Gérard, 8 ans, regard jovial et innocent, cheveux coupés ras, mange tranquillement dans la cantine de la maison collective. C’est un miraculé. A sa naissance, la tradition l’avait condamné à mort.
Sa mère étant décédée en l’enfantant, il était promis à la noyade car il en va ainsi au sein de l’ethnie Tagbana, dans le nord de la Côte d’Ivoire.
Depuis 2011, une maison baptisée « Centre d’accueil et de transit Sainte Geneviève » recueille dans la petite ville de Katiola ces enfants condamnés à mort par la coutume en cours dans cette région mais aussi ailleurs en Côte d’Ivoire.
Créé par l’abbé Germain Coulibaly Kalari, 54 ans, ce centre financé par des dons héberge aujourd’hui 17 jeunes pensionnaires âgés de 3 à 14 ans, dont deux sont séropositifs. Une initiative unique en Côte d’Ivoire.
« L’enfant dont la mère meurt en couche ou celui qui naît avec un handicap est (habituellement) éliminé. Parce qu’on le tient pour responsable, on l’élimine physiquement », explique ce prêtre ivoirien qui, depuis 8 ans, se bat pour que de tels enfants survivent.
Ils sont en fait considérés comme « une malédiction » pour la famille et toute la communauté, d’où la nécessité de s’en débarrasser, souligne-t-il.
De telles croyances existent parfois dans d’autres pays d’Afrique, comme par exemple à l’encontre des jumeaux dans certaines régions de l’île de Madagascar. Signe de « mauvais présage », ils étaient souvent tués autrefois et sont aujourd’hui plutôt abandonnés.
– ‘Noyé dans l’eau du bain’ –
« J’ai vu beaucoup de cas. Ca m’a poussé à entreprendre une action pour sauver ces enfants de la mort », raconte le père Kalari, assis sur la terrasse qui sert de salle à manger et d’études aux enfants.
Gérard a été le premier enfant sauvé. Il a échappé de justesse à la mort grâce à des sages-femmes qui l’ont confié à la famille du prêtre.
Quant aux enfants nés avec un handicap, « quand on remarque que l’enfant est touché par un handicap et qu’il ne guérira pas c’est dans l’eau du bain qu’il est noyé », indique le prêtre ivoirien.
« Ca me fait froid dans le dos chaque fois que je pense à ça », lâche-t-il, d’une petite voix.
Parfois, les enfants vivent quelques années sans qu’on se rende compte de leur handicap, puis quand il s’avère qu’ils ne peuvent pas parler ou marcher, ils sont promis à la mort et des produits toxiques sont parfois utilisés pour les éliminer.
– ‘Raccompagner’ pour ne pas dire tuer –
Mais dans tous ces cas, jamais le terme tuer n’est évoqué. La formule consacrée consiste à dire qu' »on a raccompagné l’enfant chez ses vrais parents, les génies, c’est-à-dire des êtres surnaturels », affirme Céline, la quarantaine, qui vend des produits vivriers au marché de Katiola.
Avant de passer à l’action, ceux qui exécutent cette mission (souvent des personnes âgées ou des « tradi-praticiens ») font croire aux parents qu’un esprit malveillant est intervenu lors de la conception de l’enfant, qui de ce fait n’est pas humain et qu’il faut donc « raccompagner ».
Ces pratiques sont officiellement interdites et punies par la loi, mais dans les faits, on « raccompagne » ces enfants en toute discrétion, souvent avec la complicité des parents et sans qu’il y a ait de suites judiciaires.
« Vous n’allez pas trouver de personne handicapée dans notre région », assure l’abbé Kalari, qui n’hésite pas à profiter de ses prêches pour appeler à mettre fin à ces pratiques.
Pour le sociologue Vincent Morifé, le rejet peut s’expliquer par « la stigmatisation » que suscitent ces enfants dans une société où « on n’a pas encore une connaissance réelle » des handicaps.
« Ca va être difficile pour nos parents de renoncer à cette pratique-là », estime Abiba Koné, responsable du centre depuis cinq ans, en couvant les enfants présents du regard. « Si tu as un enfant handicapé, il faut s’en occuper alors que tu dois aller aux champs », souligne-t-elle, mais comme « les parents trouvent que c’est une perte de temps, ils préfèrent éliminer l’enfant ».
– Rejetés, même plus âgés –
Aidée d’une cuisinière, d’une femme de ménage et d’une nounou, elle s’occupe au quotidien du centre qui ne vit que des dons de « personnes bienveillantes, d’ONG et du voisinage ».
Outre les appartements privés du père Kalari, la maison comprend une chambre pour les filles, avec des berceaux pour les tout-petits, et une autre pour les garçons.
Dans chaque chambre, il y a trois grands lits superposés de trois places chacun, et un meuble fixé au mur sert de rangement pour les vêtements.
Dans le salon, où les murs sont recouverts de plusieurs centaines de livres provenant de dons, se trouve également une petite télévision pour les enfants.
Une journée normale au centre commence le matin par la prière. Après, c’est le petit-déjeuner et les enfants se mettent en route pour l’école. Pour les plus jeunes, place aux jeux.
Aujourd’hui l’étape la plus redoutée pour le prêtre, c’est lorsque à 15 ans les enfants doivent quitter le centre – parce qu’on considère alors qu’ils sont capables de s’assumer et parce qu’une ministre avait recommandé d’agir ainsi.
« Ceux qui retournent dans leur famille sont rejetés, affamés… Or nous ne pouvons pas les garder quand ils ont 15 ans », s’attriste le prêtre.
SOURCE : AFP