« Les débats sur la légitimité des députés en fin de mandat pour adopter une révision constitutionnelle relèvent de polémiques politiciennes », a estimé Gilbert Bawara (ministre togolais de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social) dans une interview accordée à Jeune Afrique.
Adoptée par les députés le 19 avril dernier et promulguée le 6 mai par le chef de l’État Faure Essozimna Gnassingbé, la nouvelle Constitution du Togo entrera en vigueur dans son intégralité au plus tard le 5 mai 2025. Elle est toujours très contestée par l’opposition. Le ministre Gilbert Bawara estime que son processus d’adoption a été conduit dans les règles, qu’elle est « adaptée à la situation togolaise » et que le passage à un régime parlementaire doit justement permettre un renouveau démocratique.
Jeune Afrique : Le 19 avril, l’Assemblée nationale sortante a adopté la proposition de révision constitutionnelle qui fait basculer le Togo dans un régime parlementaire. Pourquoi ce texte majeur a-t-il été porté par les députés, et adopté par les seuls députés ?
Gilbert Bawara : Tout simplement parce que l’Assemblée nationale est l’enceinte par excellence des débats démocratiques. Sa vocation primordiale, c’est le vote des lois. Il est donc parfaitement sain et légitime qu’une initiative de cette nature et de cette ampleur soit d’émanation parlementaire.
Aucune irrégularité ne peut par ailleurs être établie concernant son adoption. Les débats sur la légitimité des députés en fin de mandat pour adopter une révision constitutionnelle relèvent de polémiques politiciennes. La nouvelle Constitution a été promulguée le 6 mai 2024 et elle est désormais en vigueur. L’heure n’est plus aux débats et aux controverses stériles. Nous devons cesser de ressasser le passé, de l’idéaliser, et résolument nous tourner vers les projets d’un avenir commun.
Comment expliquer l’absence de larges débats à travers le pays avant l’examen d’une proposition de révision constitutionnelle ?
Que certains aient pu souhaiter davantage de débats, d’informations et de sensibilisation préalables sur le contenu de la proposition de révision constitutionnelle, sur ses implications et ses enjeux, cela peut se comprendre. Mais ce débat est maintenant derrière nous. D’ailleurs, de larges débats n’auraient pas modifié l’attitude de contestation et de rejet systématiques qui fait partie de l’ADN de certains acteurs de la politique et de la société civile. Dire systématiquement « non » aux autorités, pour certains, c’est toujours un fonds de commerce.
Le manque de volonté ne se trouve pas du côté du chef de l’État et de ses partisans. Aujourd’hui, la plupart des partis et acteurs de la politique et de la société civile qui réclament le maintien de la Constitution modifiée en mai 2019, avaient contesté et rejeté les modifications apportées à l’époque, en 2019… Je ne désespère pas qu’ils finiront, comme par le passé, à évoluer, à comprendre et à adhérer à la transformation politique et institutionnelle amorcée avec la Constitution de la Ve République.
Celle-ci marque le début d’une véritable transition politique, qui se déploiera dans le temps long, ce qui nécessite l’engagement constructif de toutes les composantes du pays. Le débat politique n’est pas exclusivement rythmé par le calendrier électoral, il peut aussi avoir lieu au sein des partis politiques et des organisations de la société civile.
La Constitution introduit l’élection par le Congrès des futurs présidents de la République et président du Conseil des ministres. Ce dernier sera le chef du parti majoritaire au Parlement et détiendra tous les pouvoirs. Il ne fait aucun doute que ce sera Faure Gnassingbé, ce qui fait craindre « une présidence à vie »…
Un changement de majorité à l’Assemblée nationale ne relève pas de la volonté d’un homme ou d’une femme. Cela dépend de la volonté des partis, de la manière dont ils se créent, dont ils fonctionnent, dont ils se comportent et dont ils répondent aux besoins réels de la population. Leur implantation, leur assise et leur présence effective sur le terrain constituent des éléments déterminants.
Il serait donc plus logique de rechercher les causes et origines de la faiblesse des partis, plutôt que de s’attaquer aux conséquences de cette faiblesse. J’ai cru comprendre que certains leaders de l’opposition et acteurs de la société civile avaient eux-mêmes conscience de leurs erreurs et de leurs manquements. Qu’ils en tirent toutes les conséquences et qu’ils évoluent !
Si l’on veut aborder les causes, il faut exister sur le terrain, s’assurer que l’on dispose d’un projet pour le pays, que l’on est en mesure de convaincre les Togolais d’accorder davantage de députés, de conseillers régionaux et de conseillers municipaux à son parti.
Que pensez-vous des députés élus à l’issue des législatives du 29 avril 2024 mais qui refusent de siéger en raison de leur opposition à la nouvelle Constitution, comme Jean-Pierre Fabre, de l’Alliance nationale pour le Changement (ANC), et de Paul Dodji Apévon, des Forces démocratiques pour le renouveau (FDR) ?
C’est un contre-sens. Ils doivent aller jusqu’au bout de leur logique et devraient aussi demander à leurs maires et à leurs conseillers municipaux d’abandonner leurs postes. Ils devraient aussi dire aux Togolais ce que feront leurs conseillers régionaux et ce que sera leur attitude à l’occasion des prochaines élections sénatoriales et du renouvellement des conseillers municipaux en 2025…
Quand vous êtes maire et que vous dites que vous ne souscrivez pas à la nouvelle Constitution qui régit tous les aspects de la vie nationale, cela constitue un manque de respect pour vos électeurs, un manque de considération pour vos administrés. Vous vous condamnez à l’inaction et à l’impuissance.
Je ne juge pas. Ce sont simplement des constats et des questionnements. Ils illustrent une incohérence et un illogisme patents et frappants ! Pour finir, cela entraînera le découragement des militants et des sympathisants, qui se sentiront bernés et abusés.
Peut-on imaginer un futur président de la République – ou du Conseil – issu des rangs de l’opposition ?
Tout citoyen togolais répondant aux conditions et qualités fixées par la Constitution peut aspirer à assumer le rôle et les charges de président de la République, peu importe son appartenance politique. Il suffit que sa candidature soit présentée par un groupe parlementaire régulièrement constitué à l’Assemblée nationale.
Que faut-il attendre du régime parlementaire ?
Il n’est pas possible de se « planquer » dans un coin du pays – ou à l’extérieur – et d’espérer surgir à la veille d’échéances électorales en cherchant à exacerber certains clivages, ou en se faisant passer pour le sauveur de la nation. Les aventures individuelles, en dehors des partis et regroupements de partis politiques, sont pratiquement sans lendemain.
Le régime parlementaire porte en soi les germes d’une régénérescence et d’une revitalisation du système de partis politiques ; bref, d’un renouveau démocratique. Malgré la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, il est possible de faire en sorte que toutes les voix, toutes les idées et toutes les opinions puissent s’exprimer et être entendues.
Et que pensez-vous de l’alternance ?
Je suis hésitant sur les débats à propos de l’alternance. Parce que les vertus de l’alternance ne sont pas encore démontrées et suffisamment établies. S’il y a quelque chose qui me paraît primordial, c’est le dialogue, c’est l’écoute. Il faut s’assurer que les dirigeants sont constamment à l’écoute du peuple, que les uns et les autres peuvent s’exprimer et apporter leurs idées, ainsi que leurs contributions à la marche du pays.
Il faut aussi être attentif à l’efficacité de l’action publique. Il faut être attentif à l’impact que l’on a, aux résultats tangibles, aux changements concrets qui peuvent être ressentis par les populations. C’est le plus important. Si c’est la même femme ou le même homme qui est en mesure de donner satisfaction face à ces enjeux, le reste me paraît totalement accessoire.
En tout cas, cela n’a jamais été et ne sera jamais une cause de combat politique pour moi. Des femmes et des hommes peuvent « alterner » sans qu’il n’y ait ni de changement ni de résultats. Nous avons encore beaucoup de défis à relever et ces défis n’ont rien à voir avec la question de l’alternance. Il faut avoir aussi l’humilité de dire que tout n’est pas parfait.
Mais le dire ou le constater ne signifie pas que, demain, c’est en mettant quelqu’un d’autre, qu’on aura des résultats meilleurs.
Charles Djade – À Lomé