Le Premier ministre de transition malien Moctar Ouane a indiqué avoir été emmené lundi sous la contrainte par des soldats chez le président Ban Ndaw, dans ce qui s’apparente à un coup de force après la nomination d’un nouveau gouvernement, lequel semble avoir mécontenté les colonels auteurs du coup d’Etat de 2020.
« Je confirme: des hommes de Goïta sont venus me chercher pour me conduire chez le président qui habite non loin de ma résidence », a dit Moctar Ouane dans un bref échange téléphonique avec l’AFP, en faisant référence à l’homme fort malien, le colonel Assimi Goïta, actuel vice-président de la transition.
La conversation s’est ensuite interrompue
Des sources très proches du Premier ministre ont confirmé, sous le couvert de l’anonymat étant donné la volatilité et la sensibilité de la situation, que M. Ouane avait été emmené.
Bamako bruissait de rumeurs difficilement confirmables et des missions internationales ont diffusé des messages de prudence.
La capitale, qui avec le Mali a connu en août 2020 son quatrième coup d’Etat depuis l’indépendance, présentait cependant un air de relative normalité lundi soir.
Ces évènements sont survenus quelques heures seulement après l’annonce d’un nouveau gouvernement, que dominent toujours les militaires, mais dont ont été écartés des officiers proches de la junte qui avait pris le pouvoir après le coup d’Etat du 18 août 2020 et dont Assimi Goïta était le chef.
Les colonels avaient installé au bout de quelques semaines des autorités de transition, dont un président Ban Ndaw – militaire retraité – et un gouvernement dirigé par Moctar Ouane, un civil, et s’étaient engagés, de mauvais gré et sous la pression de la communauté internationale, à rendre le pouvoir à des civils élus au bout de 18 mois, et non pas trois ans comme ils l’estimaient nécessaire.
Confronté à une contestation politique et sociale grandissante, le Premier ministre a présenté il y a dix jours la démission de son gouvernement et a été reconduit immédiatement dans ses fonctions par le président de transition Ndaw, avec la mission de former une équipe d’ouverture.
La grande inconnue était la place qui serait faite aux militaires, en particulier aux proches de l’ancienne junte, et l’inquiétude est allée grandissant ces derniers jours que les colonels ne se satisfassent pas des choix de Moctar Ouane.
Dans le gouvernement annoncé par la présidence de transition, des militaires détiennent toujours les ministères de la Défense, de la Sécurité, de l’Administration territoriale et de la Réconciliation nationale.
Mais, parmi les changements annoncés dans un communiqué lu à la radio-télévision publique, deux membres de l’ancienne junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Kone, quittent leurs portefeuilles respectifs de la Défense et de la Sécurité.
Ils ont été remplacés respectivement par le général Souleymane Doucoure et par le général Mamadou Lamine Ballo.
Le nouveau gouvernement accueille également – à l’Education et aux Affaires foncières – deux ministres membres de l’Union pour la République et la Démocratie (URD), principale force politique du Mouvement du 5-Juin (M5), le collectif qui avait animé la contestation ayant débouché sur le renversement du président Keïta.
L’URD s’était dite récemment prête à participer au gouvernement, alors que le M5, jusqu’ici tenu à l’écart des institutions de transition, est divisé sur le sujet.
– « message ferme » –
« Par ce remaniement, le président de transition et son Premier ministre ont voulu lancer un message ferme: le respect du délai de la transition reste la priorité », a expliqué à l’AFP une source proche de la présidence ayant requis l’anonymat.
Selon cette source, « un réajustement était nécessaire aux postes de là Défense et de la Sécurité », dont les nouveaux titulaires « ne sont pas des figures emblématiques de la junte ».
Mi-avril, les autorités de transition ont annoncé l’organisation le 31 octobre d’un référendum sur une révision constitutionnelle promise de longue date et ont fixé à février-mars 2022 les élections présidentielle et législatives à l’issue desquelles elles rendraient le pouvoir à des dirigeants civils.
Le doute persiste toutefois quant à leur capacité à tenir leur programme, a fortiori dans un contexte où les violences jihadistes et autres continuent sans relâche, où la contestation politique se fait à nouveau jour et où s’accumulent les signes de grogne sociale.
Le M5 a appelé ces derniers jours à manifester le 4 juin et la principale organisation syndicale a lancé lundi une nouvelle grève de quatre jours, la deuxième en un mois, et a brandi la menace d’un mouvement illimité.
L’URD, qui vient d’entrer au gouvernement, s’était dissocié de l’appel à manifester du M5.
Le Mali, pays de 19 millions d’habitants, et ses voisins nigérien et burkinabè sont pris dans un tourbillon de violences jihadistes, intercommunautaires ou autres qui ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.
SOURCE : AFP