La tenue du premier tour de l’élection présidentielle au Mali, malgré des violences qui ont perturbé le vote, est une étape « importante » au plan démocratique, mais le scrutin risque de ne pas apporter de « changements profonds », explique à l’AFP le chercheur Aurélien Tobie.
Chercheur principal sur le Mali à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), Aurélien Tobie a participé à des études sur les élections locales de 2016 et la présidentielle de 2018 et a publié en décembre un rapport sur les violences dans le centre du pays.
Q – Au lendemain du vote de dimanche, faut-il plutôt en retenir les attaques qui l’ont perturbé, surtout dans le centre du pays, ou l’ampleur limitée des violences?
R- « Je vois vraiment le verre à moitié plein. Je m’attendais à beaucoup plus de perturbations ».
« Ca reste un point très noir de l’action du gouvernement depuis l’élection d’IBK (le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta, NDLR), cette montée en puissance de la violence au centre du pays. Par contre, ça montre quand même qu’un processus électoral peut se tenir dans un pays très fortement troublé ».
Q – Quels changements faut-il attendre de cette élection?
R- « Quand on regarde le profil de tous les candidats, dans l’opposition comme dans la majorité, ce sont quand même tous des candidats du sérail qui ne proposent pas vraiment des changements profonds.
Et donc ces élections sont importantes parce qu’elles redonnent une certaine légitimité aux gouvernants, mais est-ce que sur le fond ça va changer quelque chose, là c’est une autre question et je pense que la plupart des Maliens répondront par la négative ».
« Il y a assez peu d’espoir que ça change quelque chose en profondeur sur les facteurs structurels du conflit au Mali ».
« Il va être assez difficile de convaincre les Maliens d’un renouveau ».
Q – Comment le prochain président pourra-t-il relever le défi de la réconciliation, non seulement dans le nord comme en 2013, mais aussi dans le centre du pays?
« L’opposition au vote dans le centre du pays est vraiment liée à des enjeux locaux plus qu’à des consignes du +JNIM+ » (acronyme anglais du « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », principale alliance jihadiste du Sahel, liée à Al-Qaïda).
« La réconciliation nationale passe d’abord par la réconciliation locale ».
« Pour résoudre la situation de l’insécurité au centre du Mali, il ne faut pas une conférence d’entente nationale, il faut aller à Douentza, il faut aller à Bandiagara, etc. pour résoudre des conflits qui sont extrêmement locaux.
La relation entre le pouvoir traditionnel et le pouvoir étatique, la relation entre le pouvoir religieux et le pouvoir étatique, sont des questions qu’il va falloir traiter ».
« Il va falloir essayer de donner une nouvelle impulsion à ce processus de réconciliation régionale en prenant les choses à la base. Après, ce sera très compliqué de convaincre tous les acteurs de la crédibilité du gouvernement et de l’Etat alors que ça a déjà été fait et que ça n’a pas été suivi d’effet ».
Source : AFP