Ce matin du 26 aout 2014, nous avons décidé mon photographe et moi de suivre les traces des enfants glaneurs d’ordures de Lomé.
Déjà à 8h00 sous une fine pluie, au moment où les gens se hâtent pour vaquer à leurs occupations habituelles, nous avons choisi la décharge publique de Bè Avéto, l’une des plus impressionnantes située en pleine ville de Lomé comme premier site de notre enquête.
Quelques minutes après notre arrivée, nous voyons les « employés » de la décharge publique sortir de partout les uns après les autres, tous vêtus de haillons et munis de sacs communément appelés « Bafana ».
« Que viens-tu faire ici ? », j’ai demandé à l’un d’entre eux. « Je cherche des morceaux de fer, des bouteilles ainsi que d’autres objets recyclables que je peux revendre à des gens », nous a lancé serge (9 ans) avec un regard inquiet.
L’odeur nauséabonde de son accoutrement ne nous laisse guère indifférent. Après cette courte période d’interruption passée à répondre à nos questions, Serge se lance au milieu de plusieurs tonnes d’ordures tel un explorateur à la recherche d’un trésor caché.
A l’instar de Serge, les autres occupants du lieu creusent, fouinent et trient patiemment, jusqu’à épuisement parfois, avec leurs mains habiles et nues les ordures composées de verres, papiers, plastiques, cartons, caoutchoucs, métaux et autres à la recherche des objets récupérables.
Ces enfants n’attendent qu’un camion chargé d’ordures vienne décharger sa cargaison pour se jeter là-dessus et la passer au peigne fin, tels des ouvriers travaillant à la main.
A quelques pas de là, Mimi, encore plus jeune que Serge, vêtue d’une chemise blanche sale et pieds nus, accoure sans songer aux risques de la décharge.
Aussitôt arrivée, elle se met au travail sans nous jeter le moindre regard. A la question de savoir si elle est une habituée de la décharge de Bè Aveto, elle nous répond d’une voix à peine audible : « Je passe toute la journée sur les décharges publiques pour chercher des objets recyclables. Ici, nous trouvons tout. Mais je n’y peux rien puisque c’est grâce à ça que je vis. Je vais de quartier en quartier pour augmenter mes chances de trouver plus d’objets à revendre le soir avant de rentrer ».
Nous avons remarqué après quelques heures passées sur la décharge publique de Bè Avéto que les autres enfants glaneurs d’ordures, avaient le même comportement que Serge.
Ils sont tous tristes et peu bavards, mais occupés à fouiner les tas d’ordures.
Ces enfants montrent ainsi qu’ils ne sont pas sur la décharge publique par plaisir, mais que c’est la misère qui les y oblige pour assurer leur survie.
Après la décharge de Bè, nous nous sommes rendus le lendemain sur la décharge publique d’Agoè, située dans un quartier périphérique de Lomé où nous avons passé l’après midi en compagnie de ces enfants glaneurs des décharges publiques.
A quelques mètres de nous, Yao et son frère, tous âgés d’une dizaine d’années, se dirigent, comme chaque jour, vers un tas d’ordures qu’un éboueur vient de déverser.
Munis toujours de ce fameux sac « Bafana », les enfants de la décharge publique d’Agoè commencent par trier à mains nues, déchets ménagers et parfois hospitaliers sans prendre garde aux risques. Enfouis jusqu’aux genoux dans ces ordures nauséabondes, ils s’appliquent à trouver la matière qu’il leur faut pour pouvoir s’acheter la nourriture.
Même les émanations suffocantes qui s’en dégagent ne semblent nullement les décourager
« Mon frère et moi venons ici chaque jour pour chercher des bouteilles, des ferrailles et autres pour les revendre pendant les vacances », m’a expliqué Alain d’un air innocent.
« Nos parents sont à la maison. C’est grâce à ça que nous allons payer nos fournitures scolaires pour la prochaine rentrée », ont laissé entendre les deux frères l’un après l’autre.
Sur la décharge publique d’Agoè, ces enfants font face à une forte concurrence de la part des personnes plus âgées qui passent aussi leurs journées à creuser ces collines de déchets pour y trouver quelque chose à vendre pour leur survie.
L’atmosphère devient délétère lorsque nous avons essayé d’interroger un homme tout noir vêtu qui essaie d’annexer le tas d’ordures qu’un éboueur vient de décharger.
« Je ne veux pas vous voir sur ce tas. C’est mon domaine », a-t-il lancé d’une voix menaçante en direction des enfants qui ont aussitôt cessé leur course effrénée pour retourner à leurs tas.
Selon les experts en sociologie, le monde dans laquelle vit ces enfants des décharges les transforme en de véritable +hors-la-loi+ pour la société, car c’est la loi du talion qui y règne en maître.
« Le fait qu’ils ont vécu dans un monde où règne la loi du plus fort, ils finissent par s’accoutumer à cela. Ceci les transforme dès fois en de véritables hors la loi plus tard. Ils sont obligés de se battre contre des personnes beaucoup plus âgées qu’eux pour ramasser des objets recyclables dans le seul but de survivre face à la faim », a déclaré Aimé Agbodjan, sociologue.
Ces propos illustrent l’ambiance dangereuse qui peut prévaloir sur les décharges publiques, transformées en de véritables mines d’or.
Pour les enfants de ces lieux, même si l’école primaire est gratuite depuis peu au Togo, ils n’ont rien à manger à la maison puisque le repas y est rarement servi. Ils sont abandonnés à leur sort. Alors les familles pauvres des quartiers périphériques de Lomé ont tendance à vite laisser leurs enfants se balader sur les décharges pour y trouver de quoi manger.
Justin, l’un de ces enfants, exhibe en souriant, son sac à moitié plein après plus de 3 heures de fouille. Le jeune garçon ne ramasse que des bouteilles en verre et en plastique de différentes tailles. Il nous expliquera plus tard que, vu la fragilité du verre ou du plastique, les fouilles ne sont pas toujours bonnes.
« Je vends ces petites bouteilles d’eau minérale de 0,5 litre au prix de 25 F.CFA l’unité à une commerçante du marché d’Agoè qui les lave pour ensuite les revendre aux vendeurs de jus. Cela fait un an que je travaille avec elle », nous dira-t-il.
Avec dix bouteilles d’eau minérale et quelques métaux, Justin se retrouve en moyenne avec 700 F CFA le soir si la journée est bonne. Une modique somme qu’il donne directement à sa mère, nous raconte-il pour constituer son pécule à l’approche de la rentrée scolaire.
Après les fouilles, la vente du +butin+
Une fois la journée finie, les enfants des décharges repartent vers leurs clients habituels situés souvent à des kilomètres pour vendre leur butin.
Une longue distance qu’il faut parcourir à pied puisqu’il n’y a pas de quoi prendre un Zèm ou un taxi moto pour rallier les lieux de vente.
Les clients des enfants de décharges sont des acheteurs de ferrailles communément appelées « gakpo gbégblé », ou encore de bouteilles en plastique ou en verre et autres.De Bè Avéto à Agoè en passant par Akodesséwa, Doulassamé et autres, des dizaines d’enfants se retrouvent jetés au milieu de déchets de différentes natures sur les décharges publiques où ils passent pratiquement leur enfance loin de la tendresse de leurs géniteurs.
En plus de servir de toilettes communes pour les populations riveraines, la nuit comme le jour, ces décharges publiques sont devenues également un pot-pourri de substances toxiques lourdes.
Des dangers directs qui menacent la santé de ces enfants pauvres devant la fuite de responsabilité de la société.
L’exposition prolongée à ces déchets constitués pour la plupart de matières lourdes peut être source de maladies cancérigènes pour ces enfants qui pataugent dans ces décharges publiques.
Le quotidien des enfants de décharges rime avec des ordures fermentées, objets tranchants, seringues, pansements souillés de sang. Autant de facteurs transmetteurs de maladies qui peuvent leur être fatales.
« Ils vivent au quotidien avec la mort, car ce milieu est rempli d’objets dangereux dont ils ne sont pas conscients. Après une exposition assez prolongée à certains gaz polluants comme la butane, le monoxyde de carbone, la méthane et des chlorofluorocarbures, ils peuvent contracter un cancer », a expliqué Dosseh Agbeko, oncologue togolais qui a monté une organisation non gouvernementale pour s’occuper des enfants de décharge en vue d’organiser leur réinsertion auprès des familles d’accueil.
On était ainsi dans un monde bizarre, puant et parfois révoltant, coupé du monde, dans lequel mon photographe et moi avons passé des jours pour vous rapporter cette matière à réflexion sur le sort réservé à certains enfants au Togo. FIN
Emmanuel ATCHA
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