Considéré comme le grand favori pour le second tour de la présidentielle du 20 mars dernier au Bénin pour avoir été soutenu par la plupart des candidats malheureux du premier tour, Patrice Talon est sorti gagnant de ce scrutin face au Premier ministre Lionel Zinsou.
A travers sa brillante victoire, les béninois ont largement exprimé leur désir de rompre définitivement avec le système en place.
Mais la tâche ne sera pas facile pour le nouveau locataire du Palais de la Marina, au regard de l’attente des béninois et surtout des grands défis.
Le richissime homme d’affaires a obtenu 65,37% des voix contre 34,63% pour son adversaire, selon les résultats définitifs publiés par la Cour constitutionnelle.
M.Talon a engrangé 2.030.941 voix contre 1.076.061 pour M.Zinsou sur 3.107.002 suffrages exprimés.
Le Premier ministre avait vite reconnu sa défaite, quelques heures après la fermeture des bureaux de vote. M.Zinsou qui avait la faveur des pronostics la veille du premier tour de ce scrutin présidentiel, car porté par la forte coalition au pouvoir (Forces cauris pour un Bénin émergent/Fcbe) et soutenu par les deux poids lourds de l’opposition (le parti du président Parlement Me Adrien Houngbédji et la Renaissance du Bénin du Maire de Cotonou Lehady Soglo), a perdu la +bataille+ pour avoir défendu le bilan des dix années de Boni Yayi à la tête du pays.
L’homme a été également victime de son brusque parachutage dans la « cour des grands » et surtout soupçonné d’être le candidat de la France, car installé à Paris depuis des années et bien connu des milieux politiques français.
Le banquier d’affaires franco-béninois (né d’un père originaire du Bénin et d’une mère française) est peu connu des béninois. La plupart des béninois l’ont vraiment découvert au lendemain de sa nomination au poste de Premier ministre en juin 2015, alors qu’il dirigeait PAI Partners, un des plus gros fonds d’investissement européens.
« J’ai eu des limites pour faire admettre que j’étais un homme nouveau dans le système et donc libre. J’ai plutôt été regardé comme quelqu’un qui était le Premier ministre en exercice et donc qui assumait, bien qu’il fût là depuis neuf mois, probablement dix et vingt ans d’un certain système politique », avait expliqué M.Zinsou, justifiant sa défaite.
« Le peuple béninois a, lui-même, très sereinement choisi une rupture plus radicale et pas quelque chose qui recyclait des éléments du régime et du gouvernement », a-t-il précisé.
Les béninois ont vraiment décidé de tourner complètement dos au régime en place, lassé de son système de gestion miné notamment par la corruption, l’improvisation et l’impunité.
« Les résultats sortis des urnes montrent à tel point les béninois sont fatigués du système qui les a dirigés depuis dix ans. Sur les douze départements que compte le pays, M.Talon a battu son adversaire dans pratiquement dix départements. Il l’a même battu dans certains grands fiefs des poids lourds de l’opposition ayant soutenu M.Zinsou », a commenté Isidore Amoussou, analyste politique.
« Le peuple a clairement exprimé ce qu’il veut. La balle est maintenant dans le camp du nouvel élu à la tête de la République que lui a laissé son prédécesseur ».
– »Le Bénin va mal » –
M.Talon l’a plusieurs fois répété pendant la campagne électorale, même au lendemain de son élection : « Le Bénin va mal, mais le redresser n’est pas impossible ».
« Pour le moment il sera impératif pour nous tous de retrousser les manches et de mettre à chaque poste les personnes les plus qualifiées quel que soit leur bord », a souligné le nouveau président, conscient de la tâche qui l’attend.
Pour certains observateurs de la scène politique béninoise, l’homme possède toutes les compétences pour s’en sortir, mais il va devoir aussi composer avec son entourage notamment ceux qui l’ont soutenu au second tour.
La plupart de ses soutiens ont travaillé aux côtés du président Boni Yayi, certains ont même exercé de haute fonction : Pascal Irénée Koupaki, arrivé en cinquième position à l’issue du premier tour, fut le Premier ministre de M.Yayi. Plusieurs autres candidats dont Me Marie Elise Gbédo, Alexandre Hountondji, Richard Sènou, Kessilé Sare Tchala, Azizou El-Hadj Issa, Karimou Chabi Sika, Robert Gbian etc… ont soit occupé un poste ministériel, soit servi M.Yayi en qualité de conseillers techniques ou directeur de cabinet militaire.
« Nous les avons tous à l’œil, tous ceux qui ont travaillé avec Yayi et qui se retrouvent encore avec Patrice Talon. Ce dernier doit savoir composer avec eux, car nous attendons beaucoup de lui », a confié Jacques Vigan, étudiant en droit à l’Université d’Abomey-Calavi.
Pour Paul Loko, conducteur de taxi-moto (Zémidjan), M.Talon doit vite s’attaquer au chômage des jeunes et mettre en place des stratégies pour lutter contre la corruption dans l’administration publique.
« Le zémidjan est devenu pratiquement la seule activité des jeunes. Une fois sortis des grandes écoles après plusieurs années d’études, ces jeunes sont contraints d’exercer cette activité sans issue, faute d’emplois. M.Talon doit, sérieusement penser aux jeunes et aux conducteurs de taxi-motos. Il nous a fait des promesses pendant la campagne électorale et nous l’attendons de pied ferme », a-t-il martelé.
« M.Talon doit procéder à des réformes en profondeur dans plusieurs secteurs notamment la justice, la santé, l’agriculture, l’éducation et dans certaines institutions de la République dont la HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication) », a renchéri Alain Bossa, enseignant au CEG Dantokpa.
Baptisé « Le nouveau départ », le projet de société de M.Talon est un document d’une quarantaine de pages qui séduit plus d’un en raison de son contenu.
Subdivisé en quatre grandes parties, ce projet de société comporte les principales réformes à opérer (secteur par secteur), après diagnostics, ainsi que les mesures clés.
– Les grands défis –
« C’est maintenant que le plus dur commence », a averti l’ancien président du Bénin et ancien Maire de Cotonou Nicéphore Soglo pour qui M.Talon est « condamné à réussir, mais pas seul ».
Pour y arriver, a-t-il insisté, le nouveau président doit dans un premier temps, rassembler tous ceux qui ont contribué à sa victoire autour d’une table pour réflexion approfondie sur son projet de société, afin de l’enrichir avant de se lancer dans les réformes.
Sans le lui souffler, M.Talon sait très bien que les béninois l’attendent sur plusieurs chantiers : l’énergie électrique, la justice, l’emploi des jeunes, les réformes institutionnelles, la lutte contre la corruption et la sécurité.
Délestage par-ci, fausses promesse par-là : Boni Yayi a totalement déçu les béninois sur ce plan. Aujourd’hui, l’un des grands défis à relever par le nouveau pouvoir est la crise énergétique.
Les béninois ont perdu confiance en leur justice ces dernières années: instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir exécutif, manque de moyens humains, matériels et financiers et des grèves à répétition dans le secteur.
Pour certains juristes de haut niveau, le prochain pouvoir doit nécessairement procéder à la restructuration du conseil supérieur de la magistrature et faire en sorte que le pouvoir exécutif ne joue plus un rôle prépondérant.
« Le chef de l’Etat ne siégera plus au sein de l’institution. Ainsi, le président de la Cour suprême exercera les fonctions de président du conseil supérieur de la magistrature », a suggéré Alain Adoun, magistrat à la retraite.
En plus, le nouveau pouvoir doit opérer certaines réformes institutionnelles notamment la recomposition de la Cour constitutionnelle et de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC).
Dans la composition actuelle de la Cour, sur ses 7 membres, 3 sont nommés par le chef de l’Etat et 4 désignés par le bureau de l’Assemblée nationale.
Selon Nourou-Dine Saka Saley, juriste et membre de la Coalition ABT (..), il est impérieux de réviser à la baisse le quota du chef de l’Etat et que les autres membres soient désignés par le Conseil des présidents à l’Assemblée nationale.
A toutes ces réformes s’ajoute la lutte contre la corruption dans l’administration, fléau devenu un sport national depuis quelques temps. Les résultats de plusieurs concours de recrutement dans l’administration publique sont contestés notamment celui organisé récemment dans le secteur de la douane, véritables choux gras des médias.
Le premier cabinet de M.Talon va devoir réformer en profondeur les structures de contrôle de manière à les rendre indépendantes et plus efficaces.
L’autre grand chantier sur lequel le successeur de Boni Yayi, est attendu est celui de l’emploi des jeunes. Selon les statistiques de l’INSAE (Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique), le taux de chômage des jeunes de 15 à 29 ans est estimé à 14,3%. Il est de 89,7% pour les jeunes de 15 à 29 ans exerçant dans le secteur informel. La jeunesse qui a fortement soutenu le nouveau président, nourrit un grand espoir quant à son avenir.
« M.Talon peut relever le défi, étant donné qu’il a les qualités et les compétences requises. Mais les réalités du pouvoir sont autres choses. Attendons de le voir à l’œuvre, car il sait très bien qu’il ne doit pas échouer », a averti Ursul Gandonou, jeune entrepreneur exerçant dans l’informel.
L’autre gros dossier dans la gorge de M.Talon, et considéré d’ailleurs comme le plus important pour bon nombre d’observateurs est la crise énergétique. Le Bénin est frappé de plein fouet ces dernières années par une crise énergétique sans précédent. Le régime de Boni Yayi a totalement échoué après les multiples promesses faites aux populations.
Les béninois qui vont régulièrement au Togo voisin se demandent par quelle magie les autorités togolaises ont pu régler ce problème. Le pouvoir de Faure Gnassingbé s’est vite tiré d’affaires, grâce à la société Contour Global.
Dans son projet de société, M.Talon a habilement abordé le sujet, sans pour autant ébaucher quelques pistes de solution. Pour l’instant, les béninois retiennent leur souffle et attendent l’actuel ministre en charge dudit portefeuille.
Par ailleurs, l’équipe de M.Talon fera aussi face au défi sécuritaire dans la sous-région avec la forte menace terroriste.
Certains observateurs avertis pensent d’ailleurs que ces deux derniers sujets (la crise énergétique et la menace terroriste) auraient été débattus par le nouveau président du Bénin et le chef de l’Etat togolais le 28 mars dernier à Lomé. FIN
Ambroisine MEMEDE
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