La cinquième édition de la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante a été célébrée mercredi, et pour la première au siège de l’UNESCO à Paris.
« Cette journée a été initiée par le Togo en 2019 et adoptée par l’UNESCO, revêt un intérêt majeur pour nous peuples d’Afrique et les communautés afrodescendantes puisque nous demeurons convaincus suivant Cheikh Anta DIOP que la culture reste le pilier essentiel de la renaissance africaine. Il n’y a pas de repères sans enracinement et la culture est l’un des facteurs essentiels de la conduite humaine », a souligné Robert Dussey (ministre togolais des affaires étrangères).
« L’africanité porte des valeurs positives de paix, de dialogue et d’acceptation mutuelle entre les peuples. Dans le monde tumultueux où nous vivons aujourd’hui et qui va en se conflictualisant davantage, il y a l’urgent besoin d’un supplément d’humanisme et de fraternité dont on peut trouver les recettes dans l’africanité. En valorisant les perspectives africaines dans la compréhension et la résolution des grands défis de notre temps dans un mouvement d’ensemble et collectif, notre humanité gagnerait en cohésion et pourra se réconcilier avec elle-même et la nature », a-t-il précisé.
Voici l’intégralité du discours de Robert Dussey au siège de l’UNESCO
Madame la Présidente de la Conférence générale de l’UNESCO,
Madame la Présidente du Conseil exécutif de l’UNESCO,
Madame la Directrice générale de l’UNESCO,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs, délégués permanents de vos différents États auprès de l’UNESCO,
Chers frères et sœurs des diasporas africaines et afrodescendantes,
Distingués invités,
Mesdames, messieurs,
Nous célébrons aujourd’hui la cinquième édition de la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante, la première ici au siège de l’UNESCO. Cet évènement, qui a pu mobiliser autant de personnes venues de multiples horizons qui témoigne de sa dimension transculturelle, traduit l’intérêt de l’UNESCO et des différents participants pour les riches traditions culturelles africaines et afrodescendantes et pour la culture en tant que vecteur du lien humain et entre les peuples du monde.
En portant cette initiative de la commémoration de la cinquième édition de la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante, qui n’aurait pu aboutir sans le soutien des États membres et l’appui de l’UNESCO, le Togo avait sans doute en mémoire l’excellent et le courageux travail de l’UNESCO sur le chantier de la diversité culturelle, de la promotion de l’histoire et des cultures africaines.
Je voudrais, Madame la Directrice générale, vous féliciter pour votre engagement personnel et pour la détermination de l’UNESCO au service de la promotion et de la préservation des traditions culturelles africaines et des communautés afrodescendantes qui sont des pans entiers non négligeables de la culture humaine. Les cultures africaines sont des biens communs de l’humanité, et la « civilisation de l’Universel » chère au Président Léopold Sédar Senghor ne peut advenir comme occasion d’épanouissement de chacun et de tous que si toutes les traditions culturelles y occupent leurs places.
Un grand sage et visage africain bien connu dans les arcanes de l’UNESCO dans les années soixante, je veux dire le malien Amadou Hampâté BÂ, déclarait en 1985 : « La diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde » tout comme « la beauté d`un tapis tient à la variété de ses couleurs ». Merci à l’UNESCO d’avoir continué de rappeler au monde par de pareil événement que la diversité humaine n’est pas incompatible avec l’unité humaine, que l’humanité est une, mais se réalise à travers une diversité de cultures. Les peuples ont eu différents rapports au monde et la culture dit les rapports spécifiques des peuples au monde.
Madame la Présidente de la Conférence générale,
Madame la Présidente du Conseil exécutif,
Madame la Directrice générale,
Distingués invités,
L’institution du 24 janvier comme « Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante » en 2019 à l’occasion de la 40e session de la Conférence générale s’inscrit dans la droite ligne de plusieurs initiatives de l’UNESCO, dont entre autres, la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (2015-2024), par laquelle l’Assemblée générale des Nations unies a réaffirmé l’importance de la contribution des cultures africaines à l’édification d’un monde prospère ; le projet de la route des personnes mises en esclavage, dont nous commémorons cette année 2024 le trentième anniversaire, a contribué à « briser » le silence autour de l’histoire de l’esclavage et à l’inscrire dans la mémoire universelle comme une tragédie indigne de l’humanité de l’homme et inacceptable ; et le projet de l’Histoire générale de l’Afrique, dont le volume X a été publié récemment, retrace l’histoire du continent et de ses diasporas.
Depuis 2019 et chaque année, c’est la diversité culturelle que nous célébrons à travers la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante. La célébration de la JMCA traduit notre parti pris pour un universalisme inclusif et participatif par opposition à un universalisme de surplomb et inhospitalier à la différence culturelle, pour reprendre les mots du philosophe canadien Charles TAYLOR.
Cet évènement revêt un intérêt majeur pour nous peuples d’Afrique et les communautés afrodescendantes puisque nous demeurons convaincus suivant Cheikh Anta DIOP que la culture reste le pilier essentiel de la renaissance africaine. Il n’y a pas de repères sans enracinement et la culture est l’un des facteurs essentiels de la conduite humaine, qui permet aux sociétés humaines de s’orienter dans le monde actuel en proie à un risque de désorganisation sans précédent.
La célébration de la diversité culturelle est le lieu d’apprentissage et de compréhension mutuelle. « Le grand problème de la vie, c`est la mutuelle compréhension », disait Amadou Hampâté BÂ. C’est le défi de la mutuelle compréhension humaine que l’UNESCO et ses États membres aident le monde à relever à travers les initiatives de célébration de patrimoines culturels dont la JMCA. Faire du lien culturel le fondement de la paix dans le monde : voilà le pari de l’UNESCO que le Togo soutient au service d’une humanité réconciliée avec elle-même.
Madame la Présidente de la Conférence générale,
Madame la Présidente du Conseil exécutif,
Madame la Directrice générale,
Distingués invités,
En mettant en avant le concept d’« africanité globale » dont les enjeux théoriques et pratiques ont été élucidés dans le volume X de l’Histoire générale de l’Afrique, la présente édition de la JMCA met en exergue non seulement les relations entre l’Afrique et les personnes d’ascendance africaine vivant hors d’Afrique, mais aussi la dissémination des valeurs et des traditions culturelles africaines à l’échelle du monde. La mobilité africaine dans le temps et dans l’espace a fait de l’africanité une réalité en mouvement et sans frontière. L’Afrique féconde le monde à travers ses fils et les afro-descendants où qu’ils soient dans le monde puisque l’être humain voyage avec des traditions culturelles qu’il porte en lui et distille autour de lui. Du coup, comme le dit Alain MABANCKOU, « L’Afrique n’est plus seulement en Afrique. En se dispersant à travers le monde, les Africains créent d’autres Afriques, tentent d’autres aventures, peut-être salutaires pour la valorisation des cultures du continent noir ».
L’africanité, (dont les panélistes nous diront le contenu, je l’espère), qui s’exprime au Bénin comme au Brésil, en Haïti comme en Jamaïque, en Martinique comme à la Barbade et à tous les coins de la terre où l’on rencontre des Africains et des Afro-descendants, porte des valeurs positives de paix, de dialogue et d’acceptation mutuelle entre les peuples. Dans le monde tumultueux où nous vivons aujourd’hui et qui va en se conflictualisant davantage, il y a l’urgent besoin d’un supplément d’humanisme et de fraternité dont on peut trouver les recettes dans l’africanité. En valorisant les perspectives africaines dans la compréhension et la résolution des grands défis de notre temps dans un mouvement d’ensemble et collectif, notre humanité gagnerait en cohésion et pourra se réconcilier avec elle-même et la nature.
Parce que l’un des traits caractéristiques de l’africanité c’est l’ouverture, l’africanité fait corps avec l’altérité ; elle n’est pas enfermement de soi dans une identité close et isolante, mais une façon d’être soi et avec les autres. Elle est une manière d’être africain ouverte à la diversité du monde. Le concept d’Ubuntu développé dans l’Afrique du Sud post-apartheid traduit mieux cette dimension relationnelle de l’africanité en tant qu’expérience vécue et lieu de relations ontologiques fondamentales.
L’africanité oppose, en effet, à travers le concept d’Ubuntu au « Je pense donc je suis » cartésien le « Je suis parce que l’autre est », le « Je suis parce que nous sommes ».
Autrement dit, africanité permet de voir dans le monde un nœud de relations. Elle est l’autre nom de la relation qui nous constitue et nous permet de faire monde ensemble. Le courage de faire monde ensemble, voilà le rempart qu’il nous faut opposer au retour dangereux des extrémismes et des ethnonationalismes dans le monde contemporain. Faire monde ensemble dans une humanité plurielle, tel est le grand défi de notre temps.
Madame la Présidente de la Conférence générale,
Madame la Présidente du Conseil exécutif,
Madame la Directrice générale,
Distingués invités,
La soumission par le Togo du projet de résolution ayant conduit à la reconnaissance du 24 janvier comme la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante n’est pas un hasard mais s’inscrit dans la droite ligne d’une orientation que mon pays a défini depuis des années, visant à mobiliser toutes les forces (Africains d’Afrique, diasporas et afro-descendants) afin de redonner à l’Afrique et à sa culture la place qui est la leur dans le concert des nations.
C’est fort de cette conviction que le Togo a porté au niveau de l’Union africaine, une initiative qui a conduit la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de notre organisation continentale, lors de sa 34ème session des 7 et 8 février 2021, à déclarer la décennie 2021-2031 « Décennie des racines et des diasporas africaines ». La Conférence a, en outre, désigné le Togo comme champion de l’UA pour la Décennie.
Je voudrais porter à votre connaissance que dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda de la « Décennie des racines et des diasporas africaines », le Togo et l’Union Africaine coorganiseront à Lomé, du 29 octobre au 02 novembre 2024, le 9ème Congrès panafricain sur le thème : « Renouveau du panafricanisme et place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale : mobiliser les ressources et se réinventer pour agir ».
Ce Congrès, dont l’étape préparatoire de la diaspora aura lieu dans le premier semestre de cette année au Brésil, permettra non seulement d’assurer une continuité historique au mouvement panafricaniste, mais aussi de raviver la flamme du panafricanisme dans le contexte actuel où l’Afrique peine à faire véritablement entendre sa voix sur la scène mondiale.
Le 9ème Congrès panafricain sera une occasion privilégiée pour les Africains vivant sur le continent, de la diaspora et les afrodescendants notamment, de s’interroger sur la question de leur devenir humain, politique, culturel, social et sociétal, dans un monde de plus en plus instable, en panne de responsabilité collective et de gouvernance concertée impliquant l’Afrique. Les pays africains devront réfléchir sur comment inventer une forme d’association humaine, une organisation politique et de nouvelles visions afin de définir ce qu’ils veulent et peuvent pour eux-mêmes et par eux-mêmes.
Le défi actuel est de revitaliser le panafricanisme dans l’intérêt de l’Afrique et de ses diasporas à travers le monde et nous pensons que la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afrodescendante en constitue un cadre formidable. La relation de l’Afrique avec les afrodescendants ne doit pas être seulement une relation tournée vers et basée sur le passé, visant à réaffirmer leur identité africaine. Elle doit être appréhendée dans son actualité et surtout dans son avenir, un avenir à construire ensemble dans le cadre du panafricanisme et du dialogue interculturel.
Je vous invite tous à vous inscrire pour participer à cet événement qui marquera un tournant décisif dans l’histoire du continent africain et dans ses liens avec sa diaspora, laquelle a un intérêt manifeste à se mobiliser car ce 9ème Congrès panafricain a également pour ambition de chercher des réponses aux aspirations fortes de la diaspora et des afro-descendants quant à leurs origines, racines ou identités africaines.
Madame la Directrice générale,
Chers frères et sœurs de la diaspora,
Mesdames, messieurs,
La JMCA est l’un des rares événements qui rassemblent les peuples de plusieurs continents. Je voudrais à cet égard saluer l’enthousiasme manifesté par les pays du GRULAC et leur implication dans l’organisation de cette journée qui se présente aujourd’hui comme le trait d’union entre plusieurs peuples ayant un fond de culture en commun, et aussi comme le marqueur de notre capacité à travailler en synergie pour des objectifs communs.
Je voudrais ici lancer un appel solennel à toutes les organisations et regroupements d’associations des diasporas africaines et afrodescendantes partout dans le monde à s’associer à cette initiative pour qu’ensemble nous puissions poser les bases d’un renforcement des liens entre les Africains et tous ceux qui se réclament d’une ascendance africaine. Il y a une page d’histoire à écrire et chaque africain, chaque afrodescendant peut y contribuer.
Je vous remercie pour votre aimable attention.