Après les sommets Afrique-France de Montpellier en octobre 2021 et Afrique-Europe tenu à Bruxelles en février de cette année, un autre se tiendra en décembre prochain. Ce sera celui des États-Unis avec l’Afrique.
L’Afrique intéresse tout le monde. On le voit, les sommets des grandes puissances avec l’Afrique se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours. On assiste depuis peu à une nouvelle orientation des actions des États-Unis et de l’Europe en l’Afrique.
Quelle en est la cause principale ? Pour bien comprendre, il faut revenir à la situation générale actuelle en Afrique.
Deux phénomènes qui n’ont rien en commun se combinent et leurs conséquences bouleversent profondément les équilibres géostratégiques établis sur le continent depuis quelques décennies.
Durant les dix années écoulées, la situation sécuritaire s’est progressivement dégradée au Sahel et l’expansion du terrorisme déborde désormais dans les pays côtiers. En dehors de l’attaque de 2015 sur la plage de Grand Bassam en Côte d’Ivoire, les suivantes ont été déclenchées dès 2019 pour le Bénin et 2021 pour le Togo. Dans le sillage de ces turbulences sécuritaires, la Russie reprend pied sur le continent par ce prisme, lorgnant avec gourmandise sur les ressources naturelles du continent, comme d’autres. On note sa présence marquée en Centrafrique et au Mali. Ceci est donc le premier phénomène de la combinaison.
Par ailleurs, déclenchée en février dernier par la Russie à plus de 6000 km des côtes ouest-africaines, la guerre en Ukraine constitue le second phénomène. Elle impacte l’Afrique de manière indirecte par ses conséquences notables, particulièrement en ce qui concerne la disponibilité de certains produits comme le blé et ses dérivés, ou encore les engrais.
D’une part, force est de constater que la décennie de présence conjointe de la force française Barkhane et de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) n’a pas permis de contenir l’extension des actes terroristes. L’arrivée récente des paramilitaires russes de la compagnie Wagner au Mali, ne semble pas non plus donner – du moins pour le moment – des résultats très probants. C’est ce que l’on a pu encore constater avec l’attaque du camp de Kati, situé à 15 kilomètres à peine de Bamako, le samedi 22 juillet 2022. C’est le camp le plus important du pays et aussi celui qui abrite la résidence du président de la transition, Assimi Goïta. La capacité des individus armés à opérer sur tout le territoire malien, et presque au cœur de la capitale, reste donc intacte.
D’autre part, le déplacement de la population qui fuit la violence en abandonnant les champs, exerce une pression sur le prix des denrées alimentaires. A cela s’ajoute la raréfaction du blé, comme c’est évoqué plus haut, les stocks qui provenaient auparavant d’Ukraine n’étant plus disponibles. Une conjonction qui engendre une nouvelle vague de pénurie alimentaire et d’inflation.
Compte tenu de tout cela, les interventions de l’Occident en Afrique s’articulent désormais autour de deux axes majeurs : l’alimentation et la sécurité. C’est ce que soulignent les propos du président Macron lors de son discours du 13 juillet au ministère de la défense, et ceux de Derek Chollet, conseiller au département d’État américain, au micro de Radio France Internationale.
Ainsi, le chef de l’État français demandait à l’état-major de l’armée, au sujet des dispositifs militaires, de «repenser d’ici l’automne l’ensemble sur le continent africain». Il veut que les dispositifs militaires soient «moins posés et moins exposés». En d’autres termes, réduire la voilure.
Quant au conseiller au département d’État, il annonçait que « La sécurité alimentaire reste une des priorités de notre agenda international».
D’ailleurs, cette nouvelle orientation se confirme par les principaux thèmes que le président Macron a abordé, du 25 au 28 juillet, lors de son premier déplacement en Afrique depuis sa réélection. Il y a donc d’une part, la question de la sécurité au Bénin et en Guinée-Bissau, le premier étant devenu un nouveau terrain d’opérations pour les groupes terroristes et la seconde assurant la présidence actuelle de la CEDEAO. D’autre part, l’agriculture est un sujet phare des discussions au Cameroun.
En mettant l’accent uniquement sur la question de famine et sur la dimension sécuritaire, l’Occident se donne-t-il tous les moyens pour atteindre les objectifs visés ?
En réalité, les causes profondes du désordre en Afrique de l’Ouest sont connues. Elles reposent pour une grande part sur des questions politiques qui se caractérisent par une absence de démocratie. Il en découle une confiscation du pouvoir, un non-respect des droits humains et une mauvaise gouvernance qui alimente la corruption. Ces causes engendrent des frustrations et une précarité qui nourrissent le terreau du terrorisme. On le sait, non seulement cela favorise le détournement des jeunes par les terroristes, mais cela ampute les forces de défense du soutien de la population.
Comment lutter efficacement contre le terrorisme sans l’engagement effectif de la population aux côtés de l’armée ? Au Togo par exemple, la peur historique de l’uniforme laisse les militaires pratiquement seuls face aux terroristes, sans le soutien de la population, alors que le terrorisme prend pied dans le pays. Particulièrement dans l’extrême nord, une zone où jusqu’à 76% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et avec une présence aléatoire des services publics de base.
En ne mettant pas l’accent sur la résolution des questions politiques, les milliards de dollars injectés par l’Occident dans pays africains, pour retrouver la sécurité alimentaire et mettre fin au terrorisme, ne produiront pas nécessairement les résultats escomptés.
Et pourtant, les causes politiques de cette situation générale sont bien identifiées par l’Occident.
C’est ce que confirme dans un entretien qu’il a accordé au magazine Emile de Science Po Alumni, Frank Paris, conseiller Afrique du président français.
Il souligne ceci, «Ce serait une énorme erreur de continuer à apporter une réponse militaire à un problème politique» Et d’ajouter plus loin, «Un autre facteur non négligeable est l’aspiration à la démocratie sur le continent africain.». Il a dit l’essentiel.
Et il a raison. Le problème politique qu’engendre l’absence de démocratie est un facteur déterminant du désordre en Afrique de l’Ouest. Le terrorisme ne fait que s’y appuyer pour prospérer, propageant l’insécurité physique et alimentaire.
La manière discrète déployée par la Chine qui gagne des parts de marché sur le continent en s’inscrivant dans la durée, et la méthode plus ostensible de la Russie qui arrive par le prisme sécuritaire en ayant les mêmes visées économiques, ne représentent une menace pour les intérêts occidentaux que dans un environnement où règnent la frustration et l’absence de démocratie.
L’opinion africaine ne supporte plus cette dépendance à l’Occident qui ne se préoccupe que de ses intérêts stratégiques, quitte à soutenir des despotes, en fermant les yeux sur les questions qui préoccupent la jeunesse : démocratie, droits humains et bonne gouvernance qui ouvre les opportunités d’accès à une existence en adéquation avec l’époque à laquelle elle appartient.
Quand dans les rues de Dakar, on s’en prend aux enseignes françaises pendant les manifestations politiques, sachant que le Sénégal a une tradition démocratique et que ce n’est pas un pays particulièrement sous influence russe, il y a de sérieuses questions qui pointent. Tout comme il faut se demander, pourquoi d’une manière générale l’opinion africaine a une lecture aux antipodes des positions occidentales, en ce qui concerne la guerre en Ukraine. Ce sont de vraies interrogations.
En mettant un terme au soutien à des autocrates et en appuyant les efforts des africains sur les questions politiques pour les faire évoluer dans le bon sens, les bénéfices qui en découleraient en matière de stabilité sociale et de prospérité économique représentent les meilleurs atouts pour faire reculer le terrorisme et préserver la sécurité alimentaire. L’écosystème qui naitra de cette nouvelle donne offrira de grandes opportunités de commerce entre l’Afrique et l’Occident ainsi qu’avec le reste du monde, chacun selon leurs engagements sur le contient.
Il revient aux Etats-Unis et à l’Europe, pour ce qui les concerne, d’orienter leurs actions en Afrique, en accompagnant la jeunesse sur cette question politique. Tout le monde y gagnerait.
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais