Depuis 2018, la République centrafricaine a fait appel à la force Wagner, un groupe paramilitaire privé russe, pour la protection des personnalités et la formation de soldats de la Force armée centrafricaine (FACA), selon le discours officiel. A l’origine de cette situation, des sanctions onusiennes qui encadraient l’achat d’armement, sous la pression de la France, son partenaire traditionnel sur les questions de défense.
Impossible d’obtenir des armes sans l’accord du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les Nations Unies exigent aussi une traçabilité. Le pouvoir de Bangui s’est donc retrouvé désarmé, sous-équipé face à des groupes armés qui s’alimentaient eux sur le marché noir.
Les russes, profitant du vide, ont débarqué manu militari, un package militaire en main avec l’aide de leur allié de l’époque, l’ancien président du Soudan, Omar-el-Béchir.
Trois ans plus tard, c’est un scénario similaire qui semble se dessiner en Afrique de l’Ouest, à travers le Mali. Les récentes déclarations du Premier ministre de transition du Mali, Choguel Maïga sous-entendent que la société Wagner est à nouveau sollicitée par les autorités maliennes.
Officiellement car les militaires français pourraient quitter certains sites stratégiques du Mali après l’annonce du Président Emmanuel Macron sur le désengagement de la France via l’opération Barkhane et son remplacement par la force Takuba (forces spéciales européennes sous commandement français).
La souveraineté nationale est-elle menacée quand la défense est externalisée voire même privatisée ? Est-ce pour autant réellement nouveau ?
Depuis les premiers coups d’Etat militaires au début des années 60, les armées en Afrique de l’Ouest francophone ont été constituées, encadrées et formées pour essentiellement veiller à la protection voire à la pérennisation du pouvoir présidentiel. C’est dans ce contexte que les services de renseignement ont été conçus et leur principale mission était de traquer des opposants politiques et des défenseurs des droits humains.
Il suffit de scruter de près les accords de coopération militaire entre les pays de l’Ouest africain francophone et la France pour dresser le constat : d’une manière générale, les nations concernées remettent la défense de leur territoire national entre les mains des forces françaises qui peuvent intervenir au moindre coup de sifflet des Etats. L’externalisation de la fonction Défense nationale est coutumière. Mais il faut dire que dans les années 60, les jeunes pays, fraîchement indépendants politiquement étaient mal outillés pour l’assurer par leurs propres moyens.
Résultat : ces Etats n’ont jamais vraiment accordé une priorité à la construction de leur défense nationale, mais plutôt à la protection du pouvoir qui induit la répression lors des manifestations de l’opposition politique.
A l’exception du Sénégal, les Etats francophones de l’Afrique de l’Ouest n’ont jamais su opérer la mutation nécessaire vers une véritable armée capable de défendre les limites du territoire national et de protéger la population.
En clair, constituer une armée républicaine. Aujourd’hui, de nombreux pays africains le paient cash. Ils sont dans l’incapacité de contenir l’expansion du jihadisme. Les multiples attaques terroristes, la prise de contrôle de régions entières par des milices islamistes en Afrique de l’Ouest, comme au Burkina Faso ou au Mali, démontrent l’inefficacité des mécanismes de défense des pays face aux nouvelles menaces asymétriques.
Les systèmes de renseignement, focalisés sur la surveillance intérieure de masse sont aujourd’hui incapables de collecter sur le terrain, des informations sur les menaces extérieures.
Les agents de renseignement, déployés dans la sous-région avaient été formés pour surveiller l’activité des opposants et de tous ceux qui contestent les régimes. Mais, ils n’ont jamais été outillés pour prévenir des attaques terroristes.
Ces dix dernières années, un effort considérable a été fait pour pallier les lacunes en matière de renseignement et de capacité opérationnelle, avec le concours des partenaires occidentaux essentiellement, sous forme bilatérale ou multilatérale.
L’expérience affirmée de la République centrafricaine et celle en cours d’élaboration au Mali doivent nous interroger sur la survie même des Etats. L’incapacité intrinsèque des pays à défendre le territoire fait planer une terrible menace de l’effondrement de nos nations et hypothèque gravement la construction d’institutions solides que nous appelons de tous nos vœux. Cette situation à elle seule illustre bien l’échec de la politique de défense mise en place par nos Etats depuis 60 ans, malgré l’accompagnement étroit des partenaires.
Si l’on aboutit à un désaccord profond avec un partenaire étatique sur la question de défense nationale au point d’arriver à une rupture qui conduit à confier cette fonction hautement stratégique à une société privée, sera-t-on en mesure de contenir les différends qui pourraient surgir de l’interprétation de ce contrat commercial sans risque majeur pour le pays ? Même si les autorités peuvent avancer qu’il s’agit de solution d’urgence à mettre en place, il y a là de véritables inquiétudes à prendre très sérieusement en considération.
Dès lors que la souveraineté nationale de nos pays est touchée – c’est la menace suprême – nous devons revenir aux fondamentaux et nous demander comment nous en sommes arrivés à ce point de déliquescence de nos Etats. Et que devons-nous faire pour corriger cette dérive ?
C’est en se posant ces vraies questions que la CEDEAO se penchera sur les enjeux réels en lieu et place de voir régulièrement les chefs d’Etat se précipiter, toutes affaires cessantes, pour gérer la triste situation de l’un des leurs pris dans les mailles trop serrées d’un filet de privation de liberté qu’il a lui-même jeté sur ses compatriotes au prix du sang.
Ces réflexions sont également indispensables dans chacun des pays où la jeunesse aspire à la liberté et à plus d’opportunités d’épanouissement, alors que s’impose à elle une insécurité venant de l’extérieur et accentuée par une absence de vision dans la gouvernance. Ceci est d’une urgence absolue.
Nathaniel Olympio (président du Parti des Togolais)