En avertissant des lycéennes qu’être trop court vêtues pouvait attirer les violeurs, la nouvelle ministre ghanéenne de l’Egalité des Sexes Otiko Djaba a suscité la polémique et ouvert un débat dans son pays, société encore traditionnelle mais en pleine mutation.
En visite la semaine dernière dans une école secondaire de filles de l’est du pays, Mme Djaba a appelé les lycéennes à exiger respect et égalité. Mais les robes courtes peuvent « attirer quelqu’un qui veut vous violer ou vous abuser », les a-t-elle mises en garde, « vous devez assumer la responsabilité de vos choix ».
Les propos de Mme Djaba – venue gonfler la longue liste de personnalités politiques à travers le monde ayant fait scandale en établissant un lien direct entre la façon dont une femme s’habille et le viol – ont été très critiqués au Ghana en ce qu’ils font porter la responsabilité des viols et des agressions sexuelles sur les victimes plutôt que sur leurs auteurs.
Le Ghana a connu une croissance économique rapide ces dernières années, mais reste socialement conservateur.
Selon une étude gouvernementale de 2015, 30% des Ghanéennes subiront des violences sexuelles au cours de leur vie. Cette étude indique que près des deux tiers des femmes pensent qu’une femme est fautive si elle est violée alors qu’elle est vêtue de façon suggestive… Et 56,2% des hommes interrogés pensent de même.
En mars 2016, une responsable gouvernementale s’était alarmée de la constante augmentation du nombre de cas de violences sexuelles au cours des cinq années précédentes.
Les vêtements des Ghanéennes sont un mélange de pièces importées d’Occident et de vêtements sur mesure taillés dans des tissus traditionnels. Robes courtes et minijupes ne sont pas rares notamment à Accra, la capitale.
Mais selon l’animatrice radio et militante féministe Nana Akosua Hanson, les femmes qui portent des jupes courtes attirent toujours l’attention contre leur gré.
– ‘Sexiste et stupide’ –
Dans les rues d’Accra, où la température descend rarement sous les 30 degrés, de nombreuses Ghanéennes disent être dissuadées de se vêtir trop légèrement, par crainte d’être jugées ou déshabillées du regard, ou pour respecter les conseils distillés à l’église.
« Si je le fais, je sais que ça va attirer les hommes », témoigne Stella Brew, vendeuse de 19 ans, qui porte une robe blanche arrivant à hauteur du genou. Lors du prêche à l’église, elle a aussi entendu que les « vêtements provocants (…) incitent au péché celui qui a de l’attirance pour vous ».
« Si vous êtes court vêtue, les gens ont une mauvaise opinion de vous », estime Maria Abdullha, lycéenne de 17 ans.
Vêtue d’une ample robe longue et la tête ceinte d’un bandeau à imprimé africain, Benedicte Boatemaa Akua, 24 ans et juste diplômée de l’école d’infirmière, pense qu’une femme agressée est responsable si elle porte une jupe courte et que le violeur n’est qu’en partie blâmable.
Selon Nana Akosua Hanson – qui outre son travail à la radio anime des ateliers d’éducation sexuelle pour les jeunes à Accra, centrés sur le consentement et la lutte contre la culture du viol -, les propos ministériels et ceux de ces femmes prouvent que de telles opinions restent ancrées dans la société ghanéenne.
Mais le scandale que les déclarations de la ministre ont suscité, surtout dans les médias sociaux, montre aussi « une prise de conscience nettement croissante » de la question du viol et des agressions sexuelles, estime-t-elle, et ces propos auront au moins ouvert un débat public sur la question.
La théorie selon laquelle l’habillement invite au viol ou en protège est « sexiste et stupide », juge auprès de l’AFP Nana Ama Agyemang Asante, journaliste, qui s’est publiquement insurgée contre Mme Djaba sur les médias sociaux et sur les ondes.
Même si la ministre était désireuse de protéger les jeunes filles, cette théorie « absout le violeur de toute responsabilité de ses actes et fait porter à la femme la charge d’empêcher le viol », ajoute-t-elle.
En outre, poursuit-elle, ces propos ne vont pas encourager les Ghanéennes à surmonter leur réticence à dénoncer les viols.
L’an dernier, le précédent gouvernement avait estimé que seuls 4,4% des cas de violences sexuelles aboutissaient devant un tribunal.
Mme Djaba, mère de deux filles et d’un fils, a justifié ses propos, les qualifiant de « conseils forts d’une mère à ses enfants ». « Je n’encourageais absolument pas le viol avec mes déclarations », a dit la ministre.
SOURCE : AFP