Pap Koudjo : « Aucun pays en Afrique ne s’est développé et ne peut se développer avec le modèle démocratique occidental » (Interview)

Pap Koudjo

Pap Koudjo (Journaliste et fondateur du célèbre bimensuel satirique Pipo Magazine au Togo) publié le 21 décembre 2022, son premier roman intitulé : « La démocratie dictatoriale de Kadayed ».

Préfacé par Aboudou Touré Cheaka (ancien ministre des affaires étrangères et de la coopération du Togo), cet essai de 138 pages est édité par « Les impliqués » en France.

Dans ce bouquin, à la limite d’un reportage téléguidé sur un personnage fictif, dirigeant d’un pays imaginaire d’Afrique subsaharienne, Pap Koudjo questionne les notions de gouvernance dite démocratique et dictatoriale, à l’aune du développement et du bien-être des populations.

Dans une interview accordée à l’Agence Savoir News, l’auteur revient largement sur plusieurs aspects de cet essai.

Savoir News : En parcourant les premières pages de votre essai, on a vraiment l’impression que vous êtes bien collé à l’actualité en vous inspirant de la situation au Mali, au Burkina et en Guinée, lorsque vous décrivez le jeune capitaine Dafik. Apparemment, c’est une situation qui nous caractérise dans la sous-région ouest africaine ?

Pap Koudjo : Effectivement, c’est un scénario qui est très similaire à celui de certains pays de la sous région ouest africaine dont le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry. J’avoue avoir été inspiré par l’actualité socio politique de ces pays précités. Non pas pour encourager les coups d’Etats, mais rappeler aux uns et autres qu’il y ait coup de force ou pas, il faudrait avoir l’amour de son pays et de son continent et poser des actes désintéressés qui vont dans le sens du bien-être de tous.

Pap-Koudjo, lors de la dédicace du livre le 5 avril à Lomé

La démocratie dictatoriale de Kadayed » a l’air d’un bouquin hautement politique. À travers un style journalistique très pointu, l’auteur ne peint-il pas habilement certains présidents africains actuellement au pouvoir et qui servent de +modèle+ pour la jeunesse, surtout lorsque nous parcourons – secteur par secteur – les prouesses du Togati sous la houlette de son président ?

Je ne saurais le dire expressément. Cependant, quand vous circulez dans la plupart des pays africains, chose que j’ai eu la chance de faire, tant soit peu, force est de reconnaître que les jeunes et les populations en général, aspirent à un mieux être. En tant que citoyen Africain, voix des sans voix, dans une moindre mesure, je me suis mis en situation, comme le dirait Jean Paul Sartre, pour exprimer leurs ressentis et besoins. Voilà pourquoi j’ai essayé de toucher du doigt plusieurs secteurs ou thématiques qui ont trait à la gestion socio-économique et politique d’un État. Toute ressemblance avec un quelconque personnage ou un quelconque pays ne serait que pure coïncidence.

« Moins de cinq après la prise de pouvoir de Kadayed, le PIB du Togati a plus que décuplé, passant de 1500 dollars à 21000 dollars par habitant. Ce que nombre d’économistes ont qualifié de miracle du XXiè siècle en évoquant les prouesses économiques du Togati ». Par ailleurs, « les actions et mesures » prises par kadayed sont « appréciées par autant la population à la base que par une majorité des Togatiens de l’extérieur ».

Actuellement, quels pays africains (au moins un exemple) peut-on comparer à Togati, même si les données économiques ne sont pas aussi élogieuses ?

En littérature, on utilise souvent l’hyperbole, une forme d’exagération, pour peindre ou dépeindre une situation au point d’en susciter des débats. Voilà comment je suis arrivé à donner libre cour à mon imagination à travers la satire, à faire comprendre aux uns et aux autres que l’Afrique aussi en est capable, pour ce qui concerne le « miracle économique du Togati » comme décrit dans mon ouvrage. Je suis convaincu que ce genre de prouesse prendrait un peu de temps dans la réalité mais cela n’est pas non plus impossible. Tout est question de vision et de volonté politique. Si Kadayed l’a fait, même si c’est dans un livre, les autres pourraient le faire également.

Actuellement, malgré tous les reproches qu’on pourrait formuler à tort ou à raison à l’égard de son président, Kagamé, pour ne pas le nommer, le Rwanda semble être sur une bonne voie. Si la Libye de Khadafi n’avait pas été bombardée et détruite par les occidentaux, elle aurait été l’illustration quasi parfaite de Togati dont j’ai parlé dans mon essai.

Le 30 août 2022, le président béninois, Patrice Talon, invité à la Rencontre des entrepreneurs de France, affirmait : « Le recul démocratique est le sacrifice à faire pour conduire le pays au développement. Moi, je n’ai pas l’ambition d’avoir une expression démocratique identique à la France ». Un petit commentaire ?

En réalité, cela se passe de tout commentaire et humblement, j’approuve les propos du président Béninois sur ce plan. Le modèle de gouvernance dit « démocratique » et qui plus est Français, n’est pas adapté aux Africains. C’est d’ailleurs un gros frein pour notre développement. Encore que les occidentaux eux-mêmes peinent à trouver le bon équilibre pour ne pas louvoyer entre démocratie, autocratie et dictature, je crois humblement qu’il faille que les Africains repensent, chacun à son niveau, au modèle de gouvernance socio politique, compatible avec son développement tous azimuts.

Vers la fin de votre essai, vous avez mis l’accent sur le mot « démocratie » et vous écrivez : « Dans un cas comme dans l’autre, c’est le fameux +peuple+ qui a été berné. Sans qu’il ne soit consulté, on lui propose un concept de gouvernance : la démocratie. De ce concept, on établit des règles auxquelles il est soumis. Et après, on vient vers lui par un jeu électoral, solliciter son suffrage pour +entériner+ la forfaiture (…) Néanmoins, la nouvelle vision de Kadayed sur la gouvernance en Afrique développée dans cet ouvrage, pourrait inspirer plus d’un décideurs africains à des degrés divers ». Quel sens donnez-vous à cette notion de « démocratie », qui selon vous a « reçu un coup de galvaudage » ?

Justement, comme je le disais, ce concept de « démocratie » est un cadeau empoisonné que l’Occident a envoyé aux Africains. Depuis le discours de la Baule, nous en payons le prix jusqu’à aujourd’hui. Juste parce que ce concept serait à la base des guerres civiles et autres troubles socio politiques qui sapent l’émergence des pays Africains. Aucun pays en Afrique ne s’est développé et ne peut se développer avec le modèle démocratique occidental. D’ailleurs, les occidentaux eux-mêmes n’ont pas connu le développement grâce à ce concept de gouvernance appelé « démocratie »…  Quid de la Chine, le Qatar, la Russie, l’Arabie Saoudite et même l’Angleterre qui se sont développés sans être des « démocraties » ? Humblement, je souhaiterais inviter les Africains, nos dirigeants en premier, à prendre conscience de l’urgence de l’heure en mettant l’Homme dans leurs préoccupations quotidiennes afin d’impulser des changements structurels qui Lui garantissent le mieux être. Une autre Afrique est possible. Une Afrique paisible et prospère, loin des clichés qu’on lui colle à longueur de journée dans des médias occidentaux et ailleurs. FIN

Propos recueillis par Junior AUREL