Négociations au Togo : Qu’en attend l’opposition ? (ENTRETIEN AVEC JEAN PIERRE FABRE)

Le dialogue entre l’opposition togolaise et le président Faure Gnassingbé doit s’ouvrir lundi au Togo, après six mois d’une profonde crise sociale et politique dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.

A cette occasion, Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et leader historique de l’opposition, qui dit vouloir « éviter toute mascarade de dialogue », a répondu aux questions de l’AFP :

Vous avez demandé la libération de partisans de l’opposition incarcérés, une mesure « non-négociable » avant le début des discussions. A quelques jours de l’ouverture du dialogue, maintenez-vous cette position ?

Jean-Pierre Fabre : Je maintiens fermement cette position : les personnes détenues doivent être libérées avant toute discussion.

Prenons l’exemple des détenus dans l’affaire des incendies des marchés de Lomé et de Kara (en janvier 2013, lors desquels plusieurs figures de l’opposition ont été inculpées pour ’destruction de biens publics’, ndlr).

Ces personnes sont incarcérées depuis plus de 5 ans. Le pouvoir est incapable d’apporter la moindre preuve de leur culpabilité, sinon il les aurait traînées depuis longtemps devant les tribunaux. Je suis moi-même, avec plusieurs députés de l’ANC, ainsi que d’autres dirigeants de la société civile, inculpé dans le cadre de cette affaire.

Nous sommes en présence d’une violation flagrante des droits de l’homme, tant dans l’affaire des incendies que pour les manifestants arrêtés ces derniers mois lors des marches de protestation.

Aucune raison ne peut justifier le maintien en détention de personnes qui ne sont coupables de rien. Sauf à les retenir comme otages dans le but de les échanger contre je ne sais quelle rançon, ce qui ne serait rien d’autres qu’un chantage. Comment puis-je me présenter à une discussion en étant inculpé ?

N’oubliez pas que c’est le régime en place qui demande le dialogue. Ces mesures d’apaisement constituent le seul moyen de vérifier sa bonne foi.

La Cédéao a appelé à un dialogue inclusif, mais certains leaders de la coalition de l’opposition – dont vous-mêmes – n’entendent pas voir les partis non-membres de votre regroupement à la table de discussions. Pourquoi ?

Jean-Pierre Fabre : C’est le seul moyen de garantir le sérieux des discussions. Le souhait « d’inclusivité » peut, si on n’y prend garde, occasionner les désordres que nous connaissons habituellement dans les discussions inter-togolaises où, une fois autour de la table, des personnes ou des partis qui prétendent s’exprimer au nom de l’opposition prennent délibérément fait et cause pour le pouvoir en place.

Nous voulons éviter toute mascarade de dialogue pour faire aboutir les revendications des populations. Ce sont les belligérants qui prennent part aux négociations de paix.

Qu’attendez-vous réellement de ces discussions ? Réclamez-vous toujours le départ du chef de l’Etat ?

Jean-Pierre Fabre : Je suis toujours dans la même disposition d’esprit qui m’a amené le 7 septembre 2017, au cours du sit-in de l’opposition à Deckon (un quartier de Lomé), à demander une rencontre avec le chef de l’Etat pour discuter avec lui des conditions de son départ.

Ce n’était nullement des propos en l’air. Certains, qui ont cru pouvoir à l’époque critiquer ces propos, me rejoignent aujourd’hui. C’est la seule manière de juguler la crise togolaise et de la régler durablement. Après 13 ans de pouvoir ajoutés aux 42 ans de son père, il est temps que Faure Gnassingbé devienne raisonnable.

 

SOURCE : Emile KOUTON/ AFP