Robert Dussey, ministre togolais des affaires étrangères, séjourne à Paris. Dans une interview accordée à Rfi, le chef de la diplomatie togolaise aborde plusieurs sujets : les négociations pour le nouvel accord UE-ACP, les crises en Libye et au Soudan, sans oublier le Togo (candidature de Faure Gnassingbé).
Question : Vous êtes le négociateur en chef du Groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) chargé de négocier le nouvel accord de Cotonou qui expire le 29 février 2020. Quelles sont les attentes des pays ACP pour cette nouvelle mouture ?
Robert Dussey : Les négociations en cours ont pour enjeux essentiellement, de continuer la coopération avec la partie européenne. Ces négociations sont importantes parce que l’Afrique est désormais dans une mutation de son rapport avec le monde.
Les échéances sont très courtes, les discussions semblent prendre énormément de temps. Qu’est ce qui fait blocage ?
Aujourd’hui, vous savez bien qu’il y a du changement en cours au niveau de l’Union européenne, donc ce changement joue également. Nous pensons qu’à partir du 1er novembre, une fois que toute la commission de l’Union européenne sera installée, les négociations vont sûrement s’accélérer. Mais, soyez rassurés qu’il n’y a pas de blocage. Il y a des questions peut-être difficiles telles que la migration, l’appartenance des pays africains à la Cour pénale internationale (CPI), les sanctions à l’endroit des pays africains… Ce sont des questions que nous aurons à discuter, parce que pour l’Afrique, il n’est plus question aujourd’hui de continuer à sanctionner les pays pour déficit démocratique, mais plutôt de prôner le dialogue. Par exemple dans l’article 96, on voit que ce n’est pas un partenariat, mais plutôt un partenaire qui décide par sa force et sa puissance, de l’avenir des autres.
Donc c’est un article que les pays ACP aimeraient modifier?
L’article 96 est un article dont les pays ACP ne veulent plus entendre parler, car c’est cette disposition qui permet les sanctions politiques à l’endroit des pays ACP. Donc, les pays ACP refusent aujourd’hui cet article.
Vous présidez le Conseil paix et sécurité de l’Union africaine depuis le début du mois de juillet. Voilà déjà trois mois que les violences s’intensifient en Libye suite à l’offensive lancée par le maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli. Est-ce que vous craignez qu’une guerre, vraiment longue s’installe dans le pays ?
Pour qu’il y ait la paix en Libye, ce n’est pas uniquement par la force. Il faut aller vers les négociations politiques, et l’Union africaine est ferme sur cette question. Nous disons que la paix en Libye ne peut se faire sans les libyens et sans une négociation quelconque. Donc, nous profitons pour exhorter toutes les parties libyennes à aller à la table de négociation. Vous savez le conflit en Libye prend ces dimensions, parce qu’il y a beaucoup d’ingérences extérieures.
Vous pensez à qui ?
Je ne vais pas citer de pays. Tant qu’il y a des ingérences dans nos conflits, jamais nous ne pourrons trouver la paix. Mais quand, dans le cas de la Libye, des puissances extérieures s’ingèrent elles-mêmes pour leur propre intérêt, je pense que ce conflit va durer tant que les intérêts de ces pays seront menacés sur le terrain.
L’Union africaine souhaite envoyer un émissaire conjoint (Union africaine/ONU) pour amener chaque partie au dialogue. Mais, il existe déjà plusieurs envoyés spéciaux. Est-ce que cela ne reviendrait pas un peu à rendre le discours disparate sur le terrain ?
Je crois que l’Union africaine a raison. Elle préfère un médiateur conjoint (Union africaine/ONU), parce qu’aujourd’hui, on a d’abord l’impression que l’Afrique semble être exclue des négociations en cours en Libye, alors que la Libye est un pays africain. Je crois que le fait qu’il y ait plusieurs négociateurs, plusieurs +ingérences+, plusieurs personnalités qui s’occupent de la Libye, complique le message politique.
Mais, en interne, le président en exercice de l’Union africaine, l’égyptien Abdel Fattah al-Sissi prône plutôt la solution militaire. On a l’impression qu’on ne parle pas d’une même voix au sein de l’Union africaine.
Je ne vais pas commenter la position du président égyptien, c’est le président en exercice de l’UA. Mais ma position est celle de l’Union africaine : celle du dialogue, de la table des négociations.
La crise au Soudan, quelques mois après le départ du président Omar…. On est dans l’impasse. L’accord de partage de pouvoir a été rejeté, les militaires contrôlent toujours le pays. Est-ce que cela vous inquiète ?
Je crois que la solution au Soudan doit se réaliser par le dialogue. Il faudrait pousser à la tempérance, pour que, même les militaires au pouvoir, comprennent qu’aujourd’hui, qu’il faut aller vers un gouvernement civil dans lequel ils peuvent être représentés. Mais il faut qu’il y ait une mise en œuvre rapide.
Est-ce qu’il faudrait accorder, selon vous, une immunité aux personnes actuellement en fonction, comme le demandent les militaires ?
Vous me posez une question difficile. Je crois que, quand on parle de paix et de réconciliation, il faut toujours trouver l’équilibre entre la justice – parfois la justice transitionnelle – et le respect des droits de l’homme. Je vous laisse choisir.
Un mot sur le Togo. Le parti majoritaire est sorti vainqueur des élections municipales. Pensez-vous que le président Faure Gnassingbé a l’intention de profiter de ces résultats pour briguer un autre mandat, puisque la constitution l’autorise ?
Je ne vois pas comment il ne peut ne pas être candidat. Il doit être investi par le parti pour être candidat. Mais je pense que le président a tout intérêt, vu le travail excellent qu’il est en train de faire, de continuer la transformation politique, économique et sociale du Togo. FIN
Transcription : Junior AUREL