Le président nigérian, en campagne pour sa réélection en février prochain, a probablement parlé trop vite lorsqu’il s’est réjoui de l’accord syndical trouvé en début de semaine pour augmenter le salaire minimum de 18.000 à 30.000 nairas mensuels (43 euros à 72 euros).
Muhammadu Buhari, recevant les recommandations d’un comité composé de représentants syndicaux, du gouvernement nigérian et du secteur privé, a souligné le « professionnalisme » de ses membres, qui sont parvenus à trouver un accord après des mois de bras de fer et de menaces de grèves.
Le chef de l’Etat a d’ailleurs estimé que leurs recommandations finales (de 30.000 nairas) étaient « réalistes, justes et possibles à mettre en place » et qu’elles seraient étudiées par l’éxécutif « au plus vite » avant d’être renvoyées à l’Assemblée.
Les syndicats, menaçant de paralyser le géant ouest-africain de 180 millions d’habitants par une grève massive et illimitée, n’avaient évidemment pas oublié de rappeler que les travailleurs n’accordaient leur vote qu’à celui qui défendrait une importante augmentation du salaire minimum.
Mais dès le lendemain de la déclaration présidentielle, le ministre de la Communication a échaudé l’enthousiasme général, insistant sur le fait que M. Buhari n’avait en aucun cas donné son accord final sur les 30.000 nairas et rappelant que cette « recommandation devait d’abord être étudiée. »
En effet, si le candidat de l’APC (Congrès des Progressistes) veut ainsi gagner les voix populaires, il risque, avec cette promesse de campagne, de se mettre à dos les 36 gouverneurs de cet État fédéral, pour qui les salaires de fonctionnaires ou d’employés municipaux représentent déjà une immense part de leur budget annuel.
David Umahi, gouverneur de l’Etat d’Ebonyi (sud-est), a déjà prévenu que 30.000 nairas de salaire minimum était une somme irréaliste.
« Nous devrions déterminer quelle part serait consacrée à l’éducation, à la santé et aux infrastructures si 100% du budget (alloué par Abuja aux Etats) part dans les salaires », a-t-il déclaré.
– « Concurrentiel » –
Du côté du privé, Charlie Robertson, économiste à Renaissance Capital et spécialiste du Nigeria, estime que l’équivalent de 72 euros par mois est « un bon compromis, mais toujours discutable ».
Trente mille nairas mensuels, dans un pays où les prix sont dictés par les cours du pétrole et où un sac de 25 kilos de riz coûte près de 10.000 nairas, restent toutefois très peu.
« Oui c’est très bas, si l’on considère le coût de la vie », explique l’économiste à l’AFP.
« Mais si l’on se met à la place d’un investisseur, le coût de la main d’oeuvre dépend aussi d’autres facteurs: son niveau d’éducation et l’accès aux infrastructures, et notamment à l’électricité », poursuit l’économiste.
La Côte d’Ivoire, par exemple, a un salaire minimum plus important que le Nigeria mais son bon réseau d’énergie lui permet d’être toujours concurrentiel par rapport à ses voisins d’Afrique de l’Ouest.
Au Nigeria, l’électricité est quasi-inexistante dans l’immense majorité du pays et le niveau d’alphabétisation de la population adulte frôle à peine les 60% (moins de 50% dans le Nord).
– Inégalités vertigineuses –
N’empêche qu’il sera difficile d’expliquer aux électeurs que le Nigeria, premier exportateur de pétrole d’Afrique avec 2 millions de barils par jour, ne peut ni payer ses fonctionnaires à un taux si bas, ni offrir des infrastructures ou un niveau d’éducation décente à ses investisseurs.
Il y a quelques mois, un député a fait scandale en dévoilant le salaire des sénateurs: 14,25 millions de nairas par mois (35.000 euros) avec les primes. C’est l’un des salaires d’hommes politiques les plus élevés au monde.
Il faudrait environ 35 années de travail à un ouvrier nigérian au nouveau salaire minimum pour obtenir l’équivalent de ce que gagne un sénateur en un mois. Aujourd’hui, avec un salaire à 18.000 nairas, il lui en faut 68 ans (dans un pays ou l’espérance de vie moyenne dépasse à peine les 53 ans…)
Ces chiffres donnent le tournis et reflètent les inégalités vertigineuses qui structurent la société nigériane. A l’approche du scrutin présidentiel et après deux années de récession douloureuses entre 2016 et 2017, les électeurs demandent des comptes.
« Où allez-vous trouver l’argent? », interroge l’éditorialiste de The Nation, Gbenga Omotoso. « Diminuez ces salaires scandaleux, obligez les riches à payer leurs impôts, poursuivez les corrompus, et engagez l’économie dans un vrai programme de diversification », martèle-t-il.
Source : AFP