Voix et préoccupations du Sud

                                               

 Ambassadeur (retraité) Asoke Mukerji

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Les voix et les préoccupations des pays en développement au sein des Nations Unies, collectivement appelés « le Sud », donnent la priorité à la paix, à la sécurité et au développement. Ces objectifs requièrent un cadre intégré de coopération internationale, dans lequel les pays du Sud participent sur un pied d’égalité à la prise de décision.

L’identité collective du Sud a commencé à émerger à l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) en décembre 1963, lorsque les pays en développement ont proposé deux amendements importants à la Charte des Nations Unies de juin 1945 en vue d’une plus grande représentation au sein des organes de l’ONU. Ces amendements ont porté le nombre de membres élus du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) de 6 à 10, et le nombre de membres élus du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC) de 18 à 27. En 1971, la Charte a été à nouveau amendée pour porter le nombre de membres de l’ECOSOC à 54, représentant toutes les régions géographiques du monde.

En juin 1964, le Sud a créé sa propre plate-forme au sein des Nations Unies, le groupe des 77 pays en développement (G-77). Le G-77 cherche à obtenir des réformes structurelles au sein de l’ONU afin de soutenir ses priorités en matière de développement socio-économique. L’Assemblée Générale des Nations Unies a réagi en créant le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1965. Aujourd’hui, le PNUD est actif dans 170 pays, dont la plupart sont des pays du Sud. Elle est le « visage de l’ONU » sur le terrain, soutenant une série d’activités socio-économiques nationales menées en coordination avec les agences spécialisées de l’ONU et ayant un impact sur tous les aspects de l’activité humaine.

En octobre 1967, la Charte d’Alger a été adoptée par la première réunion ministérielle du G-77. Elle préconise la création d’un Nouvel Ordre Economique International afin d’accélérer le développement des pays du Sud. En réponse, plusieurs pays développés ont exprimé leur inquiétude quant à l’impact du développement rapide sur l’environnement. Lors de la Première Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain, en juin 1972, les pays du Sud, comme l’Inde, ont rejeté ces tentatives de limiter le développement en raison de la protection de l’environnement, en déclarant que « la pauvreté est le plus grand pollueur ».

L’Assemblée Générale des Nations Unies a reconnu le « droit au développement » comme un « droit de l’homme inaliénable » en 1986 par le biais d’une résolution votée, à laquelle se sont opposés certains pays développés. En 1987, la Commission Brundtland des Nations Unies a présenté son rapport sur le « Développement Durable », faisant converger la demande du Sud pour un développement socio-économique accéléré avec l’objectif mondialement accepté de protection de l’environnement. Près de trois décennies plus tard, en septembre 2015, l’AGNU a adopté à l’unanimité l’Agenda 2030 sur le Développement Durable, avec ses 17 Objectifs de Développement Durable (ODD).

L’Agenda 2030 représente la consolidation des priorités des pays du Sud. Deux engagements importants concernant les « moyens de mise en œuvre » pour atteindre les ODD font partie intégrante de l’Agenda 2030. Il s’agit des flux de ressources financières des institutions financières multilatérales et des transferts de technologies appropriées vers le Sud.

Les préoccupations du Sud aujourd’hui se reflètent dans l’évaluation faite par les dirigeants mondiaux réunis lors du Sommet des Nations Unies sur les ODD en septembre 2023, selon laquelle « la réalisation des ODD est en péril » en raison des « nombreuses crises » auxquelles le monde est confronté. En tête de liste de ces crises figurent l’impact de la pandémie sans précédent de Covid-19 et la forte escalade des conflits violents, qui ont tous deux eu des répercussions négatives sur un très grand nombre de personnes, en particulier dans les pays du Sud.

Lorsque l’Agenda 2030 a été adopté en 2015, 60 millions de personnes dans le monde étaient touchées par des conflits violents inscrits à l’ordre du jour du Conseil de Sécurité de l’ONU. Ce chiffre a explosé pour atteindre 314 millions de personnes en 2022, principalement dans les pays du Sud. En octobre 2022, la Banque Mondiale a indiqué que la pandémie de Covid avait poussé 90 millions de personnes supplémentaires, principalement dans les pays du Sud, dans les rangs des 670 millions de personnes dans le monde qui vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2,15 dollars par jour.

Les conflits en cours en Afrique, en Asie et en Europe, dont les images des guerres en Ukraine et à Gaza sont visibles dans les médias internationaux, ont mis en péril l’Agenda 2030. Ces conflits sont imputables à un CSNU de plus en plus inefficace. Ses cinq membres permanents (P5) cherchent à maintenir leur statut dominant grâce à leur droit de veto, en dépit du fait que les P5 étaient parties prenantes au mandat unanime de l’AGNU de septembre 2005 pour des réformes rapides du CSNU, y compris sur la question du veto.

Un CSNU inefficace a créé un espace propice à l’émergence d’un protectionnisme et d’un militarisme agressifs dans les pays développés, l’unilatéralisme cherchant à remplacer le multilatéralisme. Malgré la forte opposition des intérêts protectionnistes bien ancrés dans les pays développés, plus de 100 pays du Sud ont soutenu une initiative de dérogation à l’obligation de vaccination à l’Organisation Mondiale du Commerce en juin 2022 afin d’atténuer la pandémie de Covid.

En Décembre 2023, 131 pays du Sud ont voté en faveur de l’adoption d’une résolution de l’AGNU condamnant « la poursuite de l’application et de la mise en œuvre unilatérales par certaines Puissances de mesures coercitives unilatérales », et rejetant ces mesures, « avec tous leurs effets extraterritoriaux ».

L’Inde a coordonné la réponse du Sud mondial à ces défis permanents en organisant deux sommets virtuels de la Voix du Sud Mondial en janvier et novembre 2023 pendant sa Présidence du G-20. 125 pays, dont 47 d’Afrique, 31 d’Asie, 29 d’Amérique latine, 11 d’Océanie et 7 d’Europe, y ont participé pour exprimer leurs préoccupations et chercher des solutions en réformant les structures multilatérales. Lors du Sommet du G-20 de New Delhi, le 9 septembre 2023, l’Inde a annoncé l’inclusion de l’Union Africaine, qui compte 55 pays, dans le G-20 en tant que 21e membre, élargissant ainsi considérablement la composition et l’orientation du groupe en faveur du Sud.

Les dirigeants du Sud ont cherché à réformer les institutions multilatérales pour répondre efficacement aux défis auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Ils se concentrent actuellement sur le Sommet de l’Avenir des Nations Unies qui se tiendra en septembre 2024 à New York. L’objectif des pays du Sud est de faire en sorte que ce Sommet débouche sur la convocation d’une conférence Générale des Nations Unies en 2025. Les résultats d’une telle conférence, basée sur le dialogue et la diplomatie, peuvent revitaliser les Nations Unies, en restaurant l’intégrité d’un cadre international intégré pour réaliser les priorités du Sud.

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[Ambassadeur (retraité) Asoke Mukerji, ancien Représentant Permanent de l’Inde auprès des Nations Unies à New York].