fonds internationaux et les pays endémiques sont redevables à ceux qui
sont en première ligne de la lutte et doivent faire plus en mettant tout leur soutien financier et
politique au service des programmes de lutte contre les MTN. Ensemble, nous pouvons faire
de la réussite historique du Niger le catalyseur d’un mouvement mondial, en permettant à
des millions de personnes d’échapper à la négligence et en donnant de l’espoir à ceux qui
souffrent encore.


Au Niger, cela fait des années déjà que l’équipe de Salissou a traité les derniers patients
atteints de cécité des rivières et qu’elle a entamé le long chemin vers la certification de
l’élimination de la maladie. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes n’ont jamais entendu parler
de la maladie, ce qui représente un profond symbole de progrès, que nous pouvons
continuer à reproduire, j’en suis persuadé.

Une tribune de Dr. Paulin Basin