Ouverte mercredi dernier, la phase finale des audiences publiques, privées et à huis clos de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) à Lomé, s’est poursuivie ce samedi au siège de ladite Commission, a constaté un journaliste de l’Agence Savoir News.
Au total 13 auditions ont été écoutées par la CVJR dont 12 relatives aux violences et troubles sociopolitiques liés au décès du Général Gnassingbé Eyadéma et à la présidentielle du 24 avril 2005.
Une seule audition porte sur un cas de torture et d’atteinte à la vie, commis en 2004.
Au sujet de la présidentielle de 2005, les témoignages ont permis de confirmer les faits établis hier vendredi 11 novembre 2011. En effet, à la suite du décès du président de la République, le Général Gnassingbé Eyadema, le 5 février 2005, le contexte sociopolitique national a, très vite, été caractérisé par une vive tension liée à la gestion de la vacance de la Présidence de la République. Cette crise liée à la succession du Général Gnassingbé Eyadema, a plongé le Togo dans une dans une tension sociopolitique avant, pendant et après l’organisation de l’élection présidentielle du 24 avril 2005.
Ainsi, la période préélectorale a été caractérisée par une exacerbation sans précédent des tensions entre les partis de tous bords, des affrontements entre militants et des exactions des éléments des Forces armées togolaises.
Durant cette période préélectorale, nombre de citoyens ont subi des violations de droits de l’homme, notamment les intimidations, les agressions, les atteintes à la vie et à l’intégrité physique.
De nombreuses victimes recèlent encore des munitions d’armes à feu et portent les stigmates des impacts des tirs dont elles ont été les cibles délibérées ou collatérales. Ensuite, la proclamation des résultats le mardi 26 avril 2005 a donné lieu, à des mouvements de contestation des militants de l’opposition qui se sont livrés à des actes de vandalisme et de xénophobie.
Puis, en réaction, les Forces armées togolaises et des groupes de militants favorables au parti au pouvoir, ont déclenché des représailles musclées. Au bilan, on note, plusieurs morts par balles, y compris des mineurs et de nombreuses atteintes à l’intégrité physique. Les victimes et leurs proches, militants ou simples citoyens, ont été contraints à des déplacements ou à l’exil.
Quant au dernier témoignage, il rapporte un cas de décès dans des conditions non élucidées au commissariat de police de Kévé en janvier 2004. Les parents de la victime, confortés par le rapport d’autopsie, allèguent que des traitements dégradants seraient la cause de la mort, réfutant ainsi la version de la police qui argue que la victime serait décédée par noyade.
Quelques témoignages
Akérébourou Ahiniko Kokou, étudiant victime de coups et de blessures au cours de la présidentielle d’avril 2005 n’a pas oublié ce jour sombre de mardi après le vote. Selon lui, des hommes armés avaient fait irruption dans leur maison. Ils ont frappé des gens et tiré à bout portant sur son frère qui est décédé. Lui-même a été gravement blessé au bras : « Après le vote, on était à la maison à Koviakopé, caché dans la chambre. Des hommes armés sont rentrés dans notre maison et ont tiré à bout portant sur mon frère. Ce dernier est décédé sur le champ. Moi-même, j’ai reçu une balle et c’est au Bénin que j’ai été soigné. Mais, cela n’a pas été facile. Je garde toujours dans mon corps, une balle de plomb. Notre maison a été pillée. J’ai pas pu continuer mes études universitaires après le BAC, faute de moyens ».
Nuglozé Kodjo Edem, a aussi affirmé devant la CVJR avoir reçu une balle dans le dos en avril 2005 à Bè-Kpota.
« Je revenais du travail, et malheureusement j’étais tombé dans une foule sur qui des gens tiraient. J’ai été touché par deux balles au dos. C’est ma famille qui s’est décarcassée pour mes soins », a-t-il raconté.
Banka Afi commerçante a étalé les sévices suivis de violences dont elle et sa famille ont été victimes en 2005 à Agoè-Nyivé : « Mon grand frère, un militant de l’opposition s’est réfugié chez moi dans la journée parce qu’il était recherché. La nuit, il a regagné sa maison. Aux environs de 2 heures du matin, mon petit frère m’a appelé m’informant que notre porte était en train d’être défoncée. Réveillée, j’ai été surpris par des hommes en treillis qui sous le coup de fusils, m’ont demandé où se trouvait mon frère Michel Banka. Ils ont fouillé toute la maison et ont emporté mes fonds. Ils ont pillé et cassé tous les objets dans la maison. Ensuite, ils ont tiré sur moi. J’ai transporté à l’hôpital, parce que j’avais reçu trois balles ».
Sossou Agossou, mécanicien a relaté les circonstances des lesquelles son petit frère apprenti menuisier a trouvé la mort. Car, selon ses sœurs, il a été froidement abattu par des gendarmes alors qu’il était allé payer des clous pour travailler dans son atelier.
A la lumière des faits relatés, il apparaît, selon la CVJR que:
– La gestion de vacance de la Présidence de la République consécutive au décès du Général Gnassingbe Eyadema le 5 février 2005, a occasionné une grave crise caractérisée par une grande tension sociopolitique dont les impacts se sont répercutés sur tout le processus électoral.
La période préélectorale très tendue a été ponctuée par les affrontements entre les militants politiques de tous bords et des exactions des éléments des FAT.
La proclamation a exacerbé la tension déjà grande et a déclenché un cycle de violences sociopolitiques dont les premières manifestations sont les mouvements de contestation des militants de l’opposition,
Des groupes de militants proches du pouvoir en place ont répliqué violemment à ceux de l’opposition.
Dans la répression de ces mouvements de protestation, on note dérapages graves dans les opérations de rétablissement de l’ordre de la part des forces de défense et de sécurité,
Dans le déchaînement de violences qui a suivi la proclamation des résultats en avril 2005, les responsabilités semblent partagées entre les forces politiques en présence
L’intolérance relative aux convictions politiques a nourri ici comme ailleurs, les affrontements entre partisans politiques de bords différents.
La CVJR a aussi noté que certaines familles n’ont pu encore faire le deuil de leurs disparus, en raison de leur incapacité à retrouver et/ou à retirer les dépouilles mortelles. Elle a incité fortement les autorités politiques et administratives à prendre les mesures idoines, afin de remédier à ces situations déplorables.
Par ailleurs, il apparaît, poursuit la CVJR, que certaines victimes qui portent encore les séquelles physiques et psychologiques des tirs de balles dont elles ont été la cible présentent des handicaps moteurs et sensoriels dont les impacts négatifs ont contribué à dégrader leur situation socioprofessionnelle.
D’ores et déjà, la Commission a mis en place un mécanisme de prise en charge des cas les plus graves, en attendant la finalisation de son programme de réparations.
La Commission a présenté sa sincère compassion et ses condoléances à toutes les victimes des violations des droits de l’homme, notamment celles qui ont subi les violences électorales liées à la présidentielle d’avril 2005 et continue de déplorer toutes les formes violences exercées au nom de l’appartenance à un parti politique, du processus démocratique, de la force et de l’autorité dont certains citoyens sont détenteurs et encourage les militants politiques de tous bords à la tolérance.
Elle a recommandé aux chapelles politiques de renforcer l’éducation de leurs militants à l’acceptation des différences.
Fidèle à sa philosophie, la Commission a exhorté les auteurs présumés à faire acte de contrition et elle encourage les victimes à ne pas cultiver l’esprit de vengeance.
La Commission a enfin rappelé que c’est à la lumière des informations fournies par les différents intervenants au cours des audiences (publiques, in camera et privées) ainsi que des rapports de ses investigations, qu’elle fera ses recommandations finales à l’attention du peuple togolais dans le sens de l’apaisement.
Dimanche, les audiences se dérouleront en privé et à huis clos. Les audiences publiques reprennent lundi prochain. Elles seront encore consacrées aux violences sociopolitiques liées à l’élection présidentielle de 2005.
Nicolas KOFFIGAN
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