Assis sur un tabouret au milieu d’une petite concession, Antoine Ounadja, réfugié burkinabè à Dapaong (localité située à plus de 660 km au nord de Lomé) se souvient encore des dernières heures passées dans son village.
« Ce n’était pas facile, car c’était la psychose totale. Des djhadistes nous avaient donné un ultimatum de 48 heures pour quitter le village. Les gens couraient dans tous les sens. J’ai quitté nuitamment le village avec ma famille. Nous avons passé quelques jours dans un autre village, avant de venir à Dapaong », raconte M.Ounandja, les yeux larmoyants.
Ce dernier vivait à Pama, ville située à environ 326 km à l’est de Ouagadougou, en proie à des attaques terroristes.
Depuis décembre 2021, Antoine Ounadja et ses enfants et sa femme vivent dans une famille d’accueil à Dapaong : « Je suis bien accueilli. Bien vrai, nous ne pouvons pas êtres comme chez nous. Mais dans l’ensemble, on ne se plaint pas ».
Son « ancienneté » fait de lui, le représentant des réfugiés burkinabè vivant à Dapaong. Et plus de 29.000 burkinabè se sont réfugiés dans le nord du Togo, fuyant les actes terroristes dans leurs localités, selon les statistiques de la Direction régionale de l’action sociale/région des Savanes.
« Le nombre de réfugiés varie en fonction des incursions dans leurs villages. Avec les données actualisées, nous avons 29.312 réfugiés burkinabè. A ce nombre s’ajoutent, 10.843 déplacés internes, c’est-à-dire des togolais qui ont fui l’extrême-nord du pays et qui ont trouvé refuge dans des familles d’accueil à Dapaong », précise Martin Dametoti Kombaté, Directeur régional Action sociale/Savanes.
Le Togo est également frappé de plein fouet depuis novembre 2021 par des attaques terroristes dans l’extrême-nord, région frontalière au Burkina-Faso. Situation qui provoque le déplacement des habitants des villages touchés.
–Enfants traumatisés–
Ainsi ces réfugiés et ces déplacés internes sont accueillis dans plusieurs familles à Dapaong. Parmi ces derniers, on dénombre des femmes et des enfants pour la plupart « traumatisés ».
« Certains enfants ont reçu des chocs, ils sont traumatisés, car ils ont vu leurs parents mutilés et parfois brûlés. Ils sont pris en charge psychologiquement, durant trois mois avec un suivi. Nous faisons aussi des suivis réguliers des personnes traumatisées », a souligné M.Kombaté.
Outre l’assistance du gouvernement et des organismes internationaux dont le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM), les populations locales font le gros du travail au quotidien, mettant en avant générosité, bienveillance et cordialité dans la manière d’accueillir et de traiter leurs hôtes.
« Nous avons fait un travail en amont, en sensibilisant nos populations pour qu’ils puissent accueillir nos frères burkinabè et nos compatriotes de la préfecture de Kpendjal qui arrivent chez nous. Quand ils arrivent, ils sont accueillis dans les maisons et vivent ensemble avec les familles. Ils partagent le repas avec elles. Certaines bonnes volontés notamment des cadres de la localité viennent en aide par moments à ces familles d’accueil pour que la situation ne pèse pas trop sur elles, a confié Tchabi Gaëtan Lorempo, 3ème adjoint au maire de la préfecture de Tone 1.
Outre leurs portes, les populations locales leur ont ouvert leurs greniers et leur cœur.
« Nous nous sommes bien organisés. Nous faisons des cotisations, nous passons dans des familles pour collecter des fonds pour venir en aide à ces personnes. Nous achetons des vivres, nous collectons aussi des habits, des vêtements auprès des familles. Cette solidarité est vivace quotidiennement, car nous sommes dans une situation où personne ne doit croiser les bras », a appuyé El Hadj Mondo Ibrahim, président de l’Union musulmane de la préfecture de Tone.
« Nous faisons en sorte qu’ils se sentent comme chez eux. Des messages sont diffusés dans nos mosquées lors des grandes prières. Les Imams sont informés et sensibilisent les fidèles musulmans », a-t-il poursuivi.
–Une vie en communauté–
« Certains enfants venus du Burkina-Faso vont déjà à l’école à Dapaong. Certains réfugiés et déplacés qui ont appris des métiers, se sont réinsérés socialement. C’est vraiment une vie en communauté, pas de problèmes inter-ethniques », a-t-il ajouté.
C’est le cas de Lamine Youssef (35 ans), venu de Nongfaïré (nord du Burkina). Ce maraîcher a repris ses activités, les autorités locales de Dapaong l’ayant aidé à obtenir un petit champs non loin de son lieu d’hébergement.
« J’ai tout laissé dans mon village et j’ai fui. Les terroristes ont tout brûlé en une seule nuit : des cases, les bœufs, nos récoltes. Ils ont tué beaucoup de personnes. C’était vraiment atroce. Ici à Dapaong, j’ai repris avec un petit champs de maraîchage depuis deux mois », s’est-il réjoui.
Issa Pafadnam (19 ans), venu Madjoari, apprend la mécanique, dans un garage-auto. Ce dernier faisait une activité similaire dans son village : « c’est le propriétaire de ma maison où je vis qui est propriétaire du garage. Je reste avec lui dans son garage pour apprendre le métier ».
Certaines femmes réfugiées ont même appris sur place, la fabrication de savons et en font déjà leur petite activité génératrice de revenus.
« Ce sont ces familles d’accueil qui sont leur lueur d’espoir. C’est une générosité manifestée dans toute la région du nord », a salué Affiwa Amelessodji, Directrice du projet « Savanes Motaog », une initiative de Plan International et d’autres partenaires pour promouvoir la cohésion sociale et lutter contre l’extrémisme violent dans la région du Nord-Togo.
Par ailleurs, le gouvernement a lancé depuis plusieurs mois, un vaste Programme d’urgence pour la région des Savanes (PURS) dans l’extrême-nord – considéré comme la région la plus pauvre du Togo – pour accompagner les populations. Plus de 50 milliards de F.CFA sont déjà engagés dans des travaux de construction d’écoles, de pistes rurales, d’ouvrages d’adduction d’eau potable, d’assainissement et des travaux d’électrification dans plusieurs villages. FIN
Ambroisine MEMEDE