« On a tout perdu ! Hier ils sont passés pour dire +on doit détruire+. Ils ne nous ont pas donné de délai », s’emporte la patronne d’une boutique démolie samedi à Abidjan car construite dans une zone inondable.
Comme chaque année en saison des pluies (de mai à juillet), la capitale économique ivoirienne a connu des précipitations diluviennes, mais celles du début de semaine ont entraîné des inondations particulièrement meurtrières : 18 personnes sont mortes, et deux en province, avec en outre 138 familles sinistrées. Un des bilans les plus graves depuis deux décennies.
Et comme chaque année, le gouvernement a annoncé des mesures fortes, à l’issue d’un conseil national de sécurité présidé jeudi par le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara en personne : la destruction immédiate « des constructions réalisées dans les bassins d’orage et sur les ouvrages de drainage et d’assainissement », et « le +déguerpissement+ (l’expulsion) de toutes les personnes vivant dans les zones à risque ».
Rue Ministre, une artère commerçante dans le quartier résidentiel de Riviera Palmeraie, des bulldozers sont entrés en action dès 8 heures du matin samedi, avec une importante mobilisation des forces de l’ordre, ont constaté un journaliste et un photographe de l’AFP. Les riverains ont été prévenus la veille seulement de l’opération, selon plusieurs témoignages.
« Je n’ai plus de quoi vivre, je suis vagabonde maintenant! », s’emporte Marie-Claire Akabla, la patronne de la boutique démolie, qui vendait des abonnements satellites Canal+.
Son échoppe était construite juste au bord d’un canal d’égout, qui a débordé lors des pluies diluviennes dans la nuit de lundi à mardi.
Aucun dédommagement n’est prévu pour les « déguerpis » (les expulsés), renchérit Roselyne Kouassi Amanen, qui tient un salon de coiffure voisin, dévasté par l’inondation.
« Vous allez nous dédommager ? Rien, dégagez ! » raconte-elle, relatant son dialogue avec des agents de la mairie.
« La seule chose qui reste à faire, c’est de quitter » (partir) pour aller ailleurs, se résigne, fataliste, Rosine Nguettia, patronne d’un magasin de pagnes sur le point d’être détruit.
– ‘vagabonde maintenant!’ –
Menées sous une pluie persistante, les opérations de démolition se déroulent néanmoins pacifiquement, sous le regard des « déguerpis » et des badauds.
Plus haut dans la rue, couverte de boue et transformée par endroit en fondrière, d’autres pelleteuses curent le large canal d’égout, encombré de détritus en tous genres, de nombreux habitants ayant pris la fâcheuse habitude d’y jeter leurs ordures.
D’autres opérations d’expulsion se déroulaient au cours de la journée dans plusieurs quartiers de Cocody (une des communes d’Abidjan, où se trouve le quartier de Riviera), selon le photographe de l’AFP.
Le scénario des pluies torrentielles suivies d’inondations dévastatrices est récurrent à Abidjan. Les constructions dans des zones inondables, souvent habitées par des pauvres, sont légion dans cette métropole d’Afrique de l’Ouest, forte de 5 millions d’habitants et en croissance continue.
Ville vallonnée bâtie autour de lagunes bordant la mer, la capitale économique pâtit d’infrastructures défaillantes, en particulier pour les égouts et la gestion des eaux, faute d’investissements et d’entretiens suffisants depuis des décennies.
La Côte d’Ivoire a connu une forte croissance économique depuis sept ans, mais les inégalités de revenus restent très élevées, avec un taux de pauvreté avoisinant 45% de la population. La construction de logements sociaux pour les populations défavorisées est insuffisante, d’où la multiplication des constructions anarchiques dans des zones inondables, malgré les risques.
La mairie de Cocody assure que les personnes expulsées de leurs logements par l’opération coup de poing de samedi seront hébergées dans des écoles jusqu’à la fin de la saison des pluies.
« La solidarité est en train de s’organiser, on va distribuer des matelas, des vivres, de l’eau et des produits de première nécessité », précise Edmond Aoli, du service communication de la mairie de Cocody.
Mais qu’adviendra-t-il des expulsés après la saison des pluies ? La mairie n’en sait rien. « On espère que les mentalités vont changer » et que les habitants vont cesser de construire de façon anarchique, confie M. Aoli.
SOURCE : AFP