Le gouvernement togolais se prépare dans les prochains mois à mener une campagne de vaccination de la population contre la maladie à coronavirus (COVID-19).
Dans cette dynamique, Pr. Didier Koumavi Ekouévi, président du Conseil Scientifique, donne des précisions sur la cible visée et les stratégies adoptées, pour une couverture vaccinale raisonnable.
Selon lui, « le Togo ne peut se payer le luxe de refuser la stratégie vaccinale », car la vaccination est une stratégie mondiale acceptée, validée par l’OMS et des centaines de scientifiques dans le monde.
Togo-Presse : Quelles sont les personnes cibles de cette campagne de vaccination et pourquoi ce choix ?
Pr Didier Koumavi Ekouévi : La cible à atteindre, c’est 60 % de la population. Les personnes prioritaires pour la vaccination seront les personnes vulnérables. Il s’agit des personnes âgées de 50 ans et plus, et les personnes qui présentent des maladies chroniques comme l’hypertension artérielle, le diabète, le VIH, le cancer, l’insuffisance rénale chronique etc.
Trois critères sont considérés pour identifier les personnes prioritaires à vacciner : les personnes les plus vulnérables, la capacité du vaccin à protéger contre les formes graves et la disponibilité et le type de vaccin.
Toutefois, le choix de vacciner le personnel de santé en première intention est une stratégie, non seulement pour les protéger des formes graves, mais aussi pour maintenir les capacités du système de santé et améliorer l’adhésion au sein de la communauté.
Considérant le fait que les vaccins seront difficilement disponibles du fait de la demande excessivement élevée, le choix des personnes à vacciner devra également être priorisé.
Compte tenu de la balance favorable bénéfice/risque, la vaccination la plus précoce possible des personnes vulnérables exposées aux formes graves de la maladie et des soignants se justifie pleinement.
Les femmes enceintes posent un problème particulier : reconnues comme vulnérables à la COVID-19, elles sont toujours une cible délicate en vaccinologie. Il faudra sans doute attendre des données de sécurité plus précises pour décider d’étendre la vaccination aux femmes enceintes. La vaccination des enfants contre la COVID-19 n’est pas encore recommandée.
Contrairement à beaucoup de maladies respiratoires (grippe, rougeole, etc.), les enfants ne sont pas un vecteur majeur de la COVID-19. Ceci est plus débattu pour les adolescents. La validation des vaccins en population pédiatrique nécessite par ailleurs des études spécifiques. Aussi, l’efficacité des vaccins n’étant pas démontrée pour réduire la transmission du SARSCoV-2, la vaccination de la population plus jeune pour réduire la circulation du virus n’est donc pas un objectif immédiat. Les différentes études vaccinales n’avaient pas inclus les enfants (moins de 16 ans pour le vaccin du laboratoire Pfizer/BioNtech, moins de 18 ans pour les vaccins des laboratoires Moderna, AstraZeneca et du vaccin Spoutnik V de la Russie). Les indications de vaccination excluent, pour le moment, les enfants de moins de 18 ans (France, Belgique, Suisse).
Par conséquent, les enfants et adolescents de moins de 18 ans ne sont donc pas une cible prioritaire.
Chaque Togolais est-il obligé de se faire vacciner ? Si non, les personnes non vaccinées constituent-elles un danger pour leur entourage ?
Un compromis international se dégage à ce jour pour ne pas rendre la vaccination obligatoire. En Suisse, en France, la vaccination n’est pas obligatoire à cause de l’hésitation vaccinale. Au Togo, le Conseil Scientifique recommande de s’inscrire dans cette logique (ne pas rendre la vaccination obligatoire). Il est vrai que pour obtenir une immunité collective, il faut vacciner 60 % de la population. Notre situation est plus difficile, puisque 40 % de notre population est composée de personnes de moins de 20 ans. Pour atteindre alors l’immunité collective, cela veut dire qu’il faut vacciner tous les sujets de 20 ans et plus. Ce qui sera difficile à réaliser. C’est la raison pour laquelle, il faudrait des stratégies combinées associant, à la fois, l’approche préventive qui est le respect des mesures barrières, la vaccination et l’approche thérapeutique, pour réduire les complications.
Selon des informations relayées par les réseaux sociaux, des sujets seraient morts après avoir reçu leur dose de vaccin. Quelles dispositions compte prendre le gouvernement pour lutter contre cette situation de méfiance et atteindre le taux de couverture vaccinale prévue ?
Plus de 104 millions de personnes dans le monde ont été vaccinées à ce jour (03 février 2021). Des cas de décès ont été rapportés «selon les rumeurs» notamment chez les personnes âgées. Il est difficile de faire le lien entre la vaccination et les rares cas de décès. Des enquêtes complémentaires sont en cours pour les confirmer. Dans tous les cas, l’administration de vaccin entraîne des effets secondaires ou mineurs dûs à l’injection de virus inactivés ou tués chimiquement.
La Norvège a notamment enregistré 33 décès parmi les personnes âgées qui avaient reçu leur première dose. La Norvège a déclaré plus tôt ce mois-ci ne pas avoir établi de lien avec le vaccin, recommandant toutefois aux médecins norvégiens de prendre en compte l’état de santé des patients les plus fragiles avant de proposer une injection.
Selon l’Agence Européenne du Médicament, « concernant des cas de personnes de plus de 65 ans, la progression de (multiples) maladies préexistantes semblait être une explication plausible du décès », a observé l’Agence. Certains avaient déjà reçu des soins palliatifs avant la vaccination.
De l’avis des scientifiques, il faut des années pour tester l’efficacité d’un vaccin, mais compte tenu de l’ampleur de la pandémie, les laboratoires pharmaceutiques ont été priés de mettre sur pied, dans un délai record, un vaccin. Dans ce cas, n’y aurait-il pas de risque pour l’humanité ?
Plusieurs facteurs ont favorisé la découverte rapide des vaccins. A ce jour, quatre vaccins ont rapporté des données d’efficacité et de tolérance disponibles dans les grandes revues scientifiques. Plus de 350 essais vaccinaux ont été identifiés par l’OMS et seulement quelques-uns ont été menés à terme avec un certain succès. Tous les essais vaccinaux n’ont pas connu de succès.
• Un virus pas totalement étranger : Ce virus inconnu jusqu’en janvier n’est pas totalement étranger. En effet, le SARS-CoV-2 a un cousin germain que les infectiologues connaissent bien, le SARS-CoV-1, responsable de l’épidémie de Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) en 2003.
Ces virus sont étroitement apparentés et appartiennent à la famille des coronavirus que l’on étudie depuis longtemps. Plusieurs essais vaccinaux ont été lancés chez l’animal en 2003. Dix sept ans plus tard, lorsque le SARS-CoV-2 a fait son apparition, la recherche académique et aux laboratoires pharmaceutiques ont immédiatement repris les travaux à partir des connaissances antérieures. Début décembre, pas moins de 350 candidats vaccins sont en cours de développement. Et parmi eux, 59 sont en phase d’évaluation chez l’homme.
• De nouvelles technologies vaccinales: Les importantes avancées des technologies vaccinales et l’émergence des vaccins à ARN messager ont aussi permis ce développement rapide. Cette approche innovante utilisée par Pfi zer/BioNTech et Moderna est médiatisée depuis peu, mais en réalité, elle est étudiée depuis près de 30 ans. Cette technologie présente un avantage indéniable lors d’une pandémie : sa rapidité de production. Contrairement aux vaccins classiques, il est inutile de mettre en culture des virus, les tuer puis s’assurer qu’ils sont inoffensifs.
• Des investissements colossaux: Les protocoles d’essais cliniques ont été mis en place dans l’urgence. Au lieu de se succéder, les phases se réalisent en parallèle et quasi simultanément, ce qui fait gagner beaucoup de temps. Enfin, l’investissement des Etats et l’adaptation du cadre réglementaire a été très favorable. Pour accélérer le développement des vaccins, l’Union Européenne a débloqué plus de 2,15 milliards d’euros et a négocié avec six laboratoires différents. Les Etats-Unis ont eux aussi signé des contrats et dépensé plus de 11 milliards de dollars.
Des investissements inédits qui ont permis aux industriels de lancer la production de leurs candidats vaccins alors même qu’ils n’avaient pas l’assurance des résultats. Cela a permis de financer la finalisation des essais cliniques, la mise en place de nouvelles chaînes de production, ou encore l’achat de matières premières.
• Une procédure d’urgence: Dans le même temps, les agences d’évaluation des médicaments, qui garantissent la sécurité des produits pharmaceutiques avant leur mise sur le marché, disposent de procédures d’urgence pour évaluer les dossiers. Ces procédures sont déclenchées en cas d’urgence de santé publique comme la pandémie à la COVID-19, afin de mettre à disposition des produits sûrs pour renforcer les mesures de protection de la population.
Ainsi, les experts ont commencé à analyser les données de Pfizer, depuis le 6 octobre 2020 et celles de Moderna, depuis le 16 novembre 2020. Mais, le suivi de ces vaccins ne s’arrêtera pas là. Une fois l’autorisation de mise sur le marché octroyée, un processus de pharmacovigilance commencera. Les patients vaccinés seront suivis, et les déclarations d’événements indésirables seront recensées.
En résumé, toutes les étapes de fabrication des vaccins et d’autorisation de mise sur le marché des vaccins anti-COVID-19 ont été respectées.
Votre mot de fin à l’endroit de la population, par rapport à cette campagne de riposte vaccinale un peu exceptionnelle
Tout est fait pour rendre disponible le vaccin à la population togolaise, avec la création d’un groupe technique de travail sur la vaccination et l’avis du Conseil Scientifique. Il s’agit d’une stratégie mondiale acceptée, validée par l’OMS et des centaines de scientifiques dans le monde. Notre pays le Togo ne peut se payer le luxe de refuser la stratégie vaccinale. Il faut garder à l’esprit que le vaccin n’est pas encore disponible au Togo, que la demande est supérieure à l’offre et que les données scientifiques sont scrutées de jour en jour pour prendre les meilleures décisions.
De nouveaux vaccins seront bientôt disponibles. Par exemple, le vaccin Sputnik V fabriqué par la Russie qui montre également une efficacité de 91 %. Les résultats d’autres études vaccinales seront bientôt disponibles, notamment ceux de Novanax (efficacité annoncée de 89 %) et du laboratoire Johnson et Johnson (efficacité annoncée de 66 %) pour augmenter la disponibilité vaccinale et protéger les populations. Seule une approche combinée associant le respect strict des mesures barrières, la vaccination et le traitement précoce des patients pourrait nous permettre de gagner cette guerre sanitaire.
Propos recueillis par Françoise AOUI (Togo Presse)