La diplomatie togolaise est très active ces dernières années. Prof. Robert Dussey (Ministre des affaires étrangères, de l’intégration régionale et des Togolais de l’extérieur), dans une interview, dresse le bilan de l’année 2020.
Question: Monsieur le Ministre bonjour ! L’année en cours prend fin dans quelques jours. 2020 marquera l’histoire comme une année particulièrement difficile en raison de la crise sanitaire du coronavirus qui a paralysé les activités de beaucoup d’institutions. Quel impact a-t-elle eu sur le bilan de la diplomatie togolaise ?
Prof. Robert Dussey: Effectivement, l’année 2020 a été une année de grands défis pour tous les pays du monde dans la conduite des affaires nationales et internationales. La diplomatie est par essence un domaine de rencontres, de concertations et de poignées, toutes choses rendues difficiles par la crise du Coronavirus. Presque toutes les grandes rencontres internationales ont été annulées. Mais nous nous sommes très vite adaptés à cette nouvelle donne en poursuivant la mise en œuvre de notre politique étrangère par le biais de réunions virtuelles. A cet égard, je voudrais exprimer ma profonde admiration au Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Faure Essozimna Gnassingbéqui, malgré la crise, a tout mis en œuvre pour que la diplomatie togolaise demeure un outil efficace de soutien et d’appui aux différents programmes initiés pour le développement et le bien-être des populations togolaises, notamment le Programme National pour le Développement (PND) et la Feuille de route 2020-2025 du Gouvernement.
En l’espace d’à peine un mois et demi, le Togo a reçu la visite de S.E.M. Bah N’DAW et du Colonel Assimi GOITA, respectivement Président et Vice-Président de la Transition en République du Mali. Professeur DUSSEY, dites-nous concrètement le rôle quejoue le Togo dans la crise malienne.
Comme vous le savez sans doute, beaucoup de pays dans notre espace communautaire sont confrontés au terrorisme et à l’extrémisme violent. En plus de ces fléaux déjà dévastateurs, s’ajoute, pour le cas du Mali, une crise politique sans précédent. Je ne vous le cache pas, le Togo est déterminé à aider le peuple malien dans cette crise, pour plusieurs raisons. D’abord, par solidarité envers un pays frère auquel le Togo est très attaché. Ensuite, parce que la sécurité chez nous dans le Golfe de Guinée dépend dans une large mesure, de la sécurité au Sahel en général et au Mali en particulier. Enfin depuis longtemps, l’un des traits caractéristiques de la politique étrangère du Togo est la médiation de la paix. Sans la paix, il n’y a pas de politique de développement qui puisse prospérer. C’est conformément à ce fondement de notre action diplomatique que depuis le début, le Président Faure Gnassingbé s’est personnellement mobilisé pour soutenir la transition en cours au Mali en maintenant un dialogue régulier et permanent avec tous les acteurs impliqués. De même, à un moment où les positions de la CEDEAO n’étaient pas très bien comprises par le CNPS et vice-versa, le Togo a joué les bons offices pour rapprocher les points de vue.
De façon générale, le Togo soutient toutes les initiatives portées par les organisations internationales et les pays amis en faveur d’un retour rapide de la paix et de la stabilité au Mali. Il prend ainsi une part active dans la Coalition pour le Sahel qui promeut une approche intégrée au niveau régional et vise à traiter toutes les causes de la crise. C’est toujours conformément à cette volonté que le Togo a pris une part active à la réunion inaugurale du Mécanisme de Soutien à la Transition au Mali (MST-MALI) dont il s’est engagé à accueillir la prochaine réunion. Je vous le dis, le Togo est et sera un pays «exportateur» de paix.
Je voudrais préciser, pour finir, que dans toutes ses interventions, le Togo est resté fidèle à la position de la CEDEAO qui est celle d’une condamnation ferme de toutes les prises inconstitutionnelles de pouvoir.
Depuis plus de deux ans, les négociations du nouvel Accord de partenariat entre l’Union Européenne et l’Organisation des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) occupent une bonne partie de votre agenda. Il a été récemment annoncé que vous êtes parvenus à un accord. Quelles sont les principales innovations de ce nouvel accord ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Comme vous l’avez souligné, nous avions entamé les négociations en septembre 2018 avec l’espoir de les achever au plus tard le 29 février 2020, date d’expiration de l’actuel Accord de Cotonou. Les difficultés qui ont jalonné ce parcours ont rendu nécessaire un premier report au 31 décembre 2020. Ensuite, la crise du coronavirus ne nous a pas permis de tenir le calendrier arrêté, nous contraignant encore à un nouveau report pour le 30 novembre 2021. Cependant, malgré la crise sanitaire, les négociations se sont poursuivies par visioconférence et je suis heureux de vous annoncer que le 3 décembre dernier, nous sommes parvenus à un accord politique sur l’ensemble des textes en négociation, aussi bien le socle commun que les trois protocoles régionaux. Ces textes feront l’objet d’un toilettage technique et juridique avant leur paraphe par les Négociateurs en chef, en janvier ou février. Ce texte paraphé sera soumis aux procédures internes de chacun des partenaires avant sa signature et sa ratification.
L’une des nouveautés de cet accord est l’approche régionale qui a été privilégiée. L’accord comporte en effet un socle commun qui définit les principes et les valeurs partagés par toutes les parties prenantes. Ce socle commun porte également sur les domaines prioritaires que sont : droits de l’homme, démocratie et bonne gouvernance ; paix et sécurité ; développement humain et social ; durabilité environnementale et changement climatique ; croissance économique et développement durable et inclusif et migration et mobilité. A ce socle commun s’adossent trois protocoles régionaux qui font partie intégrante de l’Accord. Les régions Afrique, Caraïbes et Pacifique ont pu chacune négocier leur protocole en tenant compte de leurs priorités et spécificités. Cette approche a permis de préserver l’unité de l’OEACP tout en s’attelant aux défis réels et actuels des populations de chacune des régions.
Pouvez-vous nous rassurer que toutes les priorités et intérêts des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ont été satisfaits ?
Nous avons négocié sur la base du Mandat de négociations adopté en mai 2018 par le Conseil des ministre ACP tout comme mon homologue européen l’a fait sur la base des Directives de négociations approuvées en juin 2018 par le Conseil européen. Chacun de nous aurait aimé dire que ses priorités ont été satisfaites à 100%. Malheureusement, dans une négociation, on est obligé de concéder sur certaines questions afin de parvenir à un compromis global. Parfois, il a été nécessaire de rencontrer des personnalités de l’autre camp, qui ne sont pas directement impliquées dans les négociations mais dont les opinions comptent. C’est ainsi qu’en janvier par exemple, j’ai passé deux jours au Parlement européen à Strasbourg où j’ai eu des échanges avec plusieurs Eurodéputés et groupes politiques à qui j’ai présenté les attentes des pays de l’OEACP. Ces échanges ont permis de comprendre les positions de notre partenaire et ont confirmé notre ambition partagée pour bâtir une relation de coopération moderne qui réponde aux enjeux du siècle.
Malgré cette ambition commune, il y a eu des questions qui ont été âprement discutées : il s’agit, sans être exhaustif, de la peine de mort, de la gouvernance en matière fiscale et de lutte contre le blanchiment de capitaux, de la santé et des droits sexuels et reproductifs, de la non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, de la cour pénale internationale, du retour des biens culturels, de la migration, etc. Il faut par ailleurs noter que les dispositions de l’accord de Cotonou sur la base desquelles l’UE prenait des sanctions unilatérales contre les Etats de l’OEACP ont disparu au profit d’un mécanisme de règlement des différends beaucoup plus consensuel. Je pense que dans l’ensemble le nouvel accord est bien équilibré et préserve les intérêts stratégiques de notre groupe.
C’est donc un satisfecit sur le plan multilatéral. En termes de renforcement des relations de coopération avec les pays amis, dites-nous Monsieur le ministre, quelles ont été les actions menées par vos services au cours de cette année 2020 qui s’achève ?
Sur le plan de la coopération bilatérale, nous avons démarré l’année sur des chapeaux de roue. Déjà le 31 janvier 2020, j’ai effectué une visite de travail à Helsinki où j’ai eu de fructueux échanges avec mon homologue Finlandais, PekkaHaavisto. Nous avions convenu de renforcer la coopération politique et commerciale entre nos deux pays. Le Togo a également décidé de hisser à un niveau beaucoup plus ambitieux sa coopération avec la Fédération de Russie. C’est le sens de ma rencontre avec Sergey Lavrov, en février 2020. Ayant compris l’intérêt stratégique de se rapprocher des puissances émergentes, j’ai invité à Lomé le Ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Durant son séjour à Lomé, nous avons signé plusieurs accords notamment en matière de consultations politiques et de formation de diplomates. La volonté du Togo de diversifier ses relations bilatérales s’est par ailleurs matérialisée par la visite au Togo de Jean-Claude Gakosso, Ministre des Affaires Etrangères de la République du Congo, les 19 et 20 août 2020. Nous avons à cette occasion décidé d’engager très prochainement les discussions afin de convenir des nouvelles bases de la coopération bilatérale entre nos deux pays.
Je ne saurai oublier le soutien de Cuba qui, au plus fort de la crise du Covid-19, a dépêché à Lomé une brigade médicale d’une douzaine de spécialistes dont l’apport a été très utile dans notre riposte contre cette pandémie.
Toutes ces nouvelles amitiés n’occultent pas les relations privilégiées que nous entretenons avec nos partenaires traditionnels, la France, l’Allemagne, la Chine, le Japon et les USA en l’occurrence.
Revenons au plan multilatéral. Il y a quelques jours, nos collègues du journal Le Soleil titraient : « Robert DUSSEY dans une percutante lancée ». Quelles actions, au plan multilatéral, a pu susciter un tel enchantement de la presse ?
(Rires) Vous auriez bien fait de poser la question à vos confrères. Pour ma part, je dirai que sur le plan multilatéral, l’action du Togo est restée ancrée dans la poursuite de la défense des valeurs que nous estimons devant être les fondements des relations internationales. C’est le fil conducteur de toutes nos prises de position dans les enceintes internationales. Parmi ces valeurs figure en bonne place le multilatéralisme, largement remis en cause ces derniers temps par la montée des égoïsmes nationalistes sur fonds d’affrontements commerciaux et géostratégiques de certaines puissances. C’est pour réaffirmer le principe suivant lequel les relations inter-Etats devraient se baser sur le droit et la concertation que le Togo a adhéré à l’Alliance pour le multilatéralisme, portée par la France et l’Allemagne. Cette Alliance est un réseau informel de pays unis par leur conviction que l’ordre multilatéral fondé sur des règles peut seul garantir la stabilité et la paix internationales et que nos problèmes communs ne peuvent trouver de solution qu’à travers la coopération. Elle s’attache à restaurer l’engagement mondial en faveur d’une stabilisation de l’ordre international fondé sur des règles et le respect des principes.
Une autre valeur est la liberté religieuse. Face à la multiplication des menaces de divers ordres à la coexistence pacifique des nations et des peuples, il s’avère impérieux de mener des actions ciblées pour tenter de sauvegarder et de renforcer la paix mondiale. Et s’il y a une menace à ne pas négliger de nos jours, c’est bien l’extrémisme violent souvent sur fond d’intolérance religieuse. Cette menace est insidieuse et plus présente qu’on ne le pense. C’est pour y répondre que le Secrétaire d’Etat américain, Mike POMPEO m’a sollicité pour que nous lancions, le 05 février 2020 à Washington, l’Alliance pour la liberté religieuse. C’est un projet qui a pour finalité ultime la construction d’un monde prospère et paisible dans lequel personne ne devra plus être persécuté pour sa foi et ses croyances religieuses.
La réunion que j’ai pris la responsabilité d’organiser le 29 septembre 2020 par visioconférence, avait pour objectif de convenir avec mes homologues africains des actions à mener en vue de l’adoption d’une position commune continentale sur la liberté religieuse. Notre souhait aujourd’hui est que la mise en œuvre de cette initiative puisse être coordonnée à un niveau élevé par l’Union Africaine qui, dans cette tâche, travaillera avec un groupe d’experts de la question et des comités régionaux dont le rôle sera d’œuvrer pour l’ancrage de cette vision sur l’ensemble du continent. Je suis convaincu que la promotion du dialogue inter-religieux est l’une des pistes pour bâtir la paix.
Pour finir, permettez-moi d’évoquer sous ce chapitre la visite de travail que j’ai eue à effectuer en mars 2020 à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) où nous avons signé le programme-cadre national 2020-2025 permettant au Togo de bénéficier de l’accompagnement de cette institution dans la gestion, l’utilisation des matières nucléaires et l’application de la technologie nucléaire et radiologique pour la promotion du développement économique et social.
En novembre 2019, le gouvernement togolais a procédé à l’installation du Haut Conseil des Togolais de l’extérieur (HCTE). Un an après la mise en place de cette structure, quel regard portez-vous sur son fonctionnement et sur l’exécution de ses missions ?
Pour rappel, l’idée de la mise en place du Haut Conseil des Togolais de l’extérieur (HCTE) s’inscrit dans la droite ligne de la vision du gouvernement de faire participer la diaspora togolaise au développement national. Mais le résultat immédiat qui était en vue dans le cadre du projet du HCTE est de fédérer les communautés togolaises à l’étranger, longtemps disparates, et de donner un interlocuteur crédible au gouvernement sur les questions de la diaspora. Aujourd’hui, nous pensons que cette attente est comblée. Le HCTE a consacré la première année de son existence à définir ses règles de fonctionnement par l’adoption de son règlement intérieur et à exécuter son plan d’actions exercice 2020. Par ailleurs, la restauration de la confiance entre le gouvernement et la diaspora à travers la mise en place du HCTE a permis à nos compatriotes vivant à l’étranger d’exercer pour la première fois leur droit de vote lors de l’élection présidentielle de février 2020.
Sur un autre plan, signalons que le HCTE et ses démembrements notamment les Délégués Pays ont apporté un soutien important au Gouvernement dans la coordination du rapatriement des Togolais qui étaient bloqués à l’extérieur du pays suite à la fermeture des frontières par les Etats. Ils ont aussi contribué à l’effort national de riposte à travers un don de 10.000 masques pour venir en aide aux couches vulnérables et défavorisées de notre pays. D’autres activités organisées par visioconférence ont permis aux compatriotes à l’étranger d’être outillés sur les fondamentaux de l’emploi à l’international avec le soutien de l’Etat et de cerner davantage les opportunités qu’offrent certaines structures dans le cadre de la mobilisation des ressources financières vers le Togo.
Vous faites partie de ces leaders africains qui partagent régulièrement des réflexions prospectives sur le monde. En mai 2020, vous avez publié dans le journal français l’Opinion une tribune intitulée « Coronavirus: dix leçons à tirer pour un nouvel ordre mondial ». Avec le recul, laquelle de ces leçons vous paraît la plus importante ?
La 2ème leçon : nous devons retenir à l’échelle humaine que l’incertitude liée à l’avenir et au devenir historique des sociétés humaines est plus grande que la certitude liée au présent. En l’espace de quelques mois, notre monde de plus en plus sûr de lui-même, de ses avancées scientifiques et de leurs applications technologiques ainsi que de ses forces agissantes a repris conscience de son étonnante vulnérabilité. Le monde est vulnérable et il ne s’agit pas d’une simple vue de l’esprit. Il s’agit d’une vulnérabilité liée non seulement à la fragilité de l’expérience existentielle de l’homme mais aussi à la civilisation moderne aux prémices idéologiques très « discutables ». La vulnérabilité mise à jour par la pandémie du covid-19 est une vulnérabilité à l’échelle humaine dont la manifestation prend diverses formes parce que l’humanité elle-même est diverse. Nos sociétés, Etats ou continents n’ont pas la même résilience ni les mêmes moyens dans la lutte contre la pandémie.
Monsieur le Ministre, nous arrivons au terme de notre entretien. Avez-vous un mot de fin ?
Que dire d’autre, si ce n’est formuler à vous-mêmes, aux populations togolaises et africaines, à toutes et à tous mes vœux de santé et de prospérité pour l’année nouvelle.
Au Chef de l’Etat, S.E.M. Faure Essozimna Gnassingbé, je présente mes vœux de bonne santé, de paix intérieure et de bonheur. Que la grâce du Seigneur accompagne également le Premier Ministre, Madame Victoire Tomegah-Dogbé, ainsi que l’ensemble du Gouvernement. A tous nos partenaires, je souhaite une joyeuse année 2021.
Pour finir, je voudrais exhorter les jeunes togolais et africains à être les architectes de leur propre bonheur, à construire par eux-mêmes le monde dont ils rêvent.