Meurtris jusque dans l’âme, des enfants endurent de terribles réalités pour leur jeune âge. Entre la douleur subie et ses séquelles, les abus sexuels ne cessent de prendre de l’ampleur, même dans le cocon familial, première cellule où tous les enfants devraient se sentir en sécurité.
Kokou a dû faire quinze séances de rééducation ano-rectale avant que son anus retrouve toute son élasticité. Sexuellement abusé (depuis février), ce garçon de 7 ans a souffert d’une incontinence fécale. Dodji son jeune frère de 4 ans (qui a subi des d’attouchements), s’en est sorti avec quelques lésions anales. Akofa leur mère n’a été alertée qu’après 4mois.
La scène s’est déroulée dans l’un des quartiers populaires de Lomé, la capitale Togolaise.
« Kokou a été régulièrement sodomisé par les deux garçons (13 ans chacun) de ma colocataire », raconte avec peine Dame Akofa, la mère des deux enfants, rencontrée au centre Kékéli. Cette structure – une initiative des Sœurs Carmélites de la Charité Védruna – offre son accompagnement aux enfants victimes de violences et abus sexuels au Togo.
Réalité bien triste
Les violences et abus sexuels ne cessent de croître comme l’indique le graphique ci-dessus. Depuis sa création (en 2006), le centre Kékéli a enregistré 1107 enfants (dont 29 garçons) victimes de violences et abus sexuels.
« En 2020, le centre accueilli 87 enfants ayant subi des violences et abus sexuels. Cette année, nous en avons déjà enregistrés 76, et le moins âgé est un garçon de 4 ans », a confié Sœur Elisabeth Mabangi (Assistante sociale au centre Kékéli).
Nos démarches pour obtenir les statistiques au plan national sont restées infructueuses. Nous avons rencontré la directrice du Centre de Référence et d’Orientation pour la Prise en Charge des Enfants en Situation Difficile (CROPESDI). Elle nous a envoyées vers le ministère de l’action sociale pour une autorisation. La demande, déposée, est restée sans suite. Même situation du côté du juge pour mineur.
Les abus sexuels ne sont pas un mythe. Le fait est plus grave lorsqu’il s’agit de mineurs, pire quand les parents font partie des agresseurs.
Au centre Kékéli, un agent dévoile quelques cas: « Akou et Yawa sont deux filles régulièrement abusées par leur père. Akou (âgée de 17 ans aujourd’hui), est la mère d’une enfant de 3 ans dont le père est aussi le grand-père. L’enfant issu de cette union incestueuse souffre d’un retard de développement ».
« Chantal (une autre survivante), a été sexuellement abusée par son père, au moment où sa mère était en travail à la maternité. Cette enfant de 12 ans (au moment des faits) a dû être opérée au niveau des voies génitales et urinaires », ajoute cet agent, l’air triste.
Un grand traumatisme
Selon Donatien Ayena (psychologue clinicien au centre Kékéli), l’abus sexuel est une urgence et les analyses doivent être faites dans les 72 heures pour prévenir le SIDA, l’hépatite et d’autres maladies sexuellement transmissibles. La prise en charge psychologique est également déclenchée, car les conséquences sont aussi énormes. La plupart des survivantes d’abus sexuels se disent souillées, vidées, affaiblies, sales. Certaines d’entre elles développement des idées suicidaires … « Le fait peut être dommageable à vie », déplore M. Ayena.
« Nous avons eu des cas où les enfants ont développé une maladie mentale chronique. Le cas qui m’a le plus abattu, est celui d’un enfant de 9 ans orpheline de mère, sexuellement abusée en 2019 par un apprenti maçon de 18 ans », se souvient-il.
« Elle était totalement déchirée au niveau de l’appareil génital. Évacuée au CHU Sylvanus Olympio, elle a pu être opérée grâce à l’intervention du Centre Kékéli. Il a fallu réparer l’anus, l’appareil urinaire et l’utérus. Le chirurgien a fait un trou au niveau de l’abdomen pour qu’elle puisse évacuer les matières fécales pendant qu’on répare l’anus. Quelques semaines après, elle a subi une deuxième opération pour réparer l’appareil urinaire et l’utérus. Sa douleur était si intense qu’elle ne parlait plus. Psychologiquement, elle était dévastée et ne faisait que regarder », a poursuivi Ayéna.
La plupart des cas d’abus graves sont opérés au CHU/SO. Mais la question, c’est comment ces enfants vont affronter tout ça, une fois adulte. Pourront-elles avoir une sexualité épanouie, une maternité sans risque…
L’une des gynécologues du CHU (qui a requis l’anonymat) qui procède à ces interventions chirurgicales, nous a déclaré que la patiente s’en sort bien, si l’intervention chirurgicale est réalisée dans les règles de l’art. Mais la prise en charge psychologique est capitale.
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Un arsenal juridique, mais des agresseurs presque impunis
Selon Alex Meba (juriste), l’article 396 relatif à l’abus sexuel dans le code de l’enfant fait partie de l’arsenal juridique togolais.
« L’agresseur peut faire jusqu’à 30 ans de prison surtout en cas de viol, comme le prévoit l’article 215 du nouveau code pénal. Mais beaucoup n’arrivent pas à purger leur peine. De plus, les agresseurs mineurs de moins de 14 ans, sont pénalement irresponsables (Article 302 du code des enfants) », a expliqué M. Meba.
« Par ailleurs, sur la centaine d’actions enclenchées en justice depuis 5 ans, très peu ont suivi leur cours, à cause de la pression de la famille de l’agresseur, et surtout de l’interférence des chefs coutumiers, qui prônent un règlement à l’amiable », a-t-il déploré.
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Et si on outillait les enfants ?
Des personnes insoupçonnables profitent de la naïveté des enfants, et les milieux nantis ne sont pas épargnés.
Pour Kodjo Gnambi Garba (ancien procureur général près de la Cour d’appel de Lomé et actuel avocat général du Parquet/Cour suprême), interviewé lors d’un forum sur la thématique, « les peines de prison devraient faire peur aux gens, mais nous constatons que ça ne change pas ».
« Ce qu’il faut à mon sens, c’est d’utiliser le phénomène pour en détecter la cause, et on pourra forcément proposer des solutions pour en diminuer l’ampleur », a-t-il suggéré.
« Notre plaidoyer va dans le sens d’alléger les frais médicaux qui s’élèvent à 30.000 F.CFA par victime. Par ailleurs, nous lançons un appel à l’endroit des chefs coutumiers, afin qu’ils laissent la justice suivre son cours, pour que les auteurs de ces actes soient arrêtés et punis », conseille M.Meba.
Outre les mesures existantes, on pourrait apprendre aux enfants, des gestes qui devraient les alerter. Les parents devraient s’impliquer dans la lutte, à travers le dialogue et la prise en compte des inquiétudes des enfants. Intégrer des notions d’auto-défense aux programmes scolaires serait une des solutions pour protéger les enfants.
Kezita (artiste togolaise de la chanson reggae) suggère que la justice se penche beaucoup plus du côté des « survivants » d’agressions sexuelles car, il leur faut du temps pour raconter leur douleur et ainsi, se libérer. FIN
Ambroisine MEMEDE