Les personnes atteintes d’albinisme (PAA) sont souvent victimes de discrimination et de marginalisation alors qu’ils sont des citoyens à part entière, jouissant des mêmes droits que tous les autres citoyens. Qu’est-ce que l’albinisme, pourquoi ce rejet et que faire pour un changement de comportement envers les personnes atteintes d’albinisme, Souradji Ouro-Yondou (président de l’ANAT) nous éclaire. Lisez plutôt.
Savoir News : Présentez-nous brièvement l’ANAT
Souradji Ouro-Yondou : L’Association nationale des personnes atteintes d’albinisme au Togo (ANAT) a été créée en mars 2012. Elle a pour objectif de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des personnes atteintes d’albinisme. Nous intervenons dans quatre domaines : la santé, l’éducation, l’insertion sociale et l’insertion économique et professionnelle.
Aujourd’hui, nous avons dans nos bases données, plus de 650 personnes atteintes d’albinisme, bénéficiaires de nos actions. Je dirige cette association depuis sa création. Nous avons une direction exécutive qui gère de manière opérationnelle, les activités.
Quelle activité menez-vous?
Juriste de formation, je suis consultant en planification suivi-évaluation des projets et programmes de développement.
Selon nos investigations, les personnes atteintes d’albinisme font l’objet de stigmatisation et de discrimination.
Les personnes atteintes d’albinisme ont différents types de problèmes et c’est sur ces problèmes que nous intervenons en termes de domaines d’actions. Si nous ciblons spécifiquement l’aspect discrimination et stigmatisation, les difficultés à ce niveau sont relatives au rejet social et parfois, ce rejet part même de la cellule familiale de la personne atteinte d’albinisme.
Aujourd’hui, dans certaines familles lorsqu’un enfant atteint d’albinisme nait, le père abandonne la mère ou bien la famille incite le père à l’abandonner. Parce qu’on dit d’où vient cet enfant ? Où est-ce que ta femme l’a trouvé ? Nous ne connaissons pas ça dans notre famille… Donc, on l’incite à abandonner la femme. Ou bien, il ne l’abandonne pas, mais cet enfant avec sa mère, sont considérés comme des sous-hommes et la mère sera stigmatisée pour le simple fait qu’elle a donné naissance à un enfant atteint d’albinisme, qu’on considère comme anormal. Ce sont des réalités. Aujourd’hui dans la vie sociale, parfois lorsque vous rentrez dans certains groupes, on a tendance à vous abandonner, à vous quitter.
Je me rappelle encore de ce témoignage où une mère me dit : je suis montée dans un véhicule et tous les passagers sont descendus parce que je tenais mon enfant atteint d’albinisme. Le chauffeur a dû demander à cette maman de descendre pour que les autres passagers puissent monter. Ou cette maman qui me dit que parce qu’elle porte son enfant atteint d’albinisme au dos, dans la société, on la met à l’écart.
Sur le plan sentimental, je peux citer cette personne atteinte d’albinisme qui a voulu épouser une fille non atteinte d’albinisme. On lui a dit : parmi tous les hommes, c’est celui-là que tu as vu ? Le schéma inverse aussi. Lorsqu’une fille atteinte d’albinisme veut épouser un homme qui n’est pas atteint d’albinisme, on lui demande : où est-ce que tu as trouvé ça là ?
Que faut-il faire aujourd’hui ?
Ce qu’il faut faire, c’est ce que nous avons déjà commencé : la sensibilisation et la valorisation de l’image des personnes atteintes d’albinisme. La sensibilisation, car on s’est rendu compte qu’une bonne partie de ceux qui nous stigmatisent, ne savent pas ce que c’est que l’albinisme. Ils se demandent comment cela peut être possible qu’un enfant naisse de couleur blanche, alors que son père et sa mère sont de couleur noire. Donc, nous faisons de la sensibilisation pour faire comprendre que la science explique que c’est logique et compréhensible.
Nous expliquons aussi lors des sensibilisations que nous sommes les mêmes : c’est le même sang, nous avons les mêmes yeux, les mêmes têtes … C’est seulement la couleur de la peau qui fait la différence. Nous accompagnons cette sensibilisation, avec la valorisation de l’image des personnes atteintes d’albinisme. Nous essayons de montrer ce que nous sommes capables de faire : nos mérites, nos talents, nos qualités. Car parmi nous, il y a des architectes, des juristes, des pharmaciennes, des infirmiers etc… Donc, nous faisons des actions de médiatisation pour faire savoir cela. Je sais conduire une voiture, car j’ai mon permis de conduire. J’ai des collègues comme moi qui conduisent aussi.
Au moment où les gens nous disent, lui ne voit pas le jour, c’est la nuit seulement qu’il voit. Nous contribuons à leur démontrer que c’est faux et à leur montrer notre talent et nos qualités. Et progressivement, nous sommes en train de changer le regard sur l’albinisme.
Avez-vous l’impression qu’il y a une petite amélioration ?
Oui, les choses bougent dans le bon sens, car à la naissance de notre organisation, c’était difficile d’aller vers les gens. Les gens nous stigmatisaient. Et se regrouper, était le comble. Mais aujourd’hui, nous nous regroupons pour mener nos activités, célébrer la journée internationale de sensibilisation à l’albinisme le 13 juin. Nous faisons un certain nombre d’activités : des campagnes de sensibilisation et de consultations. De plus en plus, des parents amènent leurs enfants atteints d’albinisme ou de plus en plus de personnes comme vous les journalistes, vous venez vers nous pour nous poser des questions, afin d’avoir d’éclairage. Certains nous sollicitent en interview. Avec tous ces éléments, nous pensons que nous commençons de plus en plus par devenir des centres d’intérêt. Et c’est le fruit des efforts menés jusqu’à présent. Nous allons continuer la lutte, car notre vision est que le Togo soit un pays où les personnes atteintes d’albinisme vivent normalement comme toutes les autres personnes et contribuent au plein développement du pays.
Le 21 juillet dernier, 35 personnes atteintes d’albinisme ont reçu des verres médicaux après des consultations ophtalmologiques, grâce au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD-Togo). Parmi ces derniers, figurent 20 élèves et 5 étudiants. Comment trouvez-vous ce geste du PNUD ?
Depuis la création de l’ANAT, c’est la première fois que nous faisons des consultations ophtalmologiques pour obtenir des verres médicaux. Ces verres vont nous aider, surtout les élèves – qui constituent le gros lot des bénéficiaires – à mieux voir pour réussir à l’école. Nous invitons d’autres structures à emboîter le pas au PNUD, afin que la quasi-totalité des personnes atteintes d’albinisme puissent bénéficier de ces verres médicaux. FIN
Propos recueillis par Junior AUREL