Mme Jocelyne Caballero, Ambassadrice de France au Togo boucle 26 mois au Togo, une mission dont elle parle largement dans un entretien exclusif avec l’Agence Savoir News. Bonne lecture.
Excellence, vous êtes en fin de mission au Togo, après 26 mois. Quel bilan dressez-vous?
Ma mission au Togo a été marquée par la relance du dialogue politique à haut niveau entre nos deux pays : l’invitation à Paris de son excellence Faure Gnassingbé et son entretien avec le président Emmanuel Macron. Cette relance politique a donné une impulsion à nos relations économiques et notre partenariat sur les questions régionales.
Ce dialogue s’est ensuite poursuivi et prolongé par un volet intense de diplomatie parlementaire, puisque 17 parlementaires français se sont rendus au Togo, soit dans le cadre des groupes d’amitié du Sénat et de l’Assemblée nationale, soit dans le cadre de groupes d’études. Comme par exemple, le groupe d’études sur la poursuite du financement français au Fonds Muskoka qui soutient au Togo et dans un certain nombre de pays de la région, les initiatives en matière de santé maternelle et infantile.
Le Togo peut aussi compter sur un certain nombre de personnalités individuelles (députés, sénateurs) qui ont un lien avec ce pays et qui y viennent régulièrement. Et c’est important que la représentation nationale soit impliquée dans ce dialogue politique, parce qu’elle vote les budgets. Elle a aussi un rôle dans le contrôle de notre action, de son effectivité et de son efficacité. Et je crois que c’est très positif d’avoir vu tant d’intérêts de la part de nos parlementaires et surtout tant de retombées positives lorsque nous avons poussé à Paris ; un certain nombre de dossiers.
L’autre résultat principal de ma mission, c’est d’avoir – à travers un dialogue très confiant, très étroit avec les autorités et tous les acteurs de la vie politique, les milieux économiques, associatifs – créé les conditions d’un partenariat qui apporte des réponses, des solutions concrètes aux défis, aux urgences du Togo.
Pourriez-vous en citer quelques-unes en particulier ?
On pourrait citer à cet égard en particulier, le leadership de cette Ambassade pour répondre aux urgences du plan d’urgence pour le renforcement de la résilience dans les Savanes, l’accélération de notre coopération dans le domaine de l’eau et de l’hydraulique villageoise, qui va être très visible dans les tous prochains jours, avec l’organisation d’une table ronde des partenaires techniques et financiers pour la mise en œuvre d’un plan généralisé d’accès à l’eau potable.
Je voudrais aussi parler de la montée en puissance de notre coopération dans le domaine de la décentralisation, pour aider le Togo à structurer l’offre de formation des élus et des personnels administratifs et techniques des communes qui ont été mis en place, pour favoriser et développer la coopération décentralisée entre des communes et des collectivités françaises, les départements et régions qui restent très mobilisés sur le Togo. Voilà des exemples concrets qui évidemment, ne sont pas exhaustifs. On pourrait penser aussi au leadership féminin et à la lutte contre les violences basées sur le genre, qui ont conduit à la mise en place d’un nouveau programme de partenariat avec le ministère des affaires sociales, de l’alphabétisation et de la promotion des droits de la femme.
Nous avons également pris des initiatives pour la professionnalisation des industries culturelles et créatives et accompagné l’émergence de ce secteur à la fois créateur d’emplois, porteur d’identité et porteur d’opportunités de dialogue entre le Togo, sa région et aussi la France. Tous ces éléments, je crois, illustrent bien la volonté de renouvellement du partenariat que nous souhaitons avoir avec le Togo comme avec nos autres partenaires du continent africain : nous adresser à sa jeunesse, lui offrir des perspectives d’autonomie et d’accès à l’emploi. Je crois qu’il ne faut pas perdre de vue la coopération au long cours dans laquelle nous nous sommes engagés notamment, justement en matière d’éducation, de formation professionnelle.
C’est une fructueuse coopération qui embrasse beaucoup de domaines et je voudrais vous demander quels sont les secteurs clés que vous avez particulièrement suivis et appuyés.
On va parler de trois grands axes qui structurent de très nombreux programmes. Ces trois axes, c’est d’une part l’accès du plus grand nombre aux services de base. En termes de services de base je comprends éducation, santé, accès à l’eau, à l’électricité, à l’assainissement, la mobilité,…
Deuxième grand domaine, c’est de répondre aux aspiration de la jeunesse, favoriser son insertion professionnelle, l’aider à préparer son avenir de manière autonome, et cela passe évidemment par la formation professionnelle, le soutien à l’enseignement universitaire ; ou la coopération interuniversitaire, à la mobilité dans le cadre de projets structurés qui contribuent au développement du Togo ; cela passe aussi par le soutien à l’entrepreneuriat, que cet entrepreneuriat soit agricole principalement compte tenu de la place qu’occupe ce domaine dans l’économie togolaise, mais aussi la formation professionnelle aux métiers industriels.
Vous savez que j’avais consacré ma première visite sur le terrain au CFMI qui est un projet partenariat entre le secteur privé togolais et le ministère de la formation professionnelle.
Le troisième grand axe, c’est l’accompagnement des réformes de l’Etat dans quelques secteurs clés : la décentralisation, la professionnalisation des médias pour en garantir la diversité, la pluralité, la qualité ainsi que la modernisation de l’Etat et du service public notamment à travers le soutien au déploiement de l’économie numérique.
Quelles ont été les grandes réalisations dans ces trois domaines clés ?
Je vais prendre les réalisations phares. En matière d’accès aux services de base, je crois que les deux grandes réalisations ont été des réalisations dans les domaines de l’eau- l’atteinte d’objectifs très significatifs pour le pays et pour ses régions les plus vulnérables – et l’’accès à l’électricité avec un accompagnement dans les différents sous-secteurs : l’éclairage public notamment dans les régions transfrontalières, le déploiement de mini-réseaux dans des lieux trop isolés pour avoir accès au réseau, l’équipement solaire individuel pour les habitants qui sont encore plus isolés et qui ne peuvent pas bénéficier de ces mini-réseaux. Le grand projet, c’est celui de la rationalisation du réseau en particulier dans le grand Lomé, l’élimination de ces araignées et de ces branchements sauvages pour permettre des branchements légaux qui soient à la fois accessibles aux citoyens et qui sécurisent le réseau et sa capacité. Ça, c’est le projet phare dans le grand Lomé. En partenariat avec nos partenaires de l’Union européenne- nous sommes maintenant engagés dans un nouveau projet – de déploiement de ce réseau dans 53 sites urbains.
Dans le domaine de la jeunesse, je voudrais souligner les progrès spectaculaires de la mobilité étudiante. Parmi les étudiants accueillis en France, le Togo est le 9ème pays d’Afrique subsaharienne et la France est la 1ère destination des étudiants togolais. Je dis réalisation, parce que ces dernières années, sur une période de cinq petites années -quand même marquées par deux années de Covid19-, nous avons enregistré une progression de plus de 73%. Donc c’est énorme et cela montre que notre enseignement supérieur peut apporter une complémentarité utile à l’offre d’enseignement supérieur présente au Togo, que les conditions dans lesquelles on étudie en France sont bonnes, sont peut-être plus favorables qu’ailleurs et que la qualité de notre enseignement supérieur continue d’être reconnue et donc accueillante.
Dans le domaine de l’accompagnement des réformes, la décentralisation est le domaine dans lequel notre intervention est absolument nouvelle, puisqu’elle date vraiment de mon arrivée. Nous n’étions pas présents dans ce secteur pourtant clé -je pense- pour la réforme de l’Etat et la gouvernance partagée à laquelle les plus hauts responsables togolais aspirent.
Vous êtes intervenue dans beaucoup de domaines avec beaucoup de réalisations. Pourriez-vous revenir sur un point qui vous a particulièrement marqué durant vos 26 mois de mission au Togo ?
Ce qui m’a le plus marqué, ce sont mes déplacements sur le terrain. Ils ont été nombreux : telle était ma volonté, cette volonté de proximité, d’abord avec la population togolaise qui est la bénéficiaire de nos actions, de nos bonnes relations, de notre coopération. Outre la proximité ces visites de terrain, ont permis de vérifier l’impact et la qualité de ce que nous faisons. C’est un souci que nous devons avoir en permanence. Nous devons contribuer à faire bouger les lignes et nous devons en avoir le souci.
J’ai parcouru le pays du sud au nord, du nord au sud à trois reprises, malgré la période Covid19. Je suis allée à la rencontre des nouveaux élus pour les écouter, pour comprendre les défis auxquels ils faisaient face, pour justement essayer de trouver dans les programmes que nous étions prêts à mettre en place, des éléments de réponse, des outils à leur disposition. Cela m’a permis aussi évidement d’aller à la rencontre d’agriculteurs. J’ai visité encore récemment un projet d’amélioration et de rénovation de retenues collinaires pour assurer la disponibilité de la ressource en eau pendant la saison sèche. Je suis allée à la rencontre d’entrepreneurs qui créent de la richesse aussi à l’intérieur du pays. On regarde souvent Lomé, mais je crois qu’il faut aussi s’intéresser aux initiatives qui sont prises sur l’ensemble du territoire, puisque c’est cela qui permettra de réduire finalement les inégalités.
Je pense à trois magnifiques projets : un projet à Kpalimé, d’une entreprise qui se développe rapidement dans le domaine de la cosmétique et de l’hygiène corporelle. Je pense à un projet à Atakpamé de transformation de manioc en farine. Je pense également à un magnifique projet de transformation d’ananas et de noix de karité en beurre près de Tsévié. Ce sont des projets que nous avons accompagnés de différentes manières à différents stades. La création d’entreprises, c’est un risque et donc c’est tout un écosystème auquel il faut essayer de contribuer. Et je suis personnellement impressionnée par le dynamisme entrepreneurial de la jeunesse togolaise, des femmes et de leur rôle et de leur poids économique dans différents secteurs, que ce soit celui de l’agriculture ou celui du commerce.
Excellence, nous sommes arrivées à la fin de notre entretien. Mais finalement, quelle image gardez-vous du Togo. Vous repartez satisfaites de votre mission ? Quel souvenir emportez-vous ?
Vous savez, c’est enfoncer une porte ouverte : les Togolais sont extrêmement accueillants et partagent volontiers leurs ambitions, leurs défis. Ils ont la patience pour vous initier à leurs réalités. Evidemment, cela crée des conditions extrêmement favorables pour travailler et pour être efficace.
L’image que je garderai du Togo, c’est que les changements se voient à l’œil nu. Et ils se voient évidemment à Lomé, mais aussi sur l’ensemble du territoire. Donc, c’est évidemment sur un message d’espoir, de confiance, avec des vœux de prospérité et de concorde, que j’aimerais achever cette mission presqu’avec vous. FIN
Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE