Une trentaine de magistrats, d’officiers de police judiciaires et de parlementaires venus de tous les coins du Togo ont suivi les 12, 13 et 14 juin à Kpalimé (environ 120 km au nord de Lomé), une formation visant à les doter d’instruments pour comprendre et se mobiliser contre la traite des personnes. La rencontre a été organisée par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) avec l’appui du gouvernement américain dans le cadre du Programme régional sur la migration en Afrique. A la fin des travaux, l’Agence Savoir News a rencontré Marco Pellegrini, chargé de projet à l’OIM.
Savoir News : La traite des personnes, c’est l’exploitation des êtres humains. Comment se manifeste-t-elle sur le terrain ?
Marco Pellegrini: Comme vous l’avez bien dit, la traite des personnes a été identifiée au niveau du droit international, au niveau du Protocole de Palerme qui a été intégré au Togo dans le code pénal aux articles 317 et suivants.
La traite des personnes, c’est effectivement le fait de recruter, transporter, héberger une personne par la menace, le recours à la violence ou à d’autres formes de contrainte, à des fins d’exploitation. Cette exploitation peut-être une exploitation sexuelle, une exploitation de travail ou autres formes d’exploitation comme le mariage forcé, l’exploitation par le biais des trafics d’organes. Donc sur le terrain, il y a une importante partie des mineurs, des filles, mais il faut considérer qu’il y a aussi beaucoup d’adultes qui sont victimes de traite qui terminent dans des réseaux d’exploitation, à des fins de travail ou d’exploitation sexuelle surtout.
Effectivement au Togo, nous n’avons pas de grandes preuves de trafics d’organes par exemple. Donc c’est surtout l’exploitation à des fins de travail et la prostitution.
Au Togo, il y une forte dégénération de pratiques traditionnelles comme les pratiques d’enfants placés (enfant à quelqu’un par exemple). Il faut dans ce cas être très attentif. Je parle aux parents de filles et de jeunes. Il y aussi certaines personnes qui sont proches de la famille et de la communauté qui se proposent ou vous proposent d’amener vos enfants ailleurs pour qu’on leur donne une autre éducation, il faut être très prudent ou attentif avant de faire confiance à ces personnes et vérifier que vos enfants vont vraiment être bien traités et suivre un parcours formatif et qu’ils ne vont pas être mis dans des réseaux d’exploitation.
Selon l’OIM, la traite des personnes est une activité très répandue dans le monde, c’est la 3ème activité criminelle internationale la plus rentable après le trafic de drogue et d’armes. Comment expliquez-vous cela ?
C’est une question intéressante effectivement. C’est vrai que le trafic illicite de migrants est un phénomène qui touche toutes les zones géographiques des pays du monde. C’est dans ce cadre que nous sommes avec les professionnels de droit en atelier à Kpalimé tout récemment pour débattre des modalités plus efficaces pour la poursuite des crimes. Et je pense que qu’il y a deux clés pour répondre à cette question sur la rentabilité de la traite. Effectivement, c’est un crime qui est difficile à poursuivre, parce qu’à la différence des trafics d’armes et de drogues, les objets de crimes sont de trafics des personnes sont des personnes. Donc il est difficile d’identifier un trafiquant de personnes. Il faut être bien formé pour reconnaître certains signaux et aussi avoir une certaine interprétation psychologique des victimes pour comprendre là où on pourrait être face à un cas de traite des personnes. Par contre, pour le trafic de drogue et le trafic d’armes, les objets de crimes sont des matériaux illégaux dont la détection est très simple et une fois détecté, la poursuite aussi est directe. Cependant, il y a diverses compréhensions sociales du crime. Il y a certaines couches sociales qui n’arrivent pas à identifier certains phénomènes tels que le trafic des personnes comme traite, par contre tout le monde sait que le trafic de drogues et d’armes sont des phénomènes illicites.
Et quels sont les pays les plus touchés en Afrique de l’Ouest ?
Je dirai que tous les pays de l’Afrique de l’Ouest sont touchés. Et il est important de savoir que ce n’est pas un phénomène exclusif de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique en général. Lors de la formation, j’ai projeté certains vidéos et reportages de réseaux démantelés aux États-Unis, dans l’Union européenne.
Donc ce n’est du tout un phénomène qui a des limites géographiques. C’est quasiment impossible de faire un classement et l’une des raisons, c’est très difficile d’avoir des statistiques sur le phénomène. En tant qu’activité criminelle et à cause des difficultés de la poursuite, c’est vraiment compliqué d’avoir des statistiques fiables. Mais nous pouvons dire que tous les pays, inclus le Togo, sont touchés par ce phénomène. Pour cela, nous sommes en train de travailler avec les différentes composantes qui peuvent intervenir dans la prévention, dans la prise en charge et dans la poursuite des auteurs pour éradiquer ce fléau du pays.
Quel est aujourd’hui le rôle de l’OIM dans la lutte contre la traite des personnes ?
L’OIM travaille avec le gouvernement, les Organisations de la Société Civile et les Organisations Non Gouvernementales (ONG) pour donner une réponse multisectorielle à la lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite des migrants.
Donc si je peux parler d’activités que nous avons réalisées cette année au Togo, je dirai que nous avons travaillé avec les différents acteurs notamment ceux de la protection sociale (gouvernementale et non gouvernementale) pour renforcer leurs capacités dans la prise en charge des victimes de traite, car ils jouent aussi un rôle important dans la prévention.
Ensuite pour le côté prévention et pour sensibiliser le plus grand nombre possible de citoyens sur l’existence du fléau, nous avons travaillé avec les medias pour lesquels nous avons organisé un renforcement de capacités professionnelles pour les secteurs radios et ensuite nous avons créé et diffusé des campagnes de sensibilisation radio sur les radios communautaires des différentes régions du pays.
Nous avons aussi travaillé avec les transporteurs qui sont souvent complices ou font partie du phénomène sans le savoir. Nous sommes aussi avec les professionnels de droit notamment des députés à l’Assemblée nationale, des magistrats, des opérateurs de la police judiciaire et des avocats. Nous sommes en train de faire un double travail avec eux : renforcement des capacités par le code pénal (l’arsenal juridique existant au Togo et dans le droit international) et un travail d’échange pour renforcer la coopération entre les différents acteurs, pour faire la différence sur le terrain. Nous sommes aussi actifs sur l’assistance directe et le retour volontaire des victimes de traite. L’OIM travaille aux côtés de l’État et de la société civile pour ça.
Votre message pour conclure cet entretien.
Il faut travailler ensemble, il faut prendre conscience que la traite est un crime difficile à détecter et à poursuivre et qui existe au quotidien, à côté de nous. Par conséquent nous devons faire la différence en ouvrant les yeux, en étant attentif et vigilants, en faisant les petites actions tous ensemble. Donc ce massage ne se limite pas aux acteurs juridiques, mais chaque citoyen peut jouer un rôle dans la lutte contre la traite des personnes. FIN
Propos recueillis par Bolassi ATCHINAKLE (Kpalimé)