La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), statuant en matière criminelle, du lundi 6 décembre au petit matin de ce mardi, a condamné Joël Aïvo, candidat recalé à la présidentielle du 11 avril dernier à 10 ans de détention criminelle et à 45 millions F.CFA d’amende. Issiakou Boni Sarè et Moudjaïdou Ibrahim Bachabi également à 10 ans de réclusion criminelle et à 5,7 millions F.CFA d’amende chacun pour les faits de complot contre la sûreté de l’État et de blanchiment de capitaux.
Le quatrième accusé Alain Gnonlonfoun, mandataire financier de Joël Aïvo, a été acquitté au bénéfice du doute.
Terminus ! Joël Aïvo et ses coaccusés sont désormais fixés sur leur sort par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet).
L’opposant politique et deux de ses coaccusés à savoir Issiakou Boni Sarè et Moudjaïdou Ibrahim Bachabi ont été condamnés chacun à 10 ans de réclusion criminelle et à 45 millions F.CFA d’amende pour le premier et 5,7 millions de F.CFA d’amende pour les deux derniers.
Le quatrième accusé Alain Gnonlonfoun, mandataire financier de Joël Aïvo, a été acquitté au bénéfice du doute pour les faits de complot contre la sûreté de l’État et de blanchiment de capitaux.
La cour a déclaré coupables les trois autres accusés de ces chefs d’accusation. Elle a rendu son verdict après plus de seize heures de procès.
La Cour, dans sa sentence, est restée relativement en phase avec les réquisitions du représentant du ministère public, Mario Mètonou, procureur spécial près la Criet.
Ce dernier avait requis 10 ans de réclusion criminelle et 50 millions de F.CFA d’amende contre chacun des quatre accusés.
Il a démontré la constitution des chefs d’accusation à leur égard au triple plan légal, intentionnel et matériel.
Selon lui, les faits de complot contre la sûreté de l’État sont prévus et punis par les dispositions des articles 194 et suivants du Code pénal et l’article 7 de la loi sur le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme en République du Bénin. Mario Mètonou explique, à la lumière de la loi, que le complot contre la sûreté de l’État est constitué dès son acceptation morale avant qu’il ne se concrétise.
Sur ce, il a démontré que l’intention de coup d’Etat est clairement établie chez l’accusé Issiakou Boni Sarè né le 20 octobre 1973 à Gogounou, ancien militaire de la Garde républicaine et ex-chauffeur de l’ex-président de la République, feu général Mathieu Kérékou, désormais reconverti en opérateur économique.
Le ministère public en veut pour preuve au titre d’éléments matériels un montant de 1,9 million de F.CFA qu’Issiakou Boni Sarè a reçu au total des mains de Gilbert Zinsou.
Ces fonds ont été remis à Gilbert Zinsou, un proche de Joël Aïvo, par l’opérateur économique Arnaud Houédanou qui serait demandeur d’un projet de coup d’État militaire. Ce qui semble être plausible au regard des documents compromettants retrouvés chez lui dont celui dit de la « Déclaration de la junte ».
Cette déclaration dont un extrait a été lu par la cour renseigne que si le projet réussissait, l’Armée devrait prendre le pouvoir et le remettre ensuite à un civil, un intellectuel chevronné, de grande probité et reconnu à l’international.
Pour la présidente de la cour de céans et le procureur spécial près la Criet, ce portrait-robot peint par le fameux document dit de Déclaration de la junte laisse penser au profil du professeur Joël Aïvo.
Mieux, le procureur spécial poursuit que le sieur Arnaud Houédanou a contribué au paiement de la caution de 50 millions de F.CFA pour la candidature du professeur de droit constitutionnel à la présidentielle d’avril 2021.
Un montant qu’Alain Gnonlonfoun, mandataire financier du candidat recalé, a versé au Trésor public.
Au regard des éléments du dossier et des débats à la barre, Mario Mètonou conclut que Joël Aïvo devrait être le bénéficiaire du complot financé par le sieur Arnaud Houédanou si le projet avait marché.
Tous plaident non coupables
A la barre ce lundi, l’accusé Issiakou Boni Sarè a été le premier à déposer. Il a dit ne pas connaitre Joël Aïvo ni Alain Gnonlonfoun. Mais il a été approché par un ami de Joël Aïvo, le sieur Gilbert Zinsou, un soutien du professeur.
Celui-ci a pris contact avec lui afin qu’ils escroquent ensemble l’opérateur économique Arnaud Houédanou qui serait demandeur d’un coup d’État pour faire partir le président de la République le 6 avril.
Mais selon lui, ce putsch n’avait rien de réel. Il s’agissait d’une manœuvre qu’il a bien ficelée de concert avec son ami GilbertZinsou pour soutirer un peu d’argent à Arnaud Houédanou.
Issiakou Boni Sarè reconnaît avoir réussi à aider Gilbert Zinsou à escroquer l’opérateur économique à hauteur de 1.900.000 F.CFA. Il dit avoir reçu ce montant en trois tranches.
La première fois 400.000 F.CFA devant servir à acheter une moto pour les courses sur le terrain, ensuite 800.000 F Cfa pour la location de véhicule et 700 mille F.CFA pour l’achat de téléphones portables avec des cartes Sim nigérianes et autres.
Dans ce projet, Issiakou Sarè Boni approche son jeune frère, le sieur Moudjaïdou Ibrahim Bachabi, né le 5 juillet 1980, militaire de profession et chef secrétariat de l’Hôpital de l’instruction des armées au Camp Guézo à Cotonou. Il le met dans le jeu du coup d’État.
A la demande du représentant du ministère public, Mario Mètonou, de faire le point des objets retrouvés à son domicile lors de la perquisition le 10 avril 2021, Issiakou Boni Sarè cite un treillis militaire neuf, une paire de chaussures, un pistolet automatique (Pa) neuf avec emballage mais sans munitions, des effigies du professeur Joël Aïvo et des déclarations de soutien au candidat ; une déclaration de la junte militaire et des pancartes sur lesquelles il a été écrit « Talon quitte le pouvoir. L’Armée au pouvoir…. ».
Il précise que ces équipements militaires découverts à son domicile lui ont été remis par son frère Moudjaïdou Ibrahim Bachachi.
Il déclare avoir demandé ces équipements dans le dessein de rassurer et d’encourager Arnaud Houédanou par rapport à l’évolution du projet de coup d’État afin qu’il continue d’escroquer ce dernier avec son ami Gilbert Zinsou.
« Dans aucun pays au monde, on ne peut faire un coup d’État avec un million neuf cent mille F.CFA ni avec deux personnes », indique Issiakou Sarè Boni. Il persiste et signe à la barre : « Il n’y a jamais eu de projet de coup d’État, mais un projet d’escroquerie ».
L’ex-chauffeur de feu général Mathieu Kérékou précise qu’il n’a jamais rencontré le professeur Joël Aïvo ni son financier Alain Gnonlonfoun. Il ne les a rencontrés pour la première fois qu’à la Criet.
Ibrahim Moudjaïdou Bachabi, pour sa part, avoue avoir été effectivement présenté à Gilbert Zinsou par son frère Issiakou qu’il a perdu de vue depuis plusieurs années. Il a été mis au courant par ce dernier du projet de coup d’État. Mais très tôt, en sa qualité de militaire, il l’en a dissuadé parce que c’est un projet perdu d’avance.
Et mieux, le temps des coups d’État est déjà révolu au Bénin. Il aurait menacé de dénoncer son frère s’il poursuivait l’initiative. Mais il informe avoir reçu au total 340 mille F.CFA auprès d’Issiakou Boni Sarè dans la période sans savoir l’origine des fonds. Ibrahim Moudjaïdou Bachabi dit ne pas savoir ce qui l’a amené à remettre ses équipements militaires retrouvés par la suite chez son frère Issiakou Boni Sarè.
Alain Gnonlonfoun, consultant financier et né le 7 septembre 1974, à la barre. Il ne connait ni Issiakou Boni Sarè ni Ibrahim Moudjaïdou Bachabi. Il ne les a vus pour la première fois que lorsqu’ils ont été déférés ensemble devant le procureur spécial près la Criet le 16 avril dernier.
Deux éléments en fuite
En revanche, Alain Gnonlonfoun dit avoir connu Gilbert Zinsou dans le cadre des activités politiques en vue de la présidentielle 2021.
Ce dernier s’est fait remarquer par sa capacité de mobilisation politique dans la commune d’Abomey.
Mais il dit qu’il connaît Joël Aïvo depuis une trentaine d’années avec qui il a des relations de fraternité et d’amitié. Aux côtés du professeur, Alain Gnonlonfoun déclare être son touche-à-tout et son mandataire financier.
C’est à ce titre qu’il est allé verser au Trésor public la caution de 50 millions F Cfa dans le cadre de la présidentielle du 11 avril 2021.
« On n’a jamais financé un coup d’État », a martelé Alain Gnonlonfoun qui ajoute que c’est lorsqu’ils ont été déférés qu’il a entendu parler des faits de coup d’Etat et de blanchiment de capitaux à eux reprochés.
Joël Aïvo est agrégé des Facultés de droit et professeur titulaire de droit public. Il est né le 18 juillet 1973. Tout comme ses trois coaccusés, il plaide aussi non coupable. Il ne se reconnaît pas dans les faits mis à sa charge.
D’abord, il ne connaît ni Ibrahim Moudjaïdou Bachabi ni Issiakou Boni Sarè. Il assure n’avoir jamais vu le sieur Arnaud Houédanou que le Parquet spécial considère comme l’un de ses soutiens financiers.
Il a entendu parler de ce dernier, suite à un meeting politique à Abomey-Calavi par les organisateurs comme étant l’un des artisans de la grande mobilisation. C’est la seule fois qu’il a vu Arnaud Houédanou. Il martèle que ce dernier n’a jamais contribué à la mobilisation de sa caution de 50 millions de F.CFA.
« La caution que j’ai payée provient de mes ressources propres et de l’aide que d’autres personnes m’ont apportée de l’extérieur », se défend Joël Aïvo pour tenter de battre en brèche les faits de blanchiment de capitaux mis à sa charge. Mais le président de la cour de céans trouve cette déclaration du professeur en contradiction avec sa déposition à l’enquête préliminaire où il confiait avoir bénéficié également de l’aide du sieur Arnaud Houédanou.
Ce dernier est aujourd’hui en fuite tout comme Gilbert Zinsou. Les deux sont introuvables depuis l’éclatement de l’affaire.
La direction générale des Impôts a fait constater à la barre les manœuvres de fraude fiscale du sieur Arnaud Houédanou, évaluée à 1.444.305.085 de F.CFA après redressement de ses trois sociétés pour lesquelles il n’a jamais fait de déclaration de chiffre d’affaires.
Joël Aïvo et ses trois coaccusés ont été accusés d’avoir bénéficié d’une partie de ces1.444.305.085 de F.CFA.
Ils ont été défendus par un collège d’avocats dont Maitre Boubacar Baparapé constitué aux intérêts d’Issiakou Boni Sarè et Moudjaidou Ibrahim Bachabi et Maitres Nadine Dossou Sakponou, Jacques Bonou, Carlos Agossou, Barnabé Baglo, Sédjro Didè et Robert Dossou pour la cause de Joël Aïvo et Alain Gnonlonfoun.
Ils ont plaidé l’acquittement pur et simple de leurs clients. Car, pour eux, le dossier est vide et il n’y a aucune preuve d’imputabilité contre leurs clients.
Résumé des faits
En prévision à sa participation à l’élection présidentielle d’avril 2021, Joël Aïvo a entrepris une tournée dans les 77 communes du Bénin.
Pour cette entreprise, il a bénéficié du soutien financier de Arnaud Houédanou (rendu coupable de fraude fiscale) et de Gilbert Zinsou. Au cours des différentes étapes de sa tournée, Joël Aïvo a plusieurs fois déclaré publiquement que le mandat du chef de l’État prenait fin le 6 avril 2021.
Ainsi, pour le compte du professeur Joël Frédéric Aïvo, ils vont par la suite solliciter d’anciens militaires pour l’acquisition de matériel et d’uniformes dans le but de perpétrer un coup d’État.
Des réunions ont été tenues, dont au moins une au bureau du Professeur Joël Aïvo, au cours desquelles même le discours de prise de pouvoir de la junte a été préparé.
Composition de la cour de céans
Président : Christelle Adonon
Assesseurs : Bienvenu Sohou et Desville Gbédji
Ministère public : Mario Mètonou, procureur spécial près la Criet
Greffier : Christophe Chéou, greffier en chef près la Criet
SOURCE : La Nation (Quotidien national)