S’il y a une pratique qui divise la presse togolaise, c’est bien celle de percevoir des perdiems ou « gombo » que des organisateurs d’événements distribuent souvent en guise de déplacement aux journalistes invités ou non, à venir couvrir leurs manifestations.
Cette somme varie souvent entre 2 et 10 mille FCFA voire plus et dépend aussi de l’organisateur (entreprises, ONG, institutions, organismes, etc.) selon qu’il dispose d’assez de fonds ou pas.
Le paiement de cette somme à la fin des événements peut devenir un casse-tête chinois pour l’organisateur lorsque — et c’est ce qui arrive la plupart du temps — l’on se retrouve devant un nombre pléthore de journalistes alors qu’on en a invité que quelques uns. Car il arrive que le « gombo », qui a priori est juste une faveur, soit réclamé parfois par des professionnels de médias.
Une situation qui parfois, dégénère et offre un spectacle honteux, déplorable et déshonorant pour la corporation à en croire certains.
Pourquoi cette pratique qui n’est enseignée dans aucune école de journalisme — on vous parlera de réalités du terrain et cette dichotomie entre théorie et pratique– perdure ? Le journaliste n’est-il pas censé être à l’affût de l’information et ne rien exiger en retour ? Un organisateur d’événement est-il obligé de payer le déplacement des médias qu’il a conviés ? Comment y remédier ?
Si les avis sont parfois tranchés et catégoriques pour certains, d’autres suggèrent la tempérance et du relativisme. D’autres encore, en appellent au bon sens des directeurs de publication ou responsables d’organes de presse.
« Un professionnel ne demande pas de l’argent sur le lieu de reportage »
Pour des acteurs, professionnels et observateurs avisés du paysage médiatique togolais comme Noël Kokou Tadégnon, correspondant de nombreux médias internationaux au Togo à l’instar de l’Agence Reuters, Canal +, le professionnel de média doit bien faire son travail et ne rien demander en retour. Son avenir, souligne-t-il, y dépend.
« Un professionnel ne demande pas de l’argent sur le lieu de reportage. On peut vivre du journalisme. Il suffit de bien faire le travail. Je vous dirai que la suprême récompense de ce travail, ce n’est pas ce qu’il vous permet de gagner mais ce qu’il vous permettra de devenir. Je l’ai expérimenté, ça a marché », explique-t-il.
« J’étais là, tranquille dans mon coin quand on m’a appelé pour me dire que le département d’Etat américain m’offrait une bourse pour les Etats-Unis sur un programme de leadership en média. Si je n’avais pas bien travaillé, on n’allait pas m’appeler chez moi à la maison », ajoute N. Tadégnon.
« Si j’ai pu le faire, toi aussi, tu peux le faire », martèle celui qui est également le premier francophone à avoir été contacté par Google Afrique dans le cadre du programme +Connected Africa+ destiné à produire du contenu africain.
« J’estime que ce métier est trop noble pour que les gens s’avilissent de la sorte », renchérit un responsable d’une agence de communication de la place. Pour ce dernier, la presse togolaise aura du mal à jouer son rôle de quatrième pouvoir.
« Un véritable pouvoir implique des responsabilités. Et c’est à partir de là que les gens te valorisent. Si vous-mêmes vous ne vous valorisez pas, personne ne vous prendra au sérieux. Il faut que vous ayez vous-même une propre estime du métier que vous exercez. C’est triste quand des journalistes se battent pour 2 ou 5 mille », opine-t-il.
Doyen de la presse togolaise et consultant média, Amèvi Dabla exprime son gêne face à la situation : « Ça me fait tellement honte ».
« Quand vous êtes organisateur d’une manifestation », poursuit-il, « et que vous sollicitez 3 ou 4 médias, vous en verrez une dizaine voire une vingtaine. Et comment les gérer devient un problème ».
Critiquer, c’est bien ! Il faut aussi relativiser
Tout porte donc à croire que les journalistes qui prennent des perdiem sont tous de mauvais journalistes. Une impression qui n’acquiert pas l’assentiment de Hervé Pana, une voix très écoutée côté communication au pays de Sylvanus Olympio.
« Je tiens à dire qu’il y a aussi de bons journalistes. Il ne faut pas dressez ce tableau noir que c’est tous les journalistes ici au Togo qui courent derrière les perdiem. Il y en a qui reçoivent les perdiem et qui font très bien leur boulot », affirme-t-il d’un ton modéré. Pour M. Pana, il faudrait considérer le perdiem comme un « modique forfait ».
A l’en croire, « le perdiem, ce n’est pas un salaire. C’est un terme pour désigner : viens prend ça pour ton transport. C’est un modique forfait ». Le perdiem ou le gombo peut prendre plusieurs formes et n’est pas l’apanage du Togo. Les pays occidentaux n’échappent pas au phénomène.
« Vous savez », dit-il, « dans les pays occidentaux aussi, on reçoit d’une autre manière. Il y a eu des procès où on a payé par avion des vacances aux journalistes, etc. Donc, il faut tempérer nos propos. Il faut critiquer ces comportements mais aussi les relativiser en disant que ce n’est pas au Togo seulement. Il y a des manières déguisées d’intéresser le journaliste ».
La convention collective comme un début de solution
S’il y a un domaine où les journalistes sont prompts et excellents, c’est bien celui de défendre les droits des autres corps de métiers regroupés en syndicat. Des mouvements d’humeur ou grèves à répétition de ces derniers, les médias en font d’ailleurs un large écho. Vous entendrez même des journalistes se plaindre du fait que c’est quand ces syndicats sont en difficulté qu’ils reconnaissent la valeur de la presse dans son ensemble.
Mais quand il s’agit de leurs propres conditions de travail, de la précarité et de l’absence de protection sociale de la plupart d’entre eux, les journalistes n’en parlent presque pas ou manifestent rarement leurs mécontentements.
Ce qui est étonnant et paradoxale.
« Lorsque que vous voyez leurs rédactions, ça se résume au directeur de publication par exemple et à un cousin pour l’aider et qu’il n’arrive même pas à satisfaire pour son déplacement. A la fin du mois, vous voyez ce que ça donne », analyse Amèvi Dabla.
Il lance un appel aux responsables de médias afin que la convention collective tant souhaitée devienne une réalité.
« On va dans ce métier comme un sacerdoce, on l’a choisi, on y va, on le fait. Mais je voudrais quand même faire appel aux responsables de ces structures de revenir sur l’importance de la convention collective. C’est-à-dire de trouver les moyens de payer le journaliste pour ce qu’il fait. Lui donner quelque chose qui ne puisse pas lui permettre d’assurer même son déplacement, c’est une insulte au métier », trouve M. Dabla.
Les états généraux de la presse togolaise tenus à Kpalimé en juin 2013 avaient recommandé à la mise en place de cette convention collective.
Depuis le retour de Kpalimé, des comités techniques devraient conduire entre autres à cet outil censé améliorer les conditions de travail et de vie des journalistes togolais. Ces derniers sont pessimistes pour la majorité et pensent que ces états généraux n’ont été qu’un pur leurre. La situation telle qu’elle est, arrange leurs responsables, disent-ils.
Les patrons de presse ne voudront jamais accepter les payer à partir d’un salaire de base. Certains patrons de presse pensent que ce que leurs journalistes ramassent comme perdiem par jour et par semaine sur les lieux de reportage devrait leur suffire avec ce qu’ils leur donne en guise de salaire pour arrondir leur fin de moi. Ils disent à tort ou à raison que leurs journalistes s’enrichissent plus qu’eux grâce au gombo.
Pour expliquer les salaires jugés insuffisants qu’ils payent à leurs journalistes, certains patrons de médias privées, partant du principe que c’est la publicité qui fait vivre une presse et ils n’ont pas tort, soulignant que les annonceurs se font de plus en plus rares pour plusieurs raisons.
Ce qui oblige à voir le problème sous un autre angle : celui du contenu trop politique de certains journaux qui rebutent de potentiels annonceurs. Il n’est donc pas trop tard pour toute la presse togolaise de se remettre en cause. FIN
Anani Elom AGBOH
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