Persepolis ou Esteghlal? Les Rouges ou les Bleus? La tension monte en Iran avant le derby mercredi entre les deux clubs de foot de Téhéran, dont la rivalité déchaîne les passions sportives mais aussi politiques depuis des décennies.
« C’est le match le plus important. Il y a une ambiance de folie, incroyable. La moitié des tribunes est toute bleue, l’autre toute rouge », témoigne Kevin Yamga, le seul Français jouant en Iran, qui a disputé cinq derbys depuis qu’il a rejoint Esteghlal en 2021.
L’immense stade Azadi, dans lequel évoluent les deux clubs, fera le plein pour ce 103e derby de l’histoire. L’enceinte peut accueillir 80.000 spectateurs –dont certains prêts à parcourir des centaines de kilomètres et à dormir près du stade pour être sûrs d’avoir un billet– mais ils seront un peu moins nombreux mercredi en raison de travaux.
Ce match au sommet pourrait cette année être essentiel dans la course au titre puisque Esteghlal compte trois points d’avance sur Persepolis, le champion sortant, à dix journées de la fin du championnat.
Identités propres
Au fil des décennies, les deux clubs les plus populaires d’Iran ont cultivé leur propre identité, l’ancrant dans l’histoire complexe du pays.
Esteghlal (« Indépendance » en persan) est ainsi considéré comme le club de l’élite, proche du pouvoir. Fondé en 1945 par un officier influent sous le nom royal de Taj Téhéran (« Couronne de Téhéran »), il a été associé à la dynastie des Pahlavi, qui a régné sur l’Iran jusqu’à la chute du shah en 1979, chassé par la Révolution islamique.
A l’opposé, les Rouges de Persepolis, crée en 1967 par un champion du boxe, se veulent le club du peuple.
« Mais en vérité, Persepolis avait des joueurs fiers d’être membres de la police secrète du shah, tandis que certains joueurs de Taj étaient de la gauche » anti-monarchie, relève Ebrahim Afshar, un des journalistes sportifs les plus connus du pays.
Les deux clubs ont réussi à survivre à la Révolution islamique, dont les initiateurs considéraient le football comme un passe-temps promu par l’ancien régime pour détourner l’attention de la population des « questions sérieuses ».
Plus de 45 ans après, la politique reste un pilier de la culture des supporters des deux clubs, qui s’accusent mutuellement de bénéficier du soutien financier du gouvernement.
Pour Kevin Yamga, cette « rivalité haute en couleur » est comparable à celle qui existe entre les clubs anglais de Manchester, United et City, ou écossais de Glasgow, le Celtic et les Rangers.
Elle est tellement exacerbée que de nombreuses personnalités cachent leur préférence pour l’un ou l’autre, afin d’éviter de subir les critiques des supporters de l’équipe adverse.
Sur le plan sportif, les derbys se terminent fréquemment par des matchs nuls: 49 sur 102 jusqu’ici, tandis que Persepolis en a gagné 27 et Esteghlal 26.
« Coup de dé »
« L’histoire du derby a montré que la pression est telle que le résultat se joue souvent sur un fait de jeu, un coup de dé, plutôt que sur la qualité des équipes », souligne Ebrahim Afshar.
Il est donc peu probable de voir se répéter la déculottée 6-0 infligée par Persepolis à Esteghal en 1973, dont les supporters du club le plus titré d’Iran cultivent avec fierté le souvenir.
Comme il est de tradition, le « surkhabi » (« rouge et bleu » en persan) devrait être cette année encore très disputé sur le terrain, ce qui a parfois poussé la fédération à confier le sifflet à des arbitres étrangers, moins susceptibles de subir des pressions.
Mais cette année, c’est surtout la présence, pour la première fois en Iran, d’une femme au sein de l’équipe d’arbitrage d’un match masculin qui marque les esprits: Mahsa Ghorbani, 34 ans, sera l’un des trois arbitres chargés de l’assistance vidéo (VAR).
Cette première est une nouvelle étape dans la timide ouverture aux femmes du football en Iran: après des décennies de lutte pour que s’entrouvrent les portes des stades, 3.000 d’entre elles ont pu assister à leur premier derby en 2023, ce qui avait été salué par la Fifa.
SOURCE : AFP