Lutte contre la corruption au Togo : la nécessité d’une synergie d’actions (DOSSIER)

« Les prestations se payent aux guichets de l’hôpital », indique une affiche publiée par Dr Gilbert Tsolenyanu, secrétaire général du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers du Togo (SYNPHOT) sur la page de son compte X (ancien Twitter).

Ce grand syndicaliste a lancé depuis le 30 octobre, une « vaste campagne virtuelle » sur les « mauvaises pratiques et la lutte contre la corruption dans le secteur de la santé ».

Cette campagne vise également l’amélioration de l’accueil, l’hygiène hospitalière et le travail décent pour les agents de la santé.

« Le secteur de la santé au Togo est l’un des secteurs fortement minés par la corruption. Mon combat est de faire en sorte que les fonds mis à la disposition de ce secteur soient utilisés à bon escient jusqu’au dernier centime », a martelé Dr Tsolenyanu interrogé au téléphone.

Selon la Banque mondiale, « la corruption est le fait d’utiliser sa position de responsable d’un service public à son bénéfice personnel ».

Pour certains économistes, la corruption est reconnue comme un « mal collectif » qui désigne généralement « des pratiques déviantes, voire transgressives, ayant pour but d’obtenir des avantages pécuniaires, politiques, personnels ou autres, en abusant de sa position ».

La corruption se présente sous plusieurs formes : les dessous de table, les fraudes, l’extorsion, le favoritisme, le détournement de fonds etc…

Devenu un sport national, le phénomène n’épargne aucun secteur au Togo : dans l’administration publique, les sociétés (grandes ou petites) et même dans la rue, il faut glisser « quelque chose » sous le dossier.

« Quand je me rendais au grand marché de Lomé le vendredi 20 novembre 2024, le taximan a glissé un billet de 500 F.CFA au policier qui l’a arrêté devant l’École Primaire Bè-Gare. L’agent l’a laissé, sans même pas vérifié ses pièces. Sur place, deux autres taximen ont fait le même geste. C’est une scène que j’observe régulièrement sur le même trajet », a confié Abla Afouda, revendeuse de chaussures à Nyékonapoè.

L’Indice de perception de la corruption (IPC) dans le secteur public, publié par l’ONG Transparency International, était de 69 points en 2023 au Togo. Le pays occupait la 129e place sur 180 pays.

« L’échelle va de 0 à 100, et plus le score est élevé, plus la corruption est massive. Le résultat du Togo est donc légèrement inférieur à la moyenne à la moyenne par rapport à d’autres pays », souligne l’ONG.

Environ 10 milliards de pots-de-vin

Les résultats d’une étude sur la perception et le coût de la corruption menée conjointement par la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) et l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques et Démographiques (INSEED) entre décembre et janvier 2020 auprès de 400 petites sociétés et 2645 personnes, ont révélé qu’environ 10 milliards de F.CFA de pots-de-vin sont versés chaque année par des particuliers et des entreprises.

Entre 2018 et 2023, la HAPLUCIA a reçu 88 plaintes et dénonciations relatives aux pots de vin, selon un bilan publié début décembre 2023 par l’Institution.

« Ce phénomène qui gangrène notre société mérite d’être bien géré », a souligné Pasteur Edoh Komi, premier adjoint au maire de la Commune Golfe 2.

Dans son service, l’heure est à la vigilance : « Il n’y a jamais eu de corruption zéro. Il y a des cas de malversations qui sont quand même maîtrisées. Ce n’est pas facile. Mais, nous sommes vigilants, car la corruption se manifeste sous plusieurs formes entre le corrompu et le corrupteur ».

Le « mal » a de véritables conséquences sur l’économie nationale et par ricochet, sur la population. Des marchés publics sont attribués à des amis ou des proches parents sans tenir compte des cahiers de charges, les prestations sont mal exécutées, les fonds détournés de leurs objectifs etc…

Des responsables des syndicats du secteur de la santé rencontrés au CHU Sylvanus Olympio, gardent encore un mauvais souvenir de la mise en œuvre du Fonds BIDC, une subvention de 10 milliards de F.CFA accordée au Togo pour équiper les hôpitaux du pays.

« Sur trois scanners acquis, un seul a pu fonctionner pendant quelque temps. Les machines n’étaient pas d’une bonne qualité. A l’époque, le sujet a fait le tour des médias. Et directement, c’est la population qui a souffert durant des années, car les patients étaient dirigés vers des centres privés où les coûts des prestations sont élevés. Les ambulances acquises n’étaient pas aussi adaptées au fonctionnement d’un bon service de soins », a dénoncé l’un des syndicalistes qui a requis l’anonymat.

L’impunité

« On ne punit pas. Comment peut-on gérer ces fonds publics de cette manière ? Ce dossier a été clôturé en silence. Mais j’ai constaté que nos gouvernants, de même que les partenaires financiers ont reçu une bonne leçon, car les nouveaux équipements récemment mis à la disposition des centres de santé – grâce à l’appui de la Banque mondiale – sont d’une bonne qualité. Mais il faut un suivi, sinon, certains matériels vont chuter dans des centres de santé privés », a-t-il averti.

Par ailleurs, certains dossiers notamment ceux de la CAN/2013 et de la route Lomé -Vogan-Anfoin qui ont fait grands bruits dans le pays – sont transmis au procureur de la République près le tribunal de première instance de première classe de Lomé, avait annoncé la HAPLUCIA en novembre 2019. Depuis lors, c’est le silence radio.

Le manque à gagner enregistré par l’Etat du fait de la corruption et qui tombe directement dans les poches de certaines personnes, pourrait servir à la réalisation d’infrastructures (construction de routes, d’écoles, de centres de santé…) ou à l’acquisition de matériels et équipements au profit des populations.

Depuis la ratification de la Convention des Nations Unies contre la corruption par le Togo en mai 2005, le pays a opéré plusieurs réformes structurelles visant à prévenir et à réprimer les faits de corruption et d’infractions assimilées.

Le Togo s’est doté d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées dont la vision est de : « faire du Togo un pays modèle en matière de lutte contre la corruption en vue d’une croissance économique inclusive et durable ». 

La sensibilisation, la veille, le suivi et le contrôle

« Les textes sont là, maintenant il faut une action collective. D’abord la sensibilisation à tous les niveaux. La sensibilisation occupe une bonne place dans la campagne que j’ai lancée. Par exemple dans notre secteur, la population doit savoir ce que c’est que la santé, l’hospitalisation, la patientèle etc… Il faut empêcher le soignant d’être en contact avec l’argent, d’où la création des systèmes de facturation, afin que les prestations se paient aux guichets L’Etat doit mettre en place des structures capables de gérer les flux financiers pour éviter les déperditions. Dans tous les secteurs, nous devons commencer par dénoncer les mauvaises pratiques. L’Etat doit aussi revoir les salaires, c’est très important », a préconisé Dr Gilbert Tsolenyanu (secrétaire général du SYNPHOT).

Pour Pasteur Edoh Komi, premier adjoint au maire de la Commune Golfe 2 et président du Mouvement Martin Luther King (MMLK), « il faut une gestion efficace de cas de corruption parce que la corruption est un obstacle au développement social, à la réalisation des projets ».

« Je pense que nous tous, nous devons serrer les mains, conjuguer nos efforts, mutualiser les énergies pour que ce phénomène ne détruise pas définitivement nos sociétés surtout nous qui sommes dans les pays en voie de développement », a-t-il ajouté.

Dans le cadre du troisième Examen Périodique Universel du Togo en janvier 2022, des suggestions ont été faites à l’Etat togolais dans le cadre de la lutte contre la corruption notamment des actions de formation et de sensibilisation des responsables politiques, des agents de l’État et la population en général à la corruption. Il est demandé aux autorités togolaises de veiller à ce que tous les actes de corruption fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales et à ce que les responsables, y compris les fonctionnaires au plus haut niveau de l’État et autres personnalités, soient traduits en justice et sanctionnés.

Il est également demandé à l’Etat de renforcer l’HAPLUCIA en le dotant de moyens matériels, humains et financiers nécessaires, tout en intégrant trois membres de la société civile et un représentant des syndicats.

Cette dernière suggestion a été traduite dans la nouvelle constitution promulguée le 6 mai 2024 et la HAPLUCIA devient la Haute Autorité pour la transparence, l’intégrité de la Vie Publique et la lutte contre la corruption. FIN

Ablavi Ayélo AYIBE