Kako Nubukpo (macroéconomiste togolais) a invité la France à « laisser tranquille les 14 pays de la zone franc par rapport au francs CFA », estimant que ces Etats possèdent « suffisamment d’expertises » pour gérer une monnaie.
En plus de 70 ans, le franc CFA a déjà essuyé de nombreuses critiques. Ceux qui s’opposent à cette monnaie, estiment qu’elle est la preuve d’une « survivance coloniale ».
Depuis 1945, la Banque de France est le troisième acteur de ce système monétaire. Le franc CFA est arrimé à l’euro, selon une parité fixe décidée par la France. En contrepartie, les pays de la zone franc ont l’obligation de déposer 50% de leurs réserves de change au Trésor français. C’est aussi en France que sont imprimés les billets de francs CFA.
« Que la France nous laisse tranquille par rapport à la monnaie. Nous allons gérer ça, nous-mêmes. Nous avons suffisamment d’experts, nous avons suffisamment d’expertises et nous avons suffisamment de vision pour gérer nous-mêmes une monnaie », a martelé Kako Nubukpo.
« Le Rwanda, le Ghana, la Gambie, l’Égypte…. gèrent leur monnaie. Il ne faut pas qu’on nous fasse croire que c’est sorcier. C’est une insulte à l’intelligence collective des africains de la zone franc que de leur faire croire qu’ils sont incapables de gérer une monnaie », a lancé le macroéconomiste togolais.
Ce dernier a dénoncé le « silence assourdissant de la part des chefs d’État africains de la zone franc ».
« J’aimerais bien qu’ils s’expriment et qu’ils expliquent pourquoi ils tiennent tant au franc CFA. Il faudrait qu’on ait de vrais débats de société, parce que nous sommes tous copropriétaires de cette monnaie ».
« Je pense que ce sont les africains, les premiers concernés, qui doivent ouvrir le débat, et s’en saisir. La France est à l’aise avec le FCFA. Car, d’un point de vue symbolique, cette monnaie lui assure un pré-carré de 14 États. Et chaque année, au mois d’octobre, il y a la réunion des ministres de la zone franc. Elle ne se tient qu’à Paris. Donc, vous avez 14 ministres des finances de la zone franc, qui vont prendre leur avion, faire des milliers de kilomètres, pour aller faire allégeance au ministre français des finances », a-t-il poursuivi, avant d’ajouter : « ce n’est pas très joli ».
– Les symboles comptent –
« La France n’est pas dans la zone franc, elle est dans la zone euro. Nous n’avons pas à emprunter la route de la servitude volontaire. Les symboles comptent. Les gens ont tendance à sous-estimer les symboles, mais c’est dans les symboles que vous voyez la réalité des choses. Ce que la France gagne surtout, c’est cette puissance symbolique. C’est très important », a relevé Kako Nubukpo.
« Nos billets de banque ne sont pas fabriqués en Afrique. Nos réserves de changes ne sont pas déposées dans des banques où on apprend à gérer en termes de choix de portefeuilles. Au moins 50% de ces réserves doivent être déposées auprès du trésor français. C’est ce que j’appelle la servitude volontaire : cette paresse intellectuelle, cette facilité à s’accommoder d’une servitude qui remet en cause tous les efforts des pères de l’indépendance. Des gens sont morts pour l’indépendance de nos pays, mais ce n’est pas pour que quasiment 60 après, nous allions dans une sorte de servitude. Nos banques centrales sont indépendantes des États ».
« Nos banques centrales sont indépendantes des États. On le leur a accordé en avril 2010. Mais elles vont auprès du trésor français, donc le ministère des finances d’un pays étranger pour déposer nos réserves de change. Pourquoi nous ne respectons pas le parallélisme des formes. Pourquoi ce n’est pas une autre banque centrale qui accueille ou héberge nos réserves de change ? Pourquoi ce n’est pas la banque centrale européenne ? C’est elle qui émet l’euro. Pourquoi ce ne sont pas des accords entre banques centrales ? », s’est longuement interrogé M.Nubukpo, avant d’ajouter : « ce sont toutes ces questions qui méritent d’être posées pour que nos dirigeants nous répondent ».
– Près de 155 millions de personnes utilisent le franc CFA –
« C’est à nous de prendre notre destin en main, parce que c’est d’abord notre responsabilité d’assurer la prospérité de nos populations. Derrière la gestion de cette monnaie, vous avez tous les maux qui minent le développement du Continent », a-t-il dénoncé.
Outre les grands groupes français ou européens, le franc CFA permet aux élites de vivre confortablement : « elles peuvent importer de belles voitures, des caisses de champagne, au détriment des populations rurales, car ce sont elles qui font les devises dont nous parlons : les producteurs de café, de cacao ou de coton … ».
« Ces populations n’ont pas en retour, les services publics dont elles pourraient prétendre : santé, éducation, route, électricité, eau potable. Le franc est une monnaie inéquitable socialement, parce que ce sont les classes moyennes urbaines qui vivent au-dessus de leurs moyens, au détriment des classes rurales, qui produisent des devises », a dénoncé M.Nubukpo.
« Je me suis lancé dans ce débat, il y a une quinzaine d’années. Nous ne sommes pas des fanatiques anti-CFA », a-t-il clarifié, avant de préciser : « Nous disons simplement que la monnaie ne doit pas être traitée autrement. Elle doit être traitée comme nous traitons toutes les autres variables de l’économie, et qu’on discute de façon holistique entre la politique monétaire et les autres objectifs que nous nous assignons en termes de développement ». FIN
Junior AUREL