Santé : Le Nigeria confronté à une épidémie « sans précédent » de fièvre de Lassa, déjà 110 morts cette année (PAPIER D’ANGLE)

D’habitude, l’Institut spécialisé sur la fièvre de Lassa d’Irrua, dans le sud du Nigeria, ne traite que quelques dizaines de patients, tous les ans. Mais cette année, plus de 150 personnes ont déjà été admises après avoir contracté cette fièvre hémorragique, proche d’Ebola.

Personne, ni les autorités nigérianes, ni les scientifiques, ne s’attendait à une telle propagation de la maladie. Le virus a déjà fait 110 morts depuis le début de l’année, sur 353 cas confirmés, contre 143 sur l’ensemble de 2017.

L’État d’Edo, où se trouve Irrua et où la maladie est endémique, a enregistré le plus grand nombre de malades.

« Nous avons une trentaine de patients actuellement », explique le directeur de l’Institut, le Dr Ephraim Ogbaini-Emovon. « Jamais nous n’avions eu un tel nombre. »

Dans la salle d’isolement, la température dépasse les 40 degrés. Des cadavres de rats plongés dans le formol décorent les couloirs de la petite clinique.

Le gouvernement local de l’État d’Edo a dû acheter en urgence des machines de dialyse et du matériel de protection, face à la lenteur du ministère de la Santé à Abuja.

Et pourtant, Irrua, petite commune rurale, est à la pointe de ce qui se fait en Afrique de l’Ouest. Cet hôpital est le seul au Nigeria, pays de 190 millions d’habitants, à pouvoir soigner et diagnostiquer cette fièvre hémorragique peu connue, découverte en 1969.

Avant la construction de l’Institut en 2008, les échantillons de sang étaient envoyés en Afrique du Sud. « Mais quand les résultats arrivaient, il était déjà trop tard », explique son directeur.

– Foyers endémiques –

Désormais, des 4×4 arrivent de tout le Nigeria pour apporter des échantillons qui sont ensuite analysés dans un laboratoire climatisé. Si la maladie est diagnostiquée, les patients sont évacués dans les 24 heures à Irrua par ambulance, sur des routes souvent peu praticables.

Pour l’instant, une dizaine d’employés nigérians et une poignée de médecins européens spécialisés en maladies tropicales tentent de réguler l’épidémie. Mais tant que les statistiques finales n’ont pas été étudiées, « on ne sait pas pourquoi nous faisons face à une telle accélération », reconnaît le Dr Chikwe Ihekweazu, directeur du Centre national de contrôle des épidémies (NCDC) à Abuja.

« Est-ce qu’il y a eu une modification de l’environnement? », s’interroge-t-il. « Ou est-ce que les campagnes de prévention et de détection des patients sont plus efficaces et que la maladie est davantage diagnostiquée? »

Wilson Oherein, lui, avait vaguement entendu parler de cette maladie, qui a emporté son épouse il y a quelques jours.

« Quand ma femme est allée à la clinique dans notre ville, ils lui ont dit que c’était le paludisme », explique ce commerçant dans un anglais parfait. « La fièvre ne descendait pas, mais ils ne savaient pas ce que c’était », raconte Wilson, assommé de fatigue.

Sa petite fille de trois ans, également contaminée, a été placée en chambre d’isolement à Irrua.

Les symptômes de la fièvre de Lassa, endémique à quelques foyers en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Guinée, Liberia et Sierra Leone) sont difficilement identifiables.

Peu de recherches ont été faites dans ce sens, mais, face à la crise, la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI, qu’on pourrait traduire par « Coalition pour des innovations afin d’être préparé face aux épidémies »), mise en place au lendemain de l’épidémie d’Ebola en 2017, a débloqué début mars plusieurs millions d’euros pour tenter de trouver un vaccin.

On connaît néanmoins son mode de transmission: les secrétions de rongeurs. Et contrairement à Ebola, les risques de contagion entre humains sont habituellement limités.

Mais cette année, mieux vaut ne prendre aucun risque. Le virus pourrait avoir muté.

Kevin Ousman, responsable des risques d’infection pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), envoyé en soutien à Irrua, passe ses journées à répéter les mesures basiques de prévention.

– « Vêtements salis » –

Les familles des patients entrent et sortent de la chambre d’isolement en tongs, avec un minuscule masque sur la bouche.

Devant l’institut, des poubelles remplies de gants et de seringues débordent sur l’herbe.

« N’utilisez pas les mêmes gants! », ordonne M. Ousman. « Jetez cette eau, ne posez aucune affaire au sol! »

« Étant donné les circonstances, nous allons à l’essentiel », explique-t-il à l’AFP, alors que des médecins sortent eux en combinaisons stériles, comme dans un film de science-fiction.

« Il est de tradition en Afrique que les familles s’occupent des malades », confie un employé de l’OMS. « Mais il va falloir arrêter ça, c’est beaucoup trop risqué. »

Wilson passe d’habitude ses journées au chevet de sa fille pour lui donner à manger et c’est lui qui « nettoie dans un seau ses vêtements salis ». Mais cet après-midi, il se repose dans un bâtiment en construction derrière l’hôpital, avec les autres familles des patients.

Il ne veut plus se lever, et reste allongé sur une natte à même le sol. « Ça va aller », tente-t-il de se convaincre, des gouttes de sueur au front. « C’est juste l’angoisse de savoir ma fille malade et le deuil qui me fatiguent beaucoup. »

SOURCE : AFP