Le problème de qualité de l’Internet et de son coût excessif est un casse-tête pour les particuliers et les entreprises au Togo. En ce 21ème siècle où on ne peut pas se passer de cet outil sans être écrasé par la concurrence, nous avons approché le président du Parti des Togolais, Docteur Alberto Olympio, qui se trouve être un féru en informatique, ayant même participé au projet aérospatial européen Ariane.
Monsieur Alberto Olympio, c’est quoi la fibre optique?
C’est un fil de verre ou de plastique, plus fin qu’un cheveu. Le signal lumineux injecté dans la fibre est capable de transporter de grandes quantités de données à la vitesse de la lumière sur plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres. Il s’agit d’une rupture technologique majeure par rapport au réseau en cuivre, qui date des années 1970, sur lequel repose encore la majorité des services de communication utilisés aujourd’hui (téléphone, ADSL, TV sur IP).
La fibre optique permet actuellement un débit plus de 100 fois supérieur et de meilleure qualité que le réseau actuel. A titre de comparaison, le débit des connexions ADSL est en moyenne de 5,8 Mb/s. Concrètement, le téléchargement d’un film ne nécessite que quelques secondes avec la fibre optique, contre plusieurs minutes avec une connexion ADSL. Elle offre aussi la possibilité à plusieurs personnes d’un même foyer par exemple, de surfer simultanément sur internet, sans contrainte. Délivrant un accès ultra-rapide à Internet, la fibre permet de regarder des vidéos en très haute définition (3D) et facilite de nouvelles activités fortement consommatrices de données, comme le télétravail, la domotique ou la télémédecine.
On nous a plusieurs fois dit qu’elle arrive au Togo. En définitive, est-ce que notre pays l’a?
Oui. Depuis 2012. Le Togo est raccordé à la centrale d’atterrissement du câble à fibre optique, WACS (West Africa Câble System). Le WACS est long de 14 500 kilomètres avec une capacité de 5,12 Térabits par seconde et relie des pays d’Afrique méridionale, d’Afrique de l’Ouest et des pays d’Europe.
Le WACS offre au Togo son premier accès direct au réseau global de communication de câbles sous-marins. Ceci est l’aboutissement d’un projet commun à un certain nombre de pays et devrait permettre d’améliorer la qualité de communication tout en offrant une plus grande capacité et un accès au haut débit à coût réduit.
En quoi la fibre optique améliore-t-elle Internet?
Rien n’est plus rapide que la vitesse de la lumière. Et c’est justement la lumière qui est le véhicule des données dans un réseau de fibre optique. Ramené à l’échelle humaine, c’est du temps réel. De l’instantané. On peut envoyer et recevoir des documents en une fraction de seconde. Grâce à la fibre optique, on peut regarder la télévision en direct, des vidéos, des contenus de cours multimédias avec une fluidité plus que confortable. Un autre avantage de la fibre optique est sa robustesse en termes de distance. On peut la déployer sur de très longues distances, sans perte de signal.
Quelle technologie utilisons-nous actuellement?
Comme je l’ai mentionné précédemment, le Togo a une connexion fibre optique. Mais celle-ci n’est pas distribuée comme il se doit. La fibre optique arrive à Togo Télécom qui l’administre. A moins d’utiliser d’autres types de connexion comme les satellites, moins rapides et couteux, les autres opérateurs doivent passer par Togo Télécom pour la proposer à leurs clients.
Vous comprenez donc que la clé passe par les performances de Togo Télécom et sa capacité à mieux administrer et à moderniser le réseau.
Pourquoi le débit est si mauvais chez nous?
Prenez une autoroute à une voie. Si on est tout seul dessus, on peut rouler à sa guise (en respectant le code de la route, bien entendu!). Si par contre à l’entrée de cette autoroute, il y a de petites routes qui font jonction, à l’heure de pointe on va assister à un embouteillage monstre. Si on passe à deux voies ou à quatre voies, on augmente la fluidité du trafic. Si en plus de n’avoir qu’une seule voie, on bloque l’accès parce que les voitures officielles doivent passer, alors plus qu’un embouteillage, c’est un véritable blocage que l’on crée. Ça se passe exactement comme ça sur les autoroutes de l’information. La capacité du WACS est de 5,12 Térabits par seconde.
Le Togo n’a souscrit qu’à une bande passante de 2,5 Gigabits par seconde*. Je connais des entreprises qui ont une connexion à capacité plusieurs fois plus importante que ce que tout le Togo doit se partager. Si vous ajoutez à cela le fait que la grande partie de cette bande passante, je me répète, est réservée à l’utilisation exclusive de l’Etat, vous avez la première cause qui explique pourquoi nous sommes encore à l’ère antique de l’internet dans notre pays.
Améliorer le débit serait si cher? Combien de milliards à peu près?
Ça nous coûte encore plus cher en termes de développement et de productivité de ne pas être bien connecté. Imaginez le temps que ça vous prend pour ouvrir un mail et vous comprendrez pourquoi certaines entreprises ne pourront jamais se développer au Togo, si la question n’est pas réglée: C’est de l’emploi et de la création de valeur perdues.
Le cas du Togo est d’autant plus incompréhensible que dans le cadre du projet WARCIP déjà financé par la Banque Mondiale à hauteur de 15 milliards de francs CFA, le Togo devrait enfin avoir accès aux câbles sous-marins MainOne, GLO 1, ou encore ACE, qui baignent déjà dans nos eaux territoriales. Certains pays de la sous-région ont 4, voire 10 connexions alors que le Togo n’en a qu’une seule. Les prix de raccordement pour les pays côtiers comme le Togo peuvent varier entre 15 et 20 milliards CFA. Ceci dit, ils sont financés assez souvent par la Banque Mondiale et n’affectent donc pas directement le budget de l’Etat.
Et pourquoi le débit est mauvais mais internet si cher?
C’est classique. Togo Télécom est mal géré et accumule pertes et scandales financiers. Ce dernier pour survivre, doit augmenter les prix. Quand en plus, les fonds vont le plus souvent dans les soutiens de campagnes et de projets qui n’ont rien à voir avec sa mission première, il est certain que cette entreprise n’a plus de marge pour investir dans l’amélioration du réseau.
Pourtant, l’investissement c’est la clé pour moderniser notre réseau, améliorer les performances et à terme, baisser les prix. C’est ce qui se fait ailleurs dans les pays où les opérateurs télécoms et l’Etat suivent le train de la modernité.
Au Bénin et au Ghana, internet serait moins cher. C’est vrai?
Oui c’est vrai. Le Ghana a par exemple 4 connexions fibre-optique de grande capacité. La concurrence y est aussi plus saine entre les opérateurs. Ceci explique pourquoi on a une meilleure qualité et un prix beaucoup plus abordable. Le Togo est dans le cas d’Internet aussi, un cas à part, dans la sous-région.
Est-il exact de dire qu’il y a 4 fournisseurs d’accès internet au Togo (Togocel, Moov, Cafe, Togotelecom)?
Oui. A part celles qui ont une voie redondante via satellite ou autre, ces fournisseurs prennent leur source Internet à Togo Télécom.
La solution d’une amélioration de la qualité et du prix pour les utilisateurs consiste-t-elle à ouvrir le marché à d’autres opérateurs?
Il y a 3 mesures à prendre, qui permettront une amélioration nette de la qualité d’accès à Internet et ceci, en très peu de temps. Je ne parle pas de mois, mais de semaines.
Premièrement, augmenter la capacité de la connexion au WACS. Passer de 2,5 Gigabits par seconde à au moins 25 sinon 50. Augmenter le nombre de voies de l’autoroute et vous réduisez les embouteillages.
Implémenter le projet WARCIP déjà financé par la Banque Mondiale.
Mettre à niveau quelques éléments d’infrastructures vieillissants.
Faire venir d’autres opérateurs n’exclut pas l’augmentation des capacités de notre réseau. Par contre, leur arrivée, si tout se passe dans des conditions de concurrence saine, permettra de faire baisser les coûts.
Et pourquoi on ne fait pas tout cela alors?
Il faut poser la question à ceux et celles qui en ont la charge.
Pourquoi parmi les fournisseurs d’accès internet qui sont présents sur le marché, l’un ne casse pas tout simplement ses prix?
Parce qu’ils dépendent tous de Togo Télécom pour la fibre optique. C’est une situation de quasi-monopole. Ils ne peuvent pas revendre moins chers qu’ils n’achètent.
Si on vous demandait de changer et d’améliorer les télécommunications afin de satisfaire les consommateurs togolais, quelles décisions techniques et commerciales prendriez-vous?
En plus de ce que j’ai dit plus haut concernant l’augmentation de la bande passante et l’implémentation du projet WARCIP, je mettrais en place une bonne gouvernance. Togo Télécom devrait être gérée selon les règles d’une entreprise qui se veut performante. Une gestion purement commerciale et dépourvue de toute forme de pression politique.
Est-ce qu’on peut être au Togo et acheter de l’internet ailleurs? Au Ghana par exemple.
Techniquement, c’est possible. Mais la solution est l’amélioration de notre propre réseau Internet.
Le E-village, qu’en savez-vous? Ce concept a-t-il été (efficacement) réalisé au Togo?
Non. Il n’y a simplement pas d’E-village au Togo. Distribuer des téléphones portables avec 4.000 F CFA de crédit aux chefs de village n’est pas faire de l’E-village. Ceux qui parlent d’E-village dans le cadre d’un tel projet ne savent pas de quoi ils parlent.
Un jeune Togolais a fabriqué une imprimante 3D. Etant Togolais, informaticien et homme politique, vous l’avez rencontré?
J’ai eu l’information et j’en étais heureux. Malheureusement je n’ai pas encore eu l’opportunité de le rencontrer. Cela se fera sûrement très bientôt.
Si vous étiez par exemple ministre ou chef du gouvernement, qu’auriez-vous fait avec ce jeune?
Les jeunes comme lui, il y en a beaucoup au Togo. Que ce soit dans le domaine technologique, médical, agricole, sportif, environnemental, financier et économique, artistique et culturel, ou autre.
Ce que j’aurais fait avec ce jeune, c’est ce que je souhaite faire avec la plupart de ceux qui, comme lui, ont un potentiel que nous avons le devoir de soutenir: l’accompagner dans le développement de son activité et de son potentiel par le biais de la formation et de l’aide à la création d’activité. Nous lui donnerions, à lui et à tous les jeunes, un environnement propice et des moyens leur permettant d’exploiter tout leur potentiel.
Plein de jeunes Togolais développent des applications. C’est une garantie que nous sommes sur la bonne voie?
Ce n’est pas la seule voie. Mais pour développer une application, on a besoin de peu de moyens, comparé aux prérequis des matériels. C’est donc plus accessible. Pour développer des applications de qualité, il faut pouvoir faire des recherches et travailler en collaboration.
Nous ne rentrerons jamais dans l’ère de l’économie numérique avec des connexions qui datent de Mathusalem. Singapour ne s’est pas construit sur du 2,5 Gigabits. Singapore est capable d’offrir aujourd’hui pour chaque client individuel une bande passante de 2 Gigabits, presque la capacité que tous les Togolais doivent se partager. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions.
Est-ce que le retard que le Togo a, peut être rattrapé? Ou bien les autres sont tellement loin qu’il ne vaut pas la peine de les poursuivre ?
Il suffit d’une bonne volonté politique. Il suffit d’un catalyseur, d’un environnement propice, et les Togolais feront tout pour rattraper notre retard. Je ne dis pas que ça va être facile. Ça va demander du courage, du travail et de la détermination. Mais nous avons les moyens de faire du Togo, le bijou de la sous région. Pour le moment, nous sommes plutôt le mauvais élève, le bonnet d’âne. Il faut se mettre au travail sérieusement et cela commence bien sûr par ceux qui dirigent ce pays.
Le 3G et le 4G. Expliquez ces concepts en mots simples au Togolais et dites-leur quelle différence?
Les projets informatiques et de télécommunications de portée mondiale répondent à des cahiers de charges qu’on appelle dans notre jargon les RFC (Request For Proposal). Ils définissent les spécificités et les normes du projet. Dans le monde de la téléphonie mobile, le terme ‘G’ veut dire génération. Ainsi 3G veut dire veut dire 3ème génération. Les nouvelles générations améliorent les précédentes, car la technologie évolue.
Le problème de l’Africain, c’est qu’il ne fabrique pas de bons outils. Arriverons-nous un jour à faire du bon hardware?
Mettons les Africains dans de bonnes conditions, et vous verrez qu’ils feront aussi bien que n’importe qui. Aucun potentiel, aussi brillant soit-il, ne peut se développer s’il n’est pas dans un terreau fertile à l’émergence des talents. FIN
NB: *5,12 térabits = 5120 gigabits (Note de la rédaction).
Gérard Weissan/Savoir News
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