Jeanne, une jeune fille de 17 ans, parle avec douceur et courage de son expérience poignante aux auditeurs d’une radio. Élève brillante, elle rêvait de devenir avocate avant que sa vie ne bascule à l’âge de 13 ans lorsque son professeur de 6ème l’a agressée sexuellement, la laissant enceinte.
Contrainte d’abandonner l’école, elle survit en faisant la vaisselle chez des particuliers. Son agresseur, impuni, a menacé de lui faire du mal si elle s’exprimait. Jeanne n’a qu’un objectif qu’elle défend avec courage : justice pour les auteurs de violences faites aux femmes.
Partout dans le monde, les violences sexistes – en particulier les violences domestiques – sont souvent évoquées à voix basse et considérées comme une affaire privée.
En Afrique subsaharienne, les taux de violence sexiste et les taux d’acceptation de cette violence sont parmi les plus élevés au monde. Alors, que faire pour briser le silence ?
Les violences faites aux femmes devraient empêcher les responsables politiques de dormir sur leurs deux oreilles, et les arguments ne manquent pas. Il ne s’agit pas seulement d’une violation des droits humains, mais aussi d’une véritable crise de santé publique, qui nuit à l’éducation – les filles maltraitées courant un risque accru d’abandon scolaire – et qui a également un impact significatif sur la croissance économique.
À elle seule, la violence domestique coûte aux pays entre 1,2 % et 2 % de leur PIB, soit l’équivalent des dépenses consacrées à l’enseignement primaire par la plupart des pays en développement.
En Afrique subsaharienne, une augmentation d’un point de pourcentage de la proportion de femmes victimes de violences peut faire baisser l’activité économique jusqu’à 8 %, selon un rapport du FMI. De plus, les violences sexistes sont citées comme le principal problème en matière de droits des femmes auquel les Africains souhaitent voir leurs gouvernements s’attaquer, comme l’ont révélé de récentes enquêtes d’Afrobaromètre.
Les décideurs disposent des outils nécessaires pour lutter efficacement contre les violences sexistes, notamment par le biais de lois et de politiques axées sur la prévention, l’assistance aux victimes et l’imputabilité des auteurs.
De nombreux gouvernements d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont adopté des lois et des règlements visant à éliminer les différentes formes de violence sexiste, comme l’indique le rapport du Groupe de la Banque mondiale Les Femmes, l’Entreprise et le Droit.
Au cours des dernières années, la Banque mondiale a soutenu plusieurs réformes de ce type par le biais d’opérations à l’appui des politiques de développement. La République centrafricaine a ainsi rendu obligatoire la gratuité des soins de santé pour les victimes de violences sexistes, le Niger a mis en place des comités de protection de l’enfance pour lutter contre les mariages précoces, quant au Togo et au Bénin, ils ont adopté des règlements garantissant des services de soutien complets et subventionnés aux victimes de violences sexistes.
Le Togo a également promulgué une nouvelle loi générale pour lutter contre les violences sexuelles à l’école.
Ces lois et politiques établissent non seulement des droits et un cadre de responsabilité, mais elles peuvent aussi ouvrir la voie à un investissement accru et servir de signal fort, susceptible d’influencer les normes sociales préjudiciables. Les données montrent également que les pays dotés de lois sur la violence domestique voient les impacts économiques liés aux violences faites aux femmes diminuer.
Si les progrès sont notables, il reste encore beaucoup à faire. D’autres réformes législatives, politiques et institutionnelles peuvent être mises en place pour mieux protéger les filles et les femmes en Afrique de l’Ouest et du Centre.
Les mutilations génitales féminines, par exemple, sont interdites dans la plupart des pays, mais pas dans tous. Les personnes qui pratiquent ou autorisent la procédure ne sont souvent pas responsables pénalement et la pratique des mutilations génitales féminines transfrontalières n’est pas sanctionnée.
La violence sexiste à l’école reste également largement ignorée par les lois et les politiques, même si près de 29 % des filles en Afrique subsaharienne déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles à un moment donné.
Un travail considérable reste à mener pour mieux faire connaître et appliquer efficacement les lois et politiques existantes, notamment par le biais de la participation communautaire pour lutter contre les normes sociales préjudiciables. Les projets pour l’autonomisation des femmes et le dividende démographique au Sahel et en Afrique subsaharienne (SWEDD et SWEDD+) aident les pays à renforcer et à mieux faire connaître leurs cadres juridiques et politiques en matière de protection des femmes et des filles, en s’appuyant sur des réseaux de praticiens du droit.
Le nouveau Groupe de travail sur les réformes juridiques et politiques en matière de genre en Afrique fournit des conseils techniques et des études pour faire progresser les réformes avec le soutien de partenaires tels que le Mécanisme de financement mondial et Affaires mondiales Canada.
Alors que nous marquons le début de la campagne des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes, unissons-nous à l’appel pour empêcher et éradiquer toutes les formes de violence à l’égard des filles et des femmes, afin de créer un monde où les filles comme Jeanne soient libres de concrétiser leurs rêves et d’atteindre leur plein potentiel.
Trina Haque et Jozefien Van Damme (Banque mondiale)