Réconciliation nationale: Fin de la phase des audiences, 508 dossiers examinés par la CVJR du 6 septembre au 17 novembre

Démarrées le 6 septembre, les audiences publiques, privées et à huis clos de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) se sont achevées ce jeudi à Lomé. Au total 508 dossiers ont examinés par la CVJR sur divers cas de violences et violations des droits humains de 1958 à 2005. La CVJR a parcouru Lomé (Première et deuxième session), Dapaong, Kara, Sokodé, Atakpamé, Kpalimé, Tsévié et Aného.

Pour la phase finale de ces audiences, la CVJR écouté ce jeudi à Lomé, neuf victimes et témoins dont deux en privé. Et les auditions ont porté sur des cas de droits de réponse relatifs à des cas d’enlèvement et d’assassinat, des violences relatives aux législatives de 1994 et à la présidentielle de 2005 et l’arrestation, la détention arbitraires et la persécution d’un témoin de l’assassinat de Tavio Amorin. Des témoignages ont été également faits sur la tentative de coup d’Etat de janvier 1993.

S’agissant de cas d’enlèvement et d’assassinat, les parents d’une victime ont apporté un rectificatif à la version de l’enlèvement en démentant le fait que leur parent pourrait avoir contribué à attirer ses camarades dans le guet apens qui leur a été fatal.

L’audition publique de cinq 5 Togolais de la Diaspora par vidéoconférence depuis la Belgique, l’Allemagne et les Etats-Unis d’Amérique a enrichi la manifestation de la Vérité notamment dans le cadre des événements liés aux circonstances de l’assassinat de Tavio Amorin et aux violences électorales de 1993 et de 2005.

Un Togolais résidant aux Etats-Unis a relaté comment ses biens meubles et immeubles ont été vandalisés et détruits par des groupes de militants proches du parti au pouvoir. Un autre, résidant aussi aux Etats-Unis, témoin de l’assassinat de Tavio Amorin a raconté comment il a été persécuté, arrêté et détenu arbitrairement pour avoir ramassé le sac des présumés assassins contenant divers objets dont des munitions et leurs pièces d’identité.

Un dernier témoignage fait depuis les Etats-Unis, relatif à la disparition de David Bruce, Directeur de cabinet du président du HCR, a permis à la Commission de revivre les derniers moments connus du disparu. Le témoin a renouvelé la volonté de la famille de le retrouver, vivant ou mort.

Deux autres témoignages faits par vidéoconférence par des Togolais résidant en Europe sont relatifs à un cas d’assassinat et au coup de force du 25 janvier 1993. Dans ce dernier cas, des motivations de la tentative de coup d’Etat ont été exposés par le ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité dans le premier gouvernement de la transition, Massémé Kokouvi Alphonse.

Issifou Yao Falalou, vivant en Belgique a expliqué par vidéo conférence que son père, ancien membre de terrassement, c’est-à-dire des travaux publics a été arrêté en 1987 et assassiné par l’administration Togolaise pour détournement de fonds.

« En ce temps, il avait fait un prêt à la CNCA. Il a été torturé à mort, les testicules éclatés et les genoux fracturés. Mon père a été assassiné et tué par les militaires, par l’armée togolaise à la prison de Kazaboua. Il avait été mis d’abord à la prison de Lomé, puis transféré par après à Kazaboua, où il a été torturé à mort. On ne lui a jamais donné la chance de se défendre. Lorsque mon père était décédé, on l’a transféré en 1988 à la morgue de Sokodé », a-t-il déclaré.

Okouto Antoine, ancien assistant d’hygiène à Atakpamé, vivant actuellement aux Etats-Unis n’a pas manqué de relater toutes les violences et exactions suivies de destructions de ses biens dont sa maison.

« Mon chemin de croix a commencé un lundi 31 août 1992 par le bombardement de ma maison à 1 heures par les éléments de la garnison de Témédja commandé par le Arégba. D’autres maisons suite au bombardement ont été aussi détruites. Le vendredi 19 juin 1998, on avait fini les campagnes électorales, et le soir vers 20 heures, un groupe de militaires étaient arrivés chez moi pour m’arrêter. Il s’agissait d’un petit groupe de voleurs que l’équipe du commissaire a arrêté. Les militaires ont initié ce groupe pour qu’ils mentent dans mon compte que je l’ai envoyé au Ghana pour venir tuer le président Eyadema. J’ai été arrêté à Atakpamé et amené à Lomé. On m’a aligné devant une table sur laquelle les militaires ont mis des grenades, des fusils des treillis pour montrer à la télévision et à l’opinion que je suis l’instigateur du coup d’état. J’ai passé un mois à la prison de Lomé sans procès. En avril 2005, les jeunes gens du parti du collectif de l’opposition ont manifesté leur mécontentement dans la ville d’Atakpamé. Alors les militaires du camp Témédja étaient intervenus avec des Chars, on tuant partout. Le major Kouloum a envoyé les jeunes milices du RPT pour venir me tuer. Ils se sont perdus de maison et sont rentrés dans la maison de monsieur Sénou Dossou, directeur de l’école primaire Akpessemé et l’ont tué et violé ses femmes, croyant que c’est moi. Kouloum a encore envoyé un autre groupe de commandos pour reconnaître la maison. C’est dans la nuit du 25 avril que le commando est venu m’assassiner avec toute ma famille. J’ai dû, par l’aide de certaines organisations et bonnes volontés, fuir avec toute ma famille », a-t-il longuement raconté

Edouard Kodjo Bruce a de son côté, expliqué les circonstances dans lesquelles son frère David Bruce a été enlevé et porté disparu jusqu’à ce jour. Il a lancé un appel à tous ceux qui peuvent tout faire pour qu’il puisse au moins retrouver les squelettes de son frère.

Pour Kokouvi Massémé, ancien ministre de l’Intérieur vivant actuellement en Allemagne, la lutte pour l’instauration de la démocratie au Togo, constitue le maillon de l’histoire politique au Togo. Il a souhaité que la CVJR organise d’autres audiences pour que les protagonistes des faits soient confrontés pour la manifestation de la vérité: « Tout le monde sait qu’au Togo, les problèmes d’attaque du pays à partir de l’extérieur étaient sérieux et relevaient des stratégies diverses, surtout du pouvoir en place. C’est des attaques pour le plus souvent imaginaires. Il est donc important de dire la vérité aux Togolais sur ces attaques. Il y a d’autres choses qu’il faut mettre en place. Si je dis qu’il faut donner la chance à d’autres acteurs, c’est parce que je sais que le sujet est très sensible. Je trouve nécessaire de présenter au peuple Togolais toutes mes excuses, pardon parce que le problème est au niveau de nous les dirigeants. Ayant été ministre, il pourrait arriver que j’aurais commis des erreurs même à mes parents ou à mes enfants, donc je demande pardon à tout ce monde ».

Apedjinou Kodjo, ancien militaire de l’armée togolaise, vivant actuellement aux Etats-Unis sur la côte ouest, a expliqué les exactions et violences qu’il a subies, suite aux manœuvres du major Kouloum.

Agbenou Yawo, a pour sa part, expliqué dans son droit de réponse, suite aux propos d’Akalo sur la mort du député du CAR Edeh Gaston, que son père n’était pas responsable.

« Le 14 février 1994 monsieur Hila et notre papa se sont rendus à Ahépé pour rendre visite à un oncle malade. Sur le chemin de retour, ils ont rencontré un autre frère et ils l’ont mis dans leur voiture. Arrivé à Agoè, mon père a voulu offrir un pot à ses amis. Et c’est en buvant que les militaires sont venus les arrêter. Il y a eu des altercations. C’est par après qu’on les amené à Lomé II. Le lendemain vers 13 heures, maître Agboyibo, nous a envoyé un émissaire pour nous informer du décès de notre papa, qui a été d’ailleurs calciné. Cela fait 17 ans, maintenant, mais suite aux propos de monsieur Akalo relatant que mon papa les livrés aux militaires, nous a surpris », a déclaré Agbenou Yawo .

A total, au cours de la phase finale des audiences tenues à Lomé du 9 au 17 novembre, la CVJR a examiné en audiences publiques, privées et à huis clos 106 dossiers, portant notamment sur les événements tragiques de Fréau Jardin en janvier 1993, la tentative de coup d’Etat du 25 mars 1993, les violences liées à la présidentielle d’avril 2005, les enlèvements et disparitions d’hommes, les agressions physiques et les arrestations et détentions arbitraires.

Des disparitions et assassinats de leaders politiques et de citoyens togolais; des traitements inhumains et dégradants; des licenciements abusifs et confiscations de biens ; des expropriations foncières ; des abus d’autorité ; ainsi que des privations des droits à pension ont également fait l’objet de la phase finale des audiences à Lomé.

Au total 508 dossiers ont été examinés par la CVJR du 6 septembre au 17 novembre sur divers cas de violences et violations des droits humains de 1958 à 2005.

Selon la CVJR, tous les témoignages recueillis dans les 20. 011 dépositions, seront pris en compte, qu’ils aient fait ou non objet d’audition en audience.

La Commission a exprimé ce jeudi (dernier jour des audiences), ses remerciements aux populations qui se sont déplacées pour témoigner ou assister aux audiences, aux autorités administratives et religieuses, aux médias, aux Organisations de la Société civile, à nos compatriotes de la diaspora, à toutes les personnes physiques ou morales qui nous accompagnent dans notre action quotidienne et qui nous ont soutenus lors de cette phase des audiences.

La gratitude de la CVJR est également allée à tous ses partenaires techniques et financiers pour leurs contributions diverses à la réussite de cette opération.

Rappelons que la CVJR est l’émanation d’un processus lié à la quête de la concorde nationale susceptible de permettre au Togo de panser les séquelles de ses développements historiques conflictuels. Elle a pour mission de déterminer, à travers un rapport circonstancié et détaillé, les causes, l’étendue et les conséquences des violations des droits de l’Homme et les violences qui ont secoué les fondements de la communauté togolaise de 1958 à 2005.

Elle doit, in fine, proposer des mesures susceptibles de favoriser le pardon et la Réconciliation.

Le Togo a été, secoué par une série de violences, notamment lors des scrutins présidentiels.

Nicolas KOFFIGAN

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