Ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins, l’excision est une mutilation génitale féminine (MGF) qui affecte gravement la vie sexuelle des femmes. Selon Pr Baguilane Douaguibe (enseignant à l’Université et chef de service de gynécologie obstétrique du CHU Sylvanus Olympio), Il s’agit de rites entièrement néfastes qui ne sont prescrits par aucune religion.
Mais que coupe-t-on concrètement ? Quel est l’étendue des dégâts ? Peut-on réparer ? Excision et circoncision, possible comparaison ? Dans cette interview Pr Baguilane Douaguibe nous éclaire sur la pratique et en expose les dégâts.
Professeur, quelle définition donner aux mutilations génitales féminines (l’excision en l’occurrence) ?
Les MGF regroupent toutes les interventions visant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou bien, tout acte portant atteinte aux organes génitaux féminins pour des raisons non médicales.
Qu’est-ce qu’on coupe concrètement lors de l’excision ?
Pour vous dire ce qu’on coupe, il faut connaître à peu près l’appareil génital de la femme. La partie externe que nous appelons la vulve est composée de différentes parties… Il y a le clitoris et son prépuce qui est sous forme de peau et le recouvre. Il y a les petites lèvres et les grandes lèvres, les orifices (urinaire en haut et vaginale) et puis, la fourchette vulvaire avec le Mont de Vénus et la pilosité. C’est tout ça qu’on appelle la vulve.
Il y a plusieurs organes qui peuvent être visés lors des mutilations génitales, ce qui fait qu’on a quatre types de mutilations génitales.
D’abord, ce qu’on appelle excision, c’est l’ablation du clitoris. On coupe le clitoris et son prépuce. C’est le type1 habituellement.
On peut également couper les petites lèvres : associer clitoris, prépuce et petites lèvres, c’est le type 2. Et parfois, les formes les plus étendues vont jusqu’à l’ablation des grandes lèvres associées.
Le type 3, c’est l’infibulation, c’est-à-dire qu’en plus de tout ce qui a été coupé, on réduit l’orifice vaginal. On essaie de coudre cela pour réduire l’orifice vaginal. C’est le plus grave !
Le type 4 des MGF, c’est toutes les autres interventions qui peuvent se passer sur ces organes génitaux externes et qui sont volontaires : le piercing par exemple. Certaines femmes le font sur le clitoris ou les petites lèvres pour mettre des perles.
Est-ce que des parties génitales mutilées peuvent être reconstituées ?
Oui. Tout est possible aujourd’hui avec les évolutions de la science et de la chirurgie.
En ce qui concerne le clitoris, c’est une petite partie qui sort. Il y a une grande partie du clitoris qui reste à l’intérieur, donc on peut arriver à ressortir le reste. La chirurgie est assez évoluée pour faire la reconstitution du clitoris. Ça se fait et c’est ce qu’on appelle chirurgie plastique et de reconstitution. Juste qu’il perd de son naturel.
Au niveau des petites lèvres, c’est souvent difficile, mais on peut utiliser la peau pour reconstituer. Mais ça ne peut vraiment plus être naturel…
Avez-vous déjà reçu des cas de mutilation génitale féminine ?
Oui. Dans notre pratique, nous en avons reçus et nous en recevons encore d’autant plus que ça fait 10 à 15 ans qu’on a commencé par parler de cette pratique et que le taux a commencé par diminuer… Les petites filles concernées pendant cette période sont actuellement en âge de procréer… Et pour que ces cas disparaissent totalement, il faut attendre une génération, il faut attendre au moins 50 ans.
Quel regard portez-vous sur l’excision ?
Un mauvais regard. C’est une mauvaise pratique, eu égard aux différentes conséquences que cela entraîne chez la femme. Il existe plusieurs conséquences.
Immédiatement, quelle que soit la partie de l’organe, l’ablation peut entraîner une hémorragie. Quand on enlève le clitoris et son prépuce, ça saigne beaucoup parce que c’est une région très vascularisée. C’est le premier grand danger, et ça peut saigner jusqu’à ce qu’on perde même la petite fille.
L’absence anesthésie fait que la douleur est également immédiate. Il y a des risques de transmission d’infections surtout le VIH. Le tétanos fait également partie des risques encourus car, les objets utilisés ne sont souvent pas stérilisés.
Le trouble psychologique est immédiat (on a mal, on ne comprend pas pourquoi cet acte a été posé), et ça peut engendrer plus tard, la peur de l’adulte et d’autres craintes vis-à-vis de la fille.
En grandissant, est-ce qu’on fera face à d’autres problèmes ?
A court et à long termes, il y a encore des conséquences. Par exemple, chez certaines femmes, une mauvaise cicatrisation de ce qui a été coupé peut donner lieu à ce qu’on appelle des chéloïdes (une plaie qui entraîne une cicatrisation exagérée de la peau, ce qui devient beaucoup plus grave), qui va encore rétrécir l’orifice vulvaire et rendre cette région très fibreuse, alors qu’elle devrait être souple. Toujours à long termes, ça peut entraîner un problème de fertilité.
D’aucuns disent qu’une fille excisée sera une femme fidèle. Qu’en dites-vous ?
Non elle sera une fille ou femme traumatisée. C’est plutôt une erreur de conception ou d’appréciation car, le clitoris est un organe de plaisir. Si je ne l’ai pas, j’irai à la recherche de ce plaisir partout (où est donc la fidélité ?). En plus la femme à plusieurs niveaux de plaisir, et chez certaines femmes le plaisir clitoridien est accessoire.
Professeur, que dire donc de la sexualité d’une femme excisée ?
Ce que nous venons de dire peut entraîner un problème de sexualité : ça ne va pas être un plaisir pour la femme car, elle aura mal pour l’acte sexuel. Nous avons reçu en consultation, un couple pour difficultés sexuelles. La dame avait moins de 20 ans. C’est après le mariage que l’homme a constaté qu’il ne pouvait pas pénétrer sa femme, et la femme aussi refusait les rapports sexuels.
C’est en l’examinant que nous avons constaté que le conduit vaginal était complètement réduit (à cause de l’excision qu’elle a subi étant petite) et que toute pénétration forcée allait entrainer des dégâts énormes. Heureusement que le mari n’avait pas trop forcé. C’est après le mariage qu’il a senti ces difficultés et ils sont venus en consultation, …
Parfois ça empêche même la conception. De plus, les infections nées de cette ablation peuvent également migrer vers les organes génitaux internes (cavité utérine, trompes) pour entraîner des obstructions, d’où des problèmes de conception plus tard.
Il y a des femmes qui, malgré tout arrivent à tomber enceinte. Sont-elles menacées ?
Il y a les conséquences obstétricales : si cette femme arrive à tomber enceinte, l’accouchement pose souvent un problème, car pour l’accouchement, le périnée de la femme doit être souple. Or, cette plaie a rendu cette zone fibreuse et rigide. Elle ne va donc pas se distendre pour pouvoir laisser passer la tête du bébé. Donc ça peut bloquer et rendre difficile l’accouchement et entraîner encore d’autres conséquences plus graves pour la femme, comme les fistules obstétricales puisque l’accouchement a traîné.
Quand il y a des difficultés d’accouchement, la femme risque une césarienne alors qu’en temps normal, elle n’en aurait pas besoin.
Parfois le bébé sort en entraînant une déchirure, la femme va donc saigner… Comme c’est une région très vascularisée, ça ne se déchire pas dans le bon sens. C’est souvent un peu en désordre et l’hémorragie peut être difficile à maitriser. Donc elle risque des accouchements difficiles avec comme risques, des césariennes et des risques d’hémorragie qui peuvent parfois entrainer la mort.
Généralement, pour les relations sexuelles, on y va par étape, histoire de permettre à la femme d’être dans de bonnes conditions et disposée à accueillir convenablement son conjoint…
En principe, pour la sécrétion des substances qui permettent à la femme d’être lubrifiée avant les rapports sexuelles, il y en a qui sont placées juste sous le clitoris et si l’ablation va jusqu’aux petites lèvres ça peut, lors de la cicatrisation, obstruer les orifices vaginales. Mais d’autres sont au niveau de la fourchette vulvaire et si les grandes lèvres n’ont pas été coupées, ça reste toujours… Mais, il faut que tous les contours soient souples et non une partie, or les deux tiers partent avec l’excision.
Peut-on comparer l’excision et la circoncision ?
Une comparaison, je peux dire oui et non.
Non parce que, sur le plan anatomique, ce n’est pas la même chose. Alors que chez l’homme, la circoncision consiste à enlever seulement le prépuce, l’excision féminine est l’ablation du clitoris et de son prépuce.
Ce n’est donc pas la même chose car, en cas d’excision, on enlève et l’organe sensible, et son prépuce alors que chez l’homme, c’est seulement le prépuce qui est enlevé et le gland (l’équivalent du clitoris chez la femme) reste en place.
Oui, parce que, autant la circoncision a des avantages aussi bien pour l’homme que la femme (plaisir, lutte contre IST), autant l’excision ou les MGF a des inconvénients aussi bien pour la femme que pour l’homme (difficultés sexuelles, obstétricales, psychologique)
Un homme circoncis, ça permet d’éviter les infections. Et si l’homme n’est pas infecté, il ne peut transmettre à la femme. Mais pour l’excision, il n’y a pas d’avantage, tout est néfaste, autant pour la femme que pour l’homme. Il n’y a aucun avantage, sauf des inconvénients.
Quel message donc à l’endroit de la population ?
Simple : aucune religion ne prône les MGF, ni l’animisme, ni le christianisme, ni l’islam. C’est souvent le fait de certains rites ou conception de statut sociale (mariage). Si la nature ne peut pas changer, la culture peut changer lorsqu’elle présente des inconvénients dans sa pratique. Il n’y a aucun avantage dans l’excision ; ni pour la femme, ni pour l’homme : tout est néfaste. FIN
Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE