Trop alarmistes, les ONG humanitaires opérant en RDC ? C’est ce qu’a affirmé Kinshasa vendredi pour refuser une conférence des donateurs. Pourtant, sur le terrain, des enfants souffrent et meurent de malnutrition sévère au Kasaï, a constaté l’AFP en début de semaine.
L’Unicef avait lancé l’alerte fin 2017: 400.000 enfants sont en danger de mort dans cette région diamantifère du centre du pays, ruinée par un conflit entre l’armée et des miliciens coutumiers en 2016-2017. Bilan: au moins 3.000 morts et 1,4 million de déplacés.
Trop « excessif », le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef)? L’AFP s’était aussi posé la question et s’est rendue en début de semaine à Kananga, l’une des grandes villes du Kasaï, en prévision de la conférence des donateurs prévue le 13 avril à Genève qui devait lever 1,7 milliard de dollars pour financer les réponses humanitaires en RDC.
Direction le centre de santé Saints Martyrs. Marie-Louise Misenga, une infirmière, mesure à l’aide d’un mètre-ruban le tour du bras de Tshishiku Npala, un petit garçon de quatre ans.
« Moins de 11 cm. Il est atteint de la malnutrition aiguë sévère (MAS) », diagnostique l’infirmière qui l’oriente vers la salle des soins.
En quelques minutes, huit des 10 enfants de moins de cinq ans examinés sont répertoriés « MAS ». Pour les deux autres, le diagnostic est « malnutrition chronique ».
Les MAS ont « neuf fois plus de risques de mourir qu’un enfant correctement nourri », explique Marie-Louise. « C’est la guerre qui a aggravé la situation ».
Sous le manguier, plus de deux cents personnes prennent d’assaut l’infirmière et son équipe, au milieu des cris et des pleurs. Presque tous les enfants sont maigres ou présentent des signes alarmants: œdèmes, cheveux jaunis, ventre bedonnant, pieds gonflés…
Parmi des dizaines des personnes, Bibomba, 6 à 7 ans, est assis sur un banc en bois à côté d’un garçon de 17 ans. Tous deux n’ont plus que la peau sur les os.
« Que vais-je faire, ma petite-fille risque de mourir, aidez-moi, elle va très mal, elle ne mange pas, elle ne va plus à l’école », se lamente Angèle, grand-mère d’une petite Aimée, neuf ans.
Des cas avec complications sont orientés vers un centre dans la périphérie de Kananga. « Nous ne sommes pas en train de dire que les enfants risquent de mourir mais nous disons que les enfants meurent déjà », répète à l’AFP Christophe Boulierac, porte-parole de l’Unicef.
– Malnutrition chronique –
Seuls 65.000 enfants diagnostiqués « MAS » ont pu être pris en charge par l’Unicef depuis janvier 2017 et « c’est beaucoup trop peu », estime le porte-parole qui conclut son plaidoyer par l’habituel appel aux donateurs: l’agence onusienne a besoin de 268 millions de dollars pour la réponse humanitaire en 2018 en RDC, dont 88 millions au Kasaï.
« Ce n’est plus le temps de discuter des stratégies. Si on agit maintenant, on peut sauver des vies d’enfants ».
A Tshikapa, une autre ville du Kasaï, huit enfants sont morts des complications de la malnutrition en quelques jours dans l’église Eben Ezer, un site abritant deux cents ménages déplacés, soutenu par l’ONG Oxfam, selon les témoignages recueillis par l’AFP.
Zone agricole et riche en diamant, le Kasaï est une région qui, paradoxalement, enregistre une malnutrition chronique, supérieure à la moyenne nationale, même en temps ordinaire. C’est donc « une région fragile nutritionnellement » pour les enfants, selon l’Unicef.
« Je suis choqué face à cette réalité, la situation est catastrophique. C’est une situation alarmante, la prise en charge doit se faire dans l’urgence », réagit Ghislain Mumbere, un ingénieur venu de Kinshasa pour l’assainissement des sources d’eau potable au Kasaï.
Les « mots sont loin de traduire la réalité sur terrain », estime-t-il.
Environ 900.000 personnes sont toujours déplacées en raison de la crise dans la région du Kasaï, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies en RDC (Ocha).
Avec d’autres crises au Tanganyika, au Kivu et récemment en Ituri, la RDC est l’une des principales priorités humanitaires des Nations unies, au même titre que le Yémen et la Syrie.
Le niveau de crise humanitaire n’est pas aussi « excessif », a estimé vendredi le Premier ministre par interim José Makila: « L’activation du niveau d’urgence humanitaire le plus élevé, basé sur les faits qui ne sont pas réels, constitue un frein » pour le développement du pays, « une attitude qui décourage » d’éventuels investisseurs.
Donc Kinshasa « décline sa participation à la conférence de Genève » organisée sous l’égide de l’Union européenne et des Nations unies le 13 avril à Genève, a-t-il ajouté. « Tout en reconnaissant que le pays fait face à des situations d’urgence », selon M. Makila.
SOURCE: AFP