Doubles ventes de terrains par-ci, occupations anarchiques des réserves administratives et expulsions forcées par-là : les litiges fonciers sont récurrents au Togo et constituent le gros lot des dossiers devant les tribunaux.
Plus de 70% des affaires pendantes devant les tribunaux du pays sont liés au foncier, selon un rapport publié en 2019 par le ministère de la justice.
Le phénomène s’est répandu sur l’ensemble du pays. Ainsi, on peut lire sur certaines clôtures de maisons : « A casser, ordonnance n°….. », « terrain litigieux », ou encore « Terrain à ne pas vendre ».
Parfois des expulsions massives sont ordonnées -après des décisions de justice- dans des quartiers et des villages, entraînant souvent des accrochages entre forces de l’ordre et occupants.
« Je suis menacé depuis 8 ans de vider les lieux, alors que j’ai acheté mon terrain depuis 1980. J’ai tous les papiers dont le titre foncier. L’huissier de justice m’a notifié une décision de justice opposant deux collectivités. Et dans ses explications, le terrain m’a été vendu par le géomètre qui aurait volé un certain nombre de terrains. Je vous avoue que je ne comprends rien dans cette affaire. Quelle est alors la valeur du titre foncier ? Moi, je ne bougerai pas de ma maison », a martelé Edoh Noudjivigan, un sexagénaire vivant à Hedzranawoé.
Dans ce quartier, de nombreuses familles se sont retrouvées à la rue, chassées de la réserve administrative de l’État; ils y habitaient depuis des années, dans une rocambolesque affaire opposant deux collectivités depuis plus de 35 ans.
Ces genres de ligites et contestations sont devenus un sport national. Et dans la plupart des cas, les décisions de justice sont dénoncées par les justiciables, qui crient à la « fraude » et à la « corruption » des magistrats.
Abdoulaye Yaya, président de la Cour suprême et président du Conseil supérieur de la magistrature a crevé l’abcès en août 2021 lors d’une conférence de presse, dévoilant des affaires foncières impliquant des magistrats, avocats, huissiers de police judiciaire, des officiers supérieurs, voire des autorités civiles qui n’hésitent pas à « s’approprier des terrains au détriment des pauvres justiciables ».
Cette situation l’a d’ailleurs poussé à « suspendre » toutes décisions judiciaires portant expulsion forcée et massive, démolition d’immeubles et tout déguerpissement. Mais comment en finir avec ces litiges ?
L’Etat doit peser de tout son poids dans la gestion du foncier.
« Les litiges fonciers persistent dans mon canton. Même actuellement, je gère un cas complexe. Un conseiller municipal a arraché un domaine du Collège d’enseignement général (CEG). J’ai saisi le préfet et ce dossier est sur la table », nous a confié Togbui Agbokou IV, chef canton de Kpadapé, une localité située à 127km de Lomé.
« Dans d’autres pays, la terre appartient à l’État. Mais au Togo, la terre appartient aux collectivités. Il faudrait que l’Etat prenne l’initiative d’arracher les terres aux collectivités pour en faire son bien. Car aujourd’hui, la terre coûte tellement chère, ce qui entraîne ces problèmes », a-t-il suggéré.
Nous nous sommes également rendus à Gbalanvé (environ 125Km de Lomé), où les autorités locales ont suspendu les ventes de terres jusqu’à nouvel ordre.
« Nous avons beaucoup de cas de litiges fonciers, si bien qu’il a été décidé de suspendre les ventes de terres. Donc, le préfet nous a dit ne plus signer de documents relatifs aux ventes de terres », a souligné Togbui Adatsi IV, chef canton de Gbalanvé.
A Lomé, Pasteur Edoh Komi qui est le premier adjoint au maire de la commune du Golfe 2 et président du Mouvement Martin Luther King (MMLK), suggère que l’État se montre rigoureux et fort dans la gestion de ces conflits, pour réprimer ceux qui s’adonnent aux gains faciles.
« De nos jours, la terre se vend chère et attire les appétits gloutons. A cela s’ajoute l’impunité, avec le phénomène des gros bras. Les uns et les autres se passent pour des propriétaires, sans l’être. Avec la naissance des communes, il faut recenser les domaines fonciers qui ont de problèmes et essayer de faire une cartographie, afin de pouvoir traiter cas par cas », a proposé cet élu local.
Un cadre du ministère de la justice conseille l’immatriculation foncière comme l’une des solutions aux litiges fonciers.
Mais quels sont les avantages de l’immatriculation foncière?
Selon Edo Apélété, un agent à l’Office togolais des recettes (OTR), initialement, l’immatriculation foncière n’est pas obligatoire. Mais elle sécurise les biens immobiliers. Avant d’acheter un terrain, il faut faire des enquêtes, aller vers le cadastre pour savoir : est-ce qu’on peut construire dans cette zone, n’y a-t-il pas un projet, une réserve…
« Si vous achetez un terrain et que vous l’immatriculez, votre bien est sécurisé, surtout si c’est dans une zone où il y a une approbation bien reconnue », a-t-il précisé.
C’est un acte, a-t-il poursuivi, « qui met à l’abri et qui permet au propriétaire d’être pris en charge en cas réquisition (lorsqu’une route traverse sa propriété par exemple) « .
La reconnaissance des droits fonciers est essentielle pour stimuler l’investissement et la croissance, en particulier dans les domaines de l’agriculture et de l’infrastructure ; elle permet aussi de lutter contre les expropriations, a-t-il ajouté.
La sécurisation des droits fonciers, un enjeu important
La sécurisation des droits fonciers est un enjeu important pour la réduction de la pauvreté et le partage de la prospérité, au niveau des pays mais aussi des populations. Pour éviter ces problèmes fonciers, il faut engager des démarches en vue de l’obtention du titre foncier.
Selon Eyabanè Amouzou qui est un inspecteur du cadastre (à l’Office togolais des recettes), le titre foncier confère à son détenteur, un droit de propriété sur le terrain acquis, d’où son importance.
« C’est une procédure en trois étapes dont la constitution du dossier et le suivi d’une enquête pour déceler d’éventuels litiges. Cette étape est importante pour s’assurer que le terrain ne souffre pas de litiges. Après les enquêtes, si le terrain est exempt de tout litige, un acte notarié est établi, document qui est transmis à l’OTR.. Aujourd’hui, ce document est délivré en l’espace de quelques semaines seulement. Tous les détails du processus est à consulter sur la page E-foncière accessible via le site de l’OTR www.otr.tg », a-t-il expliqué.
A en croire ce dernier, « le titre foncier créé en bonne et due forme est définitif et inattaquable, sauf s’il y a usage de faux ».
« Donc avant de signer un titre foncier, le conservateur est obligé de faire des enquêtes. Et ces enquêtes commencent par la publication au journal officiel de la République togolaise. Et dès que le journal paraît, on doit faire une visite. Et le conservateur prend soin d’informer le public, 20 jours avant à travers des affiches au niveau de la division centrale, des divisions régionales et dans les préfectures pour qu’éventuellement, s’il y a des opposants qu’ils se manifestent dans un délai de 30 jours à partir de la date d’affichage. Passé ce délai, aucune opposition n’est acceptée… tout ceci précède les formalités administratives », a indiqué Eyabanè Amouzou. FIN
YIBOKOU-MENSAH A.