« La réalisation de la réconciliation et de l’unité entre les togolais se heurte encore aux effets des préjugés coloniaux, c’est-à-dire aux jugements de valeur que les administrateurs coloniaux ont eu au contact des différents ensembles ethniques du Togo. Partant de leurs us et coutumes, dans une approche discriminatoire, le colonisateur a pu asseoir les bases de l’exploitation du territoire », dénonce Dr. Evalo Wiyao (enseignant chercheur et journaliste) dans son livre intitulé « Togo : Processus de réconciliation et d’union nationale à l’épreuve des préjugés coloniaux 1914-1991 ».
« Les conséquences engendrées par la gouvernance coloniale allemande d’abord puis français ensuite au Togo, notamment les frustrations chez les uns et les instincts de supériorité chez les autres ont entraîné l’éclosion de rapports heurtés, qui ne cessent d’empoisonner sous cape, le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin », enchaîné-t-il.
M.Wiyao était face ce mardi à un auditoire composé notamment d’étudiants, d’enseignants chercheurs, de journalistes et de politiques pour la dédicace de son ouvrage préfacé par Kodjona Kadanga, professeur titulaire en histoire contemporaine.
La séance de dédicace s’est déroulée à l’auditorium de l’Université de Lomé en présence de certaines personnalités parmi lesquelles Mme Awa Nana-Daboya (médiateur de la République et présidente du Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale/HCRRUN), Pitalounani Telou (président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication /HAAC) et Me Joseph Kokou Koffigoh (Ancien Premier ministre).
Réconciliation et unité nationale, une patate chaude encore d’actualité
Dans ce livre de 333 pages (Éditions Presses de l’Université de Lomé), Dr. Evalo Wiyao est parti du triptyque : préjugés coloniaux, réconciliation et unité nationale, une patate chaude encore d’actualité.
« Les deux derniers volets de ce triptyque, sont un éternel recommencement pour les dirigeants comme Sisyphe dans la mythologie grecque », relève le préfaceur.
Selon l’auteur, il serait erroné de croire que les difficultés auxquelles ont été confrontées les différentes politiques de réconciliation se résument aux lacunes des choix opérés par les dirigeants : « Les entraves à l’édification d’une société togolaise unie sont recherchées aussi dans l’un des aspects les plus controversés de l’œuvre coloniale : les préjugés. Il s’agit des clichés, des complexes, des vues d’esprit et des fausses certitudes nés dans l’univers mental des colonisateurs et des autochtones pendant l’époque coloniale ».
Ainsi, poursuit Dr. Wiyao, le colonisateur en s’appuyant sur la cartographie des civilisations autochtones conçues à dessein en termes d’infériorité et de supériorité, a dégagé deux catégories de togolais : d’un côté, les peuples du nord-Togo jugés « sauvages, attardés etc… » consignés dans les tâches difficiles, rabaissés, humiliés et déshumanisés. De l’autre côté, ceux du sud-Togo cooptés comme auxiliaires dans la gestion des affaires du territoire.
Mais comment ces préjugés ont-ils sous-tendu les choix socio-économique et politique de l’administration coloniale française et généré des mécontentements entre les Togolais ? Quelle a été a place des préjugés coloniaux dans la genèse et la consolidation de l’opposition Nord/Sud ? En quoi les antagonismes intrarégionaux engendrés par ces représentations coloniales ont-ils constitué un frein au raffermissement de la réconciliation entre les peuples du Togo ? Comment, dans leur coexistence, les togolais ont-ils exprimé et extériorisé ces représentations, ces représentations qu’ils ont fini par intérioriser ? Autant de questions que l’ouvrage s’est proposé de répondre en trois parties.
La première et la deuxième partie traitent du contexte sociopolitique et économique colonial qui a contribué à l’éclosion des préjugés et servi de terreau favorable au renforcement des rivalités entre les togolais, tandis que la troisième partie analyse l’impact de ces représentations sur le processus de réconciliation de 1960 à 1991.
« L’ouvrage de Dr. Wiyao est un ouvrage historique. L’auteur est allé chercher jusque dans les tréfonds de la genèse du Togo. Tous les togolais ont constaté que la question de l’unité nationale et de la cohésion est une question qui revient d’une manière récurrente. Il y a certains maux qui chaque fois, affectent le Togo et empêchent la réalisation de cette cohésion nationale : la question nord/sud, le tribalisme, le régionalisme, les discrimination etc… », a souligné Me Joseph Kokou Koffigoh.
« Comme un médecin, l’auteur a cherché les causes de ces échecs répétés du processus de réconciliation nationale et a pu découvrir que les divisions, les problèmes rencontrés ont été créés par les différentes puissances coloniales : les administrateurs allemands et français. Ce sont eux qui ont créé les problèmes nord-sud, ce sont eux qui ont introduit les catégories entre les togolais. Ces préjugés se transfèrent de génération en génération et affectent le comportement des populations et affectent également certaines décisions des gouvernants. La leçon à tirer de cet ouvrage : il nous faut prendre conscience de ces préjugés pour pouvoir en guérir baliser le terrain à la génération future », a suggéré l’ancien Premier ministre. FIN
Junior AUREL