Après des dizaines de manifestations de rues ayant secoué le pays, la coalition de l’opposition et le pouvoir sont toujours à couteaux-tirés, malgré la feuille de route de la Cédéao.
Pour Nathaniel Olympio (président du Parti des Togolais), dans une interview accordée à l’Agence Savoir News, le dialogue a « échoué ». Ce dernier pointe du doigt le parti au pouvoir.
« La responsabilité première incombe au régime qui a mis de côté la feuille de route de la Cédéao, sans tenir compte qu’il faut faire les choses de manières consensuelle, sans tenir compte du fait qu’il y a des réformes à faire, avant de s’engager dans l’organisation des élections », a-t-il accusé.
Savoir News : Monsieur Nathaniel Olympio, comment se porte aujourd’hui le Parti des Togolais ?
Nathaniel Olympio: Actuellement nous avons au Parti des Togolais, deux axes majeurs d’action. D’une part, nous intensifions notre programme de formation et de sensibilisation des militants et des citoyens. Vous savez l’importance que représente le programme de formation pour notre parti. D’autre part, l’engagement au sein de la coalition des 14 partis de l’opposition politique pour l’alternance au sommet de l’État est déterminant pour notre parti.
Ces derniers temps, vous avez plusieurs fois, affirmé que le dialogue a échoué. Vous estimez vraiment que les discussions ont fait flop ?
Malgré la réticence du peuple togolais, la coalition a accepté d’aller au dialogue. C’est un fait sur lequel on ne revient pas. Toutefois, le Parti des Togolais a toujours déclaré qu’il n’avait pas confiance en ce régime pour qu’il donne aux togolais, ce qu’ils attendent au cours de ces discussions. Les postures du régime le présageaient.
Aujourd’hui, ce dialogue a conduit à l’élaboration d’une feuille de route. Mais, on constate aisément que le régime fait fi des recommandations de la feuille de route et s’engage unilatéralement dans l’organisation des élections, à commercer par le recensement, sans se soucier des réformes qui doivent logiquement et selon la feuille de route, précéder les opérations électorales. Fouler au pied la feuille de route, signifie qu’en réalité, le régime ne donne aucune importance ni au dialogue ni même à la Cédéao qui pilote ce dialogue par deux facilitateurs. La conclusion s’impose à tout le monde.
Le dialogue dans sa forme actuelle est un échec purement et simplement (et j’insiste). Nous devons trouver d’autres voies et moyens, nous devons trouver le mécanisme qui permette que les togolais puissent se dire la vérité, aborder les questions de fond et trouver des solutions consensuelles en préservant le vivre ensemble. Ce n’est qu’à ce moment-là, que nous pouvons espérer avoir une orientation pacifique de sortie de crise.
Mais si nous restons enfermés dans ce dialogue, tel qu’il est aujourd’hui, avec cette prédisposition du régime, sans qu’il y ait une forte pression de l’intérieur et de l’extérieur, le dialogue ne donnera strictement rien. Et c’est ce à quoi nous assistons actuellement.
Selon vous, à qui incombe la responsabilité ?
La responsabilité première incombe au régime qui a mis de côté la feuille de route de la Cédéao, sans tenir compte qu’il faut faire les choses de manières consensuelle, sans tenir compte du fait qu’il y a des réformes à faire, avant de s’engager dans l’organisation des élections. Et toutes ces choses sont contenues dans les recommandations de la feuille de route, issue du dialogue.
Dès lors que le régime s’est écarté de ces recommandations de manière significative, unilatérale et délibérée, le dialogue est de facto piétiné. C’est l’échec des discussions, et le régime endosse l’entière responsabilité. Ayons l’honnêteté de le reconnaître. A moins que la Cédéao ne sorte de son silence et ramène le régime hors de ses dérives.
N’est-ce pas facile d’accuser les autres ? La coalition n’a pas aussi sa part de responsabilité ?
Oui, la coalition a une responsabilité. Celle de n’avoir pas fait de pression pendant le dialogue. Celle d’avoir accepté les recommandations des facilitateurs de suspendre les manifestations publiques pacifiques. La coalition s’est pris les pieds dans le tapis. Nous devons corriger cela rapidement. Nous devons retrouver notre esprit de fermeté et de combativité sans perdre notre capacité de flexibilité car, nous devons maintenir la stabilité dans notre processus d’accès à l’alternance et au-delà. Mais ceci n’excuse nullement le comportement irresponsable du régime.
Maintenant que « l’échec » est décrété, que faut-il faire ?
Non Monsieur, l’échec n’est pas décrété. Il est constaté.
Pour répondre à votre question, je dirai que, de mon point de vue, nous devons faire preuve d’ingéniosité pour trouver un autre cadre de discussion. Nous devons trouver le moyen d’exercer plus de pression sur ce régime, pour qu’il comprenne qu’il est indispensable de s’inscrire dans un vrai dialogue, dans une discussion qui traite des sujets de fond : le découpage électoral, la dotation de carte nationale d’identité et d’acte de naissance (avant de s’engager dans l’élaboration du fichier électoral avec une biométrie intégrale), le scrutin à deux tours pour les législatives, la Cour constitutionnelle (dans sa composition et son fonctionnement), la Commission électorale nationale indépendante (la disposition paritaire, mais il faut aussi aborder la question relative à la présidence de la Céni), la limitation du mandat présidentiel et le mode scrutin à deux tour pour l’élection du président de la République).
Même si les deux derniers points sont déjà pris en compte par la feuille de route de la Cédéao, il convient de travailler pour les rendre effectifs. Nous nous rendons bien compte qu’à ce jour, aucune réforme n’est faite finalement.
Donc, nous devons trouver des mécanismes les plus adaptés pour faire évoluer les choses. Tant qu’on n’aura pas de signes d’ouverture de la part du régime, il y aura complication. Bien entendu, nous devons aussi activer significativement les chefs d’État de la sous-région, pour qu’ils tiennent un langage de vérité à leur homologue togolais, un langage de conformité au protocole additionnel de la Cédéao, un langage de clarté, mais aussi de fermeté. Nous sommes dans un espace communautaire et il faut parfois faire preuve de fermeté à l’égard des frères qui ne sont pas inscrits dans les préconisations de l’espace commun.
Mais la CEDEAO est toujours là. Ses observateurs sont sur le terrain pour le recensement. Quelle appréciation faites-vous alors de la position de la Cédéao?
De toute évidence, depuis que le régime malmène la feuille de route, on observe bien le silence de la Cédéao. L’organisation sous régionale semble profondément embarrassée, parce que le régime l’a mise en difficulté. La Cédéao n’aura pas d’autres issues que de se prononcer clairement sur cette situation. Et, il ne s’agira pas de venir dire aux togolais : on vous donne encore quelques jours pour compléter le recensement. Les togolais ne veulent pas de ce recensement-là, et la Cédéao doit en tenir compte. Les togolais veulent des réformes profondes de la Constitution et des institutions. Les togolais veulent que les élections qui vont se préparer, soient des élections transparentes. La Cédéao doit tenir compte de la réalité du terrain et s’inscrire dans une démarche différente, c’est-à-dire trouver un autre format de dialogue avec d’autres instruments qui peuvent amener tous les protagonistes à trouver la solution pacifique que tout le monde recherche. Ce format doit tenir compte de la société civile et des forces vives, il doit tenir compte de la diaspora. La Cédéao n’a plus droit à l’erreur dans le dossier togolais.
Pour vous, la Cédéao « n’aura pas d’autres issues que de se prononcer clairement » sur la situation actuelle. Se « prononcer clairement » veut dire quoi ?
C’est simple. Toute approche qui maintiendrait le statu quo ou qui préconiserait des réformes à minima est vouée à l’échec. Les togolais veulent l’alternance de manière pacifique. La Cédéao a le devoir d’accompagner les togolais dans ce sens. Pour ce faire, il faut que la Cédéao ajoute un peu plus de fermeté à son approche trop feutrée. Si elle minimisait la volonté du peuple togolais de faire évoluer l’environnement politique qui hypothèque son mieux vivre, alors ce serait une grave méprise aux conséquences imprévisibles.
Agbéyomé Kodjo (président du MPDD/Opposition) a invité samedi, le chef de l’État à intervenir dans la bataille observée depuis quelques jours autour d’un seul siège au sein de la Céni, situation qui d’ailleurs, bloque l’entrée de la Coalition au sein de cette Commission électorale. Êtes-vous dans la même logique que lui?
Ce sujet est une diversion, l’essentiel est ailleurs. L’essentiel, ce sont toutes les réformes en attente. L’essentiel, c’est de passer toutes les étapes qui conduiront à une élection transparente et acceptée de tous. L’essentiel, c’est de donner au peuple togolais la considération qu’il mérite, en lui accordant ses attentes. FIN
Propos recueillis par Junior AUREL