Reprises mercredi à Lomé, les audiences de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), se sont poursuivies ce jeudi. Au total 16 victimes et témoins auditionnés par la Commission sur divers cas d’abus et de violations des droits de l’homme survenus au début des années 90, a constaté un journaliste de l’Agence Savoir News.
Ces divers cas sont relatifs notamment à des trafics d’influence et des arrestations, des détentions arbitraires, des abus d’autorité et de pouvoir, des agressions physiques et des tentatives d’assassinat et le décès d’un citoyen, victime collatérale d’une opération des Forces Armées Togolaises (FAT).
Des cas de licenciements abusifs ou de refus de liquidation de pension de retraite à des fonctionnaires d’Etat et officiers de l’Armée en raison de leurs convictions politiques et un cas d’expropriation foncière ont été également examinés par la CVJR.
S’agissant des cas de violations des droits de l’homme qui ont été auditionnées ce jour, les victimes et témoins, ont relaté les nombreux brimades, exactions, traitement dégradants et autres formes de violences physiques et psychologiques subis.
De leurs témoignages, dont celui de Dossouvi Logo, l’un des leaders emblématiques des mouvements de contestation des années 90, on retient que tous les cas de violations ont été caractérisés par des intimidations et divers abus de pouvoir exercés par des personnalités, compte tenu de leurs positions et de leurs privilèges politiques, avec à la clé les arrestations et les détentions arbitraires et leurs cortège de traitements inhumains et dégradants.
D’autres témoignages ont fait cas de tentatives d’assassinat et d’agressions physiques, des départs en exil sur la base de suspicion liée à des activités politiques réelles ou supposées qui ont en commun de soutenir les activités de l’opposition démocratique au régime alors en place. Enfin la Commission a écouté des cas d’abus d’autorité, et d’exactions commis par les éléments des forces armées togolaises sur des citoyens togolais importunés sans raison, ou à cause de leurs convictions politiques.
La palette des divers dommages qui résultent de ces violations est large: perte d’emploi, licenciement abusif, refus de liquidation de la pension de retraite, perte de vies humaines y compris celle d’un citoyen qui fut la victime collatérale d’une opération des FAT.
Par ailleurs, des témoignages ont permis à la Commission d’avoir des informations complémentaires sur la tragédie de Fréau jardin, sur les événements relatifs au coup de force de mars 1993 et l’implication ou non du Colonel Tépé.
Kunakey Vincent a présenté un dossier de Pascal Sassou Agbessi qui vit actuellement en France. Selon ses révélations, Pascal Sassou a été arrêté alors qu’il était en fonction à l’ambassade du Togo au Gabon et déporté par la suite à Lomé, où il a subi des exactions et violences des gendarmes et policiers pendant 28 mois avant d’être libéré sans jugement.
« J’ai été torturé par quatre gendarmes venus de Lomé. Ils m’ont réveillé dans la nuit à Libreville. Après quatre jours de torture à Libreville, je fus transféré à Lomé et emprisonné. On me reprochait d’être en communication avec Gilchrist Olympio et que j’écrivais des articles pour le journal Jeune Afrique. Après mon interrogation par Eyadema, on ne m’a pas laissé le temps de répondre, car j’ai été giflé et injurié par M. Laclé. Après je suis ramené à la gendarmerie nationale de Lomé, où j’ai été torturé pendant plus de deux semaines. Ils m’ont brisé du coup mon radius. J’ai gardé les plâtres pendant 8 mois et je ne suis libéré que le 23 novembre 1980. J’ai donc passé 28 mois à la gendarmerie. Après ma libération, j’ai dû fuir le Togo en avril 1981 pour la Côte d’Ivoire, puis la France. Personnellement j’ai pardonné à tous mes bourreaux, mais je n’oublierai jamais les tortures subies. Je souhaite être dédommagé », a raconté Kounakey Vincent au nom de Pascal Sassou Agbessi.
Klutse Martin, n’a pas pu, de son côté, digérer la mort tragique de son fils, assassiné par les policiers à Lomé, sans aucune forme de procès. Selon lui, son fils a été arrêté à la station puis abattu à bout portant par les policiers qui le prenaient pour un bandit : « Le faits remontent à 1997. Mon fils est un chauffeur. Il a été arrêté à la station de Kodomé. Ce sont ses amis qui m’ont informé. Je suis allé à la gendarmerie, je ne l’ai pas vu. C’est plutôt à la morgue que j’ai retrouvé son corps. Au ministère de l’intérieur, on m’a fait comprendre que mon fils est un bandit ».
A l’analyse de tous ces témoignages, selon la CVJR, il apparaît que la tension sociopolitique liée au contexte national du début des années 1990, fortement marquée par les clivages entre le régime alors en place et l’opposition démocratique, a favorisé la multiplication des violations des droits de l’homme pour des raisons politiques.
La Commission a déploré ce fait et a présenté sa compassion et ses condoléances aux nombreuses victimes. Elle a salué la main tendue par certaines victimes à leurs bourreaux d’hier qui ont fait acte de contrition.
La CVJR a exhorté les auteurs présumés à contribuer à la manifestation de la vérité et encourage les victimes à ne pas cultiver l’esprit de vengeance malgré les souffrances et la détresse subies.
La Commission a appelé tous les Togolais à privilégier l’esprit du pardon, pour donner une chance à la réconciliation nationale.
Ces audiences se poursuivent vendredi et seront consacrées aux violences sociopolitiques liées à l’élection présidentielle de 2005.
Rappelons que les audiences de la CVJR sont consacrées à la recherche de la vérité sur les violences électorales et autres violations des droits de l’homme qui sont survenues dans notre pays entre 1958 et 2005 dans le cadre des séances publiques, à huis clos et privées qui donnent la parole aux victimes, témoins et aux auteurs présumés.
Nicolas KOFFIGAN
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